Choses passées
12 novembre 1906
À Madeleine TOUTAIN
Vous n'aviez que quinze ans et moi j'en avais seize
Quand notre coeur parla pour la première fois
Notre âme jeune encor et peut-être un peu niaise
Ecouta de l'Amour les bien trompeuses lois
Combien de rêves d'or aussi que de chimères
N'avons nous pas conçus en un jour seulement
Quand la nuit nonchalante et ses ombres légères
D'un silence bien doux dotaient l'Isolement
Mais quelques jours après notre ivresse passée
Effaçait dans nos coeurs les douces voluptés
Aux sublimes aveux notre lèvre fermée
Ne chantait plus pour nous que des réalités
Cruel, je vous quittais et sans autre artifice
Que des regrets jetés au hasard de l'Amour
Je vous laissais ainsi comme on laisse un caprice
Après l'avoir aimé et pleuré tour à tour
Vous m'avez pardonné, vous étiez généreuse
Et vous disiez peut-être ici bas le Bonheur
Ne vit-il qu'un instant sur notre âme rêveuse
En nous faisant goûter la joie et le bonheur
Le temps passa rapide emportant nos misères
Et votre coeur blessé s'efforça de guérir
L'oubli sût apaiser vos souffrances légères
Et l'Amour entre nous plaça le Souvenir.
J'ai eu l'occasion de revoir cette jeune fille dimanche dernier et de lui causer
de nos premières amours. C'est un passé vieux de sept ans qui nous remémore ces
frissons d'un âge heureux où les mystères de la vie se montrent impénétrables où
des brumes nous cachent des misères qui nous attendent au-delà de quinze ans
quand le coeur s'est endurci après avoir épuisé toutes ses espérances toutes ses
illusions.
Nous avons causé de nos premières entrevues toutes naturelles, toutes
enveloppées de naïveté et d'inconscience des premiers serments échangés avec
toute la sincérité de notre coeur et nous avons ri des motifs de nos premières
douleurs, légères comme une ombre qui passe sur le front des enfants, des larmes
vite séchées par l'oubli.
Aussi est-ce avec plaisir que je lui adresse cette poésie qui ne m'a été par
d'autre sentiment qu'un souvenir attaché aux émotions nouvelles d'un autre
amour. Nous ne nous aimons plus et nous nous sentons vieillir quand le passé
nous rappelle ce premier pas vers le bonheur éphémère sur une route où les
obstacles multipliés nous font trébucher à chaque instant. Nous nous relevons et
avec une force un courage plus grands nous reprenons notre marche interrompue,
parfois regardant en arrière les illusions expirant sur le bord du chemin
parcouru sans qu'un regret sincère, bien souvent, n'adoucisse leur brutale
agonie.
Honoré HARMAND