La chaumière
15 septembre 1905
Dans un coin retiré d'une sombre campagne
Se dresse un petit toit de chaume recouvert
C'est là où bien souvent ma lyre s'accompagne
Aux derniers bruits du soir dont j'aime le concert
Le voyageur qui passe d'un oeil indifférent
Regarde la ruine de mon faible château
En disant que l'hiver, la caresse du vent
Du pauvre châtelain creusera le tombeau
Eh ! Que m'importe à moi ? Dans un vaste palais
Je ne pourrais placer mes envies, mes désirs
J'aime mieux ma chaumière, c'est là où je me plais
C'est là où le passé chante mes souvenirs
C'est là où j'ai connu la gaieté, la jeunesse
C'est là où j'ai vécu les pages du grand livre
Que touche des enfants l'innocente caresse
A l'age où l'on ignore ce que c'est que de vivre
C'est là où j'ai rêvé dans les jours de printemps
Quand un riant soleil annonçait les beaux jours
Et que je me berçais sur les ailes du Temps
Comme fait le baiser sur l'aile des amours
Ah ! Que j'étais heureux dans mon petit domaine
Rien ne heurtait le rêve dont je berçais ma vie
Les visions me touchaient de leur troublante haleine
Et mon coeur se fermait aux frissons de l'envie
Que pouvais-je envier aux lois de la richesse
Rien, puisque mes désirs avaient pleine mesure
Que m'importait de l'or la fatale caresse
Puisque j'avais l'amour de la belle nature
Hélas ! Tout est changé, il semble que la mort
A jeté son linceul sur le toit que j'aimais
Mais si dans la tempête je m'éloignais du port
Ô petit toit de chaume toujours je te verrais
Ô temple solitaire, ô palais que j'adore
Sous l'aspect miséreux d'une simple chaumière
Pour calmer ma souffrance tu souriras encore
Quand dans tes murs usés je verrai ma chimère
Tu sais, dans le passé, quand le coeur plein de flamme
Je venais pour jouir des frissons de l'amour
Une voix adorée faisait vibrer mon âme
Comme vibre le coeur aux clartés d'un beau jour
Cette voix qui m'est chère, je ne l'entendrai plus
La lyre s'est brisée un soir de rêverie
Mes regrets, je le sais, hélas, sont superflus
Mais j'entendrai toujours sa suave harmonie
Je verrai ses grands yeux perdus dans les ténèbres
Son beau regard de rêve qui cherchait dans mon coeur
Les secrets que l'on cueille à la source des lèvres
Les mots qui disent mal la joie et le bonheur
Mais je verrai aussi sur ton seuil qui se glace
Les rêves disparus mais qui ne s'oublient pas
Et dans mes souvenirs j'ai gardé une place
Pour quand aura sonné l'heure de ton trépas
Peut-être verras-tu le souffle de la vie
Disparaître et s'enfuir de mon coeur abîmé
Et sur ma lèvre froide se glisser l'agonie
Comme fait l'étincelle sur le feu consumé
Alors le voyageur, d'un oeil indifférent
Regardant la ruine de mon faible château
Redira en passant que le souffle du vent
Dans ta chère dépouille a creusé mon tombeau.
Honoré HARMAND