La vague
A mon ami Justin RENARD
(Souvenir de Dieppe)
Version 18 septembre 1905
Ce soir, j'ai causé avec une vague,
Et j'ai dit : « pourquoi ta caresse vague
Heurte-t-elle au port
Pour se retirer bien loin de la rive,
Comme un pâle enfant à l'âme chétive
Quand il voit la mort ? »
La vague m'a dit : « je suis une amante
Qui touche en passant de sa lèvre errante
Un front inconnu
Quand tout endormi dans un grand mystère
Semble agonisant et que sur la terre
Le soir est venu »
J'ai dit à la vague : « pourquoi son Destin
Au pauvre pêcheur riant le matin
Lui fait espérer
Un soleil joyeux, un ciel sans nuages
Et, quand vient le soir, dans de gros orages
Le fais-tu pleurer ? »
La vague m'a dit : « je suis comme toi ;
Quand tu es heureux, ton coeur en émoi
S'attache à la vie,
Puis, dans tes yeux bleus, une image obscure
Te fait regretter dans un grand murmure
L'extase ravie »
J'ai dit à la vague : « pourquoi dans ton sein
Caches-tu le crime et dans ton dessein
Aux pensées profondes
Cherches-tu l'amant, le père ou l'enfant,
Pourquoi les fais-tu au baiser charmant
Préférer tes ondes ? »
La vague m'a dit : « quand l'heure a sonné
Et que par la mort tu es condamné
Que fais-tu mortel ?
Dans les grands silences égarant tes pas
Tu dis à la vie, pourquoi le trépas
Est-il si cruel ? »
J'ai dit à la vague : « dans l'affreuse nuit
Pourquoi de ta voix au sinistre bruit
Glacer l'existence ?
Ne pourrais-tu pas au pauvre pêcheur
D'une voix craintive pleine de douceur
Parler d'espérance ? »
La vague m'a dit : « Ô ! Désabusé,
Quand la vie rappelle à ton coeur usé
Bien des souvenirs,
De ta voix méchante insultant le sort
Tu ris de la vie et frôles la mort
De tes longs soupirs.
Honoré HARMAND