Fragments
12 mars 1906
Mes chagrins
Qui se sont assemblés pour me faire un manteau
Comme en portent les morts couchés dans leurs tombeaux
Ecrire ses douleurs peut parfois consoler
Mais n'est-il pas plus beau de les voir s'envoler
Sur l'aile de l'oubli au baiser de chimère
Il console de tout et maître sur la terre
Il commande à nos coeurs et préside aux destins
Qui font de la gaieté la source des chagrins
Bien douce est sa caresse et souvent près de lui
Je suis venu le soir effacer mon ennui
Pendant que la foule s'amuse
Au sein de la gaieté marchande de plaisir
Tristement j'implore ma muse
De chanter du passé les tendres souvenirs
Sensible à ma prière à mes grandes douleurs
D'une voix qui dit bien mes ivresses passées
Elle chante et mes yeux d'où s'écoulent des pleurs
Du regard amitieux des âmes consolées
Lui témoignent la joie autant que la douceur
Que ses chants ont semé dans l'ombre de mon coeur
Vole vers d'autres cieux consoler d'autres coeurs
Je ne te chasse pas tu sauras bien comprendre
Qu'il est tant de mortels que frappent les douleurs
Ils pourraient quelquefois m'accuser de tout prendre
En toi et ton baiser tes douces espérances
Va muse où dans la nuit t'appellent des souffrances
Va d'autres ont besoin de connaître l'oubli
Et sans toi ils ont peur de causer avec lui
Dès lors que je riais n'étais-je pas guéri
J'ai vu Berthe au bras de l'autre
Près de moi tous deux ont passé
Bizarres dans leur contenance
Lui sérieux combien troublé
Elle, riant de souvenance
J'ai crû à son rire forcé
Qu'elle avait retenu des larmes
Sans doute après fatales armes
Les pleurs abondants ont coulé
Je les ai suivis et mes yeux
Ont pleuré l'amante infidèle
Je lui dois tant de jours heureux
Que ma douleur est moins cruelle
Quand j'écoute le souvenir
Me parler de l'heure charnelle
Je pense vraiment que pour elle
Il était bien doux de souffrir
Eh, qu'est-ce que l'argent auprès de mes douleurs
Une femme très laide auprès de belles fleurs
Quand meurt le souvenir que faut-il espérer
Rien que de la douleur, des larmes pour pleurer
Faisant de nos deux maux une même douleur
Je lui ai dit « causons », peut-être l'un pour l'autre
Saurons-nous rétablir le calme en notre coeur
Car si je fus blessé ma blessure est la vôtre
A vingt ans comme moi elle a connu l'amour
Elle a crû aux serments à la folle espérance
Qui sous une caresse a caché la souffrance
La joie et le regret sont nés le même jour
Aujourd'hui philosophe Elle oublie et pardonne
A ceux qui ont brisé son fragile avenir
Elle aime chaque jour que le Destin lui donne
Son coeur comme le mien ne saurait plus souffrir
Elle a pleuré jadis les funestes alarmes
Les instants de gaieté trop vite disparus
Ses chagrins ont passé comme des inconnus
Ses yeux comme les miens ne versent plus de larmes
Honoré HARMAND