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| | Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre I | |
| | Auteur | Message |
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Invité Invité
| Sujet: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre I Mer 5 Juin - 11:22 | |
| Mémoires intimes
bonheur, suivant son impression ou les caprices de son oreille, sans consulter même la tradition. Il en résulte que, dans ces registres, les ascendants de ma famille sont quelquefois nommés Fréchette, souvent Fréchet, parfois Fréschet et même Frichet. La première de ces différentes orthographes est restée la plus généralement adoptée. Et cependant, la seconde me semble la plus ancienne et partant la plus authentique, car, bien que mon ancêtre paternel, le premier de ma lignée émigré dans le pays, fût de Saint-Martin, île de Ré, le nom semble originaire du Midi de la France, où on l'épelle invariablement Fréchet. Ainsi, dans les Hautes-Pyrénées, j'ai visité trois villages ou hameaux qui portaient respectivement les noms de Fréchet-Aure, de Cazaux-Fréchet, et de Fréchou-Fréchet. Quoi qu'il en soit, mon grand-père et mon père ayant adopté la forme Fréchette, j'ai suivi leur exemple, sans m'occuper de la tradition ou de l'étymologie; et quand j'aurais pu réagir, il était trop tard.
Je fus baptisé à l'église de la Pointe-Lévis, aujourd'hui connue sous le nom de Saint-Joseph de Lévis. Mon acte de baptême porte simplement le prénom de Louis. Si pendant mes années de jeunesse il m'est arrivé de signer Louis- Honoré ou Louis-H. qui en est l'abrégé, c'est qu'on avait ajouté le prénom d'Honoré, lors de ma confirmation, en 1849, en l'honneur de notre vicaire l'abbé Honoré Jean, qui était l'ami de ma famille et qui avait présidé à ma première communion. Après mon mariage, je repris mon seul et vrai nom, à cause de la confusion qui pouvait en résulter dans mon état civil. Cela a donné lieu, dans certains quartiers, à des plaisanteries, que malgré ma bonne volonté, je me suis vainement efforcé de trouver spirituelles. Il est vrai qu'il n'est pas donné à tout le monde de comprendre une chose si compliquée.
Dernière édition par Plume Incarnadine le Mer 5 Juin - 11:43, édité 1 fois |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre I Mer 5 Juin - 11:23 | |
| De mes grands-parents j'ai bien connu mes deux aïeules qui ont toutes deux passé leur vieillesse chez mon père, où elles sont mortes, l'une à quatre-vingt-sept et l'autre à quatre- vingt-seize ans. Quant à mes grands-pères, qui sont morts à soixante et quelques années chacun, je ne les ai vus que très rarement dans mon enfance; et, comme les deux vieillards, à l'encontre de ce qui se voit d'ordinaire chez les vieux, ne faisaient guère attention à leur petit-fils, je n'en ai conservé qu'un souvenir assez confus. Tout ce dont je me souviens, c'est qu'on appelait mon aïeul maternel M. Martineau ou le colonel l'Ormière, qu'il faisait partie de la milice, qu'il voyageait rarement sans son fusil, qu'il était grand chasseur et le compagnon de chasse ordinaire de sir John Caldwell dans les Bois-Francs, région encore déserte à l'époque dont je parle. Autant que je puis en juger, mon père, qui était l'homme actif et rangé par excellence, n'avait que des sympathies assez limitées pour le vieux colonel, dont l'humeur aventurière semblait ne lui plaire qu'à demi. Un épisode romanesque se rattachait à son mariage avec ma grand'mère. Celle-ci, la « jolie Marie Aubin », comme on l'appelait à Sainte-Croix, sa paroisse natale, était novice au couvent de la Pointe-aux-Trembles, de l'autre côté du fleuve, lorsque mon grand-père, qui avait traversé le fleuve sur la glace en fringant équipage, réussit à obtenir d'elle ce qu'il avait vainement sollicité de la jeune fille en vacances son coeur et sa main. Ce fut presque un enlèvement; et encore je dis presque... Au fait je n'y étais pas. Tout ce que je sais, c'est que le galant colonel avait gagné son point, et que huit jours plus tard, la jolie novice s'appelait Mme Louis |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre I Mer 5 Juin - 11:23 | |
| Martineau ou Mme de l'Ormière, comme on voudra, et que ma pauvre grand'mère a fait des pénitences jusqu'à la fin de ses jours, pour avoir, suivant son expression, manqué ce qu'elle appelait sa vocation.
À part mon frère Edmond, qui était mon cadet de quatorze mois, j'ai eu pour compagnon d'enfance, ou plutôt comme frère aîné car nul n'a jamais mieux que lui mérité le nom de frère un jeune orphelin né de parents écossais, qui avait huit ou neuf ans de plus que moi, et que mes parents avaient recueilli, à l'âge de trois ans, comme leur propre enfant, pendant leur séjour dans les Foulons. Il s'appelait John Campbell, et ce n'est pas sans émotion que je nomme ici celui à qui j'ai dû, après mon père et ma mère, les premières caresses, les premiers services, les premiers amusements et les premières joies de mon enfance.
J'eus aussi l'affection dévouée d'une petite bonne que je me ferais un crime d'oublier. Madeleine Lamotte était la fille de la brave femme qui avait assisté ma mère lors de ma naissance. Plus tard, ces deux amis de mes jours d'enfance s'épousèrent; et jusqu'à leur mort je n'eus jamais l'occasion de compter sur un plus entier dévoûment; jusqu'à leur mort, aux jours de deuils comme aux jours de gaieté, mes succès ont été leurs succès et mes tristesses ont été leurs tristesses. John Campbell fut le premier orphelin que mon père accueillit à sa table, mais il ne fut pas le dernier. Une petite cousine, de mon âge à peu près, a sa place ici en première ligne. Elle s'appelait Élodie et est aujourd'hui la femme d'un des citoyens les plus en vue et des plus respectés de Trois- Rivières. Elle était exceptionnellement intelligente et bonne; elle fut pour moi, et elle l'est encore, la plus affectueuse des soeurs. Orpheline à quatre ans, elle prit sa place à notre table et ne la quitta que pour se marier. Chère bonne cousine! elle aussi a toujours souri à mes joies et pleuré à mes tristesses. Que Dieu l'en récompense. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre I Mer 5 Juin - 11:23 | |
| Le fait est que tout le temps que j'ai passé chez mon père, j'y ai toujours vu quelque enfant pauvre, et même assez souvent deux et même trois à la fois, nourris, habillés, mis à l'école, et élevés enfin dans les mêmes conditions que les véritables enfants de la maison. Je pourrais en compter jusqu'à neuf, dont cinq ont fait partie de la famille jusqu'à leur établissement. L'une est morte religieuse, et, à part celui dont je viens de parler, sur quatre des filles qui se sont mariées, deux ont fait des mariages exceptionnellement avantageux. Un jour, mon brave père dut faire construire une nouvelle chambre dans les mansardes de notre maison pour loger tout son monde. Il n'était pas fortuné, mais jamais une détresse n'a frappé à sa porte, sans que cette porte ne se soit largement ouverte devant elle. « La charité n'appauvrit jamais, mes enfants », aimait-il à répéter; et jusqu'à la fin de sa vie vie exemplaire s'il en fut jamais la Providence, sans le combler, a paru vouloir lui prouver qu'il avait raison. Dans l'humble condition où il est né, dans le rang modeste où il a vécu, il a toujours fait honneur à ses affaires, a su élever sa famille largement quoique avec économie, s'est élevé lui- même tous les ans d'un échelon dans la considération de son entourage, et finalement est mort en laissant à ses enfants de quoi honorer sa mémoire, avec le souvenir et l'exemple d'un homme d'intégrité, de coeur et de foi. J'aurai peu à parler de ma mère que j'eus le malheur de perdre à l'âge de douze ans dans des circonstances pénibles qu'il me faudra raconter plus tard. Il me suffira de dire que
mon père fut toujours admirablement secondé par elle dans ses oeuvres de charité comme dans ses luttes pour l'existence. Jamais deux coeurs ne se sont mieux compris, jamais deux camarades de la vie ne se sont mieux soutenus de la parole et de l'épaule.
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre I Mer 5 Juin - 11:24 | |
| Mes premières années se sont écoulées dans une atmosphère de travail et de paix, de douce affection, d'encouragement mutuel et de reconnaissance à Dieu. Notre demeure n'était pas précisément riche, mais son élégance relative contrastait avec la plupart des autres maisons du voisinage. Je la vois encore dans son encadrement de vieux ormes chevelus, avec ses persiennes vertes sur fond blanc, sa véranda et son jardin potager. Le peintre Charles Huot en a brossé un joli croquis. Cette maison où je suis né, fut longtemps habitée plus tard par un monsieur Young, un cousin de sir John A. Macdonald. Le célèbre homme d'État y est venu plus d'une fois se mettre à la retraite pour se reposer de ses travaux et secouer un peu les soucis de la vie publique. Il y passa même trois semaines après la fameuse affaire restée célèbre dans nos annales politiques sous le nom de « scandale du Pacifique ». J'ai visité la vieille maison, voilà deux ans, avec une personne de ma famille. Il y avait plus d'un demi-siècle que je n'en avais franchi le seuil. Chaque fois que les circonstances m'avaient ramené dans l'endroit, c'était en pleine campagne électorale, et, pour une raison ou pour une autre, soit que les lieux fussent inhabités ou occupés par des inconnus, j'avais toujours remis à plus tard mon pèlerinage au vieux foyer paternel. C'est aujourd'hui la demeure d'une aimable famille, qui montre avec complaisance le petit coin où ma mère dodelinait mon berceau, mon ber, comme on disait alors : une expression de Bretagne et de Normandie, qui, de même que l'objet lui-même, est allée rejoindre les vieilles heures et les neiges d'antan. Nous fûmes accueillis de la façon la plus cordiale. Arrêté avec émotion sur le seuil de la porte, je me suis revu tout enfant, en petite robe, assis à côté de mon chien chasseur qui me cassait des avelines, en laissant tomber délicatement l'amande dans mon tablier. Je me suis retrouvé le coude appuyé sur l'allège de la fenêtre, rêveur, à suivre du regard le nuage ou le flot dorés par le soleil couchant. J'ai revu oh! comme s'ils eussent été là le rouet de grand'maman, la berceuse de ma mère, le fauteuil de mon père, avec la table où il s'accoudait pour nous chanter des cantiques pendant les vêpres du dimanche, le grand Christ jauni devant lequel nous nous agenouillions pour faire la prière du soir en famille... Souvenirs ineffaçables! comment les choses peuvent-elles être en même temps si loin et sembler si près? Ô passé, sombré à tout jamais dans l'abîme sans fond que le temps creuse derrière nous, à quels mystérieux rappels n'obéis-tu pas quelquefois! Chère bonne vieille maison, témoin de mes premiers vagissements, de mes premiers jeux, de mes premiers rêves, de mes premières larmes, nous avons vieilli tous les deux; mais quand tu t'affaisseras sous le poids de l'âge c'est le sort commun des hommes et des choses je n'aurai pas à pleurer, car j'aurai succombé longtemps avant toi, comme mon père, hélas! qui t'a construite et dont tu as longtemps abrité la vie calme et laborieuse. Et quand j'ai tourné le dos au toit où j'ai reçu le jour, comme disaient nos pères, je me suis rappelé ce couplet de Théodore Botrel, le doux et sympathique poète breton que je ne connaissais pas
encore personnellement, mais dont j'aimais déjà les accents si sincères |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre I Mer 5 Juin - 11:24 | |
| Et tout secoué de sanglots, J'ai tiré doucement la porte; Et tout secoué de sanglots, Sur le seuil j 'ai gravé ces mots : « C'est ici que gît le meilleur De ma jeunesse à jamais morte. C'est ici que gît le meilleur, Le plus pur lambeau de mon coeur ».
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| | | | Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre I | |
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