PLUME DE POÉSIES
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 Théophile Gautier (1811-1872) LES VENDEURS DU TEMPLE. III

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James
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Théophile Gautier (1811-1872) LES VENDEURS DU TEMPLE. III Empty
MessageSujet: Théophile Gautier (1811-1872) LES VENDEURS DU TEMPLE. III   Théophile Gautier (1811-1872) LES VENDEURS DU TEMPLE. III Icon_minitimeLun 24 Juin - 19:30

III.


Ah! race de corbeaux, ignoble bande noire,
Hyènes du passé, vrais chakals de l'histoire,
C'est vous qui disputez, dans les tombeaux ouverts,
Pour prendre leur linceul, les trépassés aux vers,
Et qui ne laissez pas debout une colonne
Sur la fosse d'un siècle où pendre sa couronne.
Par la vie et la mort, par l'enfer et le ciel,
Par tout ce que mon coeur peut contenir de fiel.
Soyez maudits!

               Jamais déluge de barbares,
Ni Huns, ni Visigoths, ni Russiens, ni Tartares,
Non, Genseric jamais; non, jamais Attila,
N'ont fait autant de mal que vous en faites là;
Quand ils eurent tué la ville aux sept collines,
Ils laissèrent au corps son linceul de ruines.
Ils détruisaient, car telle était leur mission,
Mais ne spéculaient pas sur leur destruction.
C'est vous qui perdez l'art et par qui les statues,
Près de leurs piédestaux moisissent abattues;
Destructeurs endiablés, c'est vous dont le marteau
Laisse une cicatrice au front de tout château;

C'est vous qui décoiffez toutes nos métropoles,
Et, comme on prend un casque, enlevez leurs coupoles;
Vous qui déshabillez les saintes et les saints,
Qui, pour avoir le plomb, cassez les vitreaux peints
Et rompez les clochers, comme une jeune fille
Entre ses doigts distraits rompt une frêle aiguille;
C'est à cause de vous que l'on dit des Français:
Ils brisent leur passé: c'est un peuple mauvais.
Encor, si vous étiez la vieille bande noire!
Mais vous êtes venus bien après la victoire.
Vous becquetez le corps que d'autres ont tué;
Vous avez attendu que sa chair ait pué,
Avant que de tomber sur le géant à terre,
Vautours du lendemain! Dans le champ solitaire,
Par une nuit sans lune, où le firmament noir,
N'avait pas un seul oeil entr'ouvert pour vous voir,
Vous avez abattu votre vol circulaire
Et porté tout joyeux la charogne à votre aire.
Les bons et braves chiens, lors que le cerf est mort,
S'en vont. Toute la meute arrive alors et mord,
Mêlant ses vils abois à la trompe de cuivre,
Le noble cerf dix cors, qu'à peine elle osait suivre;
Et les bassets trapus, arrivés les derniers,
Ont de plus gros morceaux que n'en ont les premiers.
Vous êtes les bassets. Vous mangez la curée;
Par les chiens courageux aux lâches préparée.
Quand les guerriers ont fait, les goujats vont au corps,
Et dérobent l'argent dans les poches des morts.

O fille de Satan, ô toi, la vieille bande,
Comme ta mission, tu fus horrible et grande.
Je ne sais quelle rude et sombre majesté,
Drape sinistrement ta monstruosité;
Une fausse auréole autour de toi rayonne
Et ton bonnet sanglant luit comme une couronne.
Des nerfs herculéens se tordent à tes bras,
L'airain, comme un gravier, se creuse sous ton pas;
Sur le marbre, en courant, tu laisses des empreintes,
Et le monde ébranlé craque dans tes étreintes.
C'est toi qui commença ce périlleux duel
Du peuple avec le roi, de la terre et du ciel;
Et quand tu secouais de tes mains insensées,
Les croix sur les clochers, si près de Dieu dressées;
On croyait que le Christ, par les pieds et le flanc,
En signe de douleur allait pleurer le sang;
On croyait voir s'ouvrir la bouche de sa plaie
Et reluire à son front une auréole vraie,
Et l'on fut bien surpris que ton bras et ton poing
Après l'avoir frappé ne se séchassent point.
Tout le monde attendait un grand coup de tonnerre,
Comme au saint vendredi quand l'on baise la terre;
On ignorait comment Dieu prendrait tout cela,
Et quel foudre il gardait à ces insultes-là.
Nulle voix ne sortit du fond du tabernacle,
Le ciel pour se venger ne fit aucun miracle;
Et comme dans les bois fait un essaim d'oiseaux,
Les anges effarés quittèrent leurs arceaux;
Mais tu ne savais pas si dans les nefs désertes
Tu n'allais pas trouver, avec leurs plumes vertes,
Leur oeil de diamant et leurs lances de feu,
A cheval sur l'éclair, les milices de Dieu,
La première et sans peur tu mis la main sur l'arche,
Et tes enfants perdus allèrent droit leur marche,
Sans savoir si le sol tout d'un coup sur leurs pas,
En entonnoir d'enfer ne se creuserait pas.
Tu fus la poésie et l'idéal du crime;
Tu détrônais Jésus de son gibet sublime,
Comme Louis Capet de son fauteuil de roi.
La vieille monarchie avec la vieille foi
Râlait entre tes bras, toute bleue et livide,
Comme autrefois Anthée aux bras du grand Alcide.
Et le Christ et le roi sous tes puissants efforts,
Du trône et de l'autel tous deux sont tombés morts.
Au seul bruit de tes pas les noires basiliques
Tremblottaient de frayeur sous leurs chapes gothiques;
Leurs genoux de granit sous elles se ployaient,
Les tarasques sifflaient, les guivres aboyaient;
Le dragon se tordant au bout de la gouttière,
Tâchait de dégager ses ailerons de pierre,
Les anges et les saints pleuraient dans les vitreaux;
Les morts se retournant au fond de leurs tombeaux,
Demandaient: «Qu'est-ce donc?» à leurs voisins plus blêmes,
Et les cloches des tours se brisaient d'elles-mêmes.
Quand tu manquais de rois à jeter à tes chiens,
Tu forçais Saint-Denis à te rendre les siens;
Tu descendais sans peur sous les funèbres porches;
Les spectres éblouis aux lueurs de tes torches,
Fuyaient échevelés en poussant des clameurs.
Troublés dans leur sommeil, tous ces pâles dormeurs,
Rêvant d'éternité, pensaient l'heure venue,
Où le Christ doit juger les hommes sur sa nue;
Et quand tu soulevais de ton doigt curieux
Leur paupière embaumée afin de voir leurs yeux,
Certes ils pouvaient croire à ton rire sauvage,
A l'air fauve et cruel de ton hideux visage,
Qu'ils étaient bien damnés, et qu'un diable d'enfer
Venait les emporter dans ses griffes de fer.
L'épouvante crispait leur bouche violette,
Ils joignaient, pour prier, leurs deux mains de squelette,
Mais tu les retuais sans plus sentir d'effroi
Que pour guillotiner un véritable roi.
Tes rêves n'étaient pas hantés de noirs fantômes,
Toutes les sommités, têtes de rois et dômes,
Devaient fatalement tomber sous ton marteau,
Et tu n'avais pas plus de remords qu'un couteau;
Tu n'étais que le bras de la nouvelle idée,
Et le sang comme l'eau, sur ta robe inondée,
Coulait et te faisait une pourpre à ton tour.
O tueuse de rois, souveraine d'un jour!
Tes forfaits étaient noirs et grands comme l'abîme,
Mais tu gardais au moins la majesté du crime,
Mais tu ne grattais pas la dorure des croix,
Et si tu profanais les cadavres des rois,
C'était pour te venger et non pas pour leur prendre
Les anneaux de leurs doigts ni pour les aller vendre!

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J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James

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