PLUME DE POÉSIES
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 Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius

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MessageSujet: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius   Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius - Page 5 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:08

Rappel du premier message :

Gargantua , liv. 1, ch. XI.

- Kling, kling, kling! - Pas de réponse. - Est-ce qu'il n'y serait pas? dit la
jeune fille.

Elle tira une seconde fois le cordon de la sonnette; aucun bruit ne se fit
entendre dans l'appartement: il n'y avait personne.

- C'est étrange!

Elle se mordit la lèvre, une rougeur de dépit passa de sa joue à son front; elle
se mit à descendre les escaliers un à un, bien lentement, comme à regret,
retournant la tête pour voir si la porte fatale s'ouvrait. - Rien.
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius   Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius - Page 5 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:14

"Il m'entortilla dans le drap, et se mit à me coudre sans précaution comme
quelqu'un qui a hâte d'en finir: la pointe de son aiguille m'entrait dans la
peau, et me faisait des milliers de piqûres; ma situation était insupportable.
Quand ce fut fait, un de ses camarades me prit par les pieds, lui par la tête,
ils me déposèrent dans la boîte; elle était un peu juste pour moi, de sorte
qu'ils furent obligés de me donner de grands coups sur les genoux pour pouvoir
enfoncer le couvercle.
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius   Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius - Page 5 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:14

"Ils en vinrent à bout à la fin, et l'on planta le premier clou. Cela faisait un
bruit horrible. Le marteau rebondissait sur les planches, et j'en sentais le
contrecoup. Tant que l'opération dura, je ne perdis pas tout à fait l'espérance;
mais au dernier clou je me sentis défaillir, mon coeur se serra, car je compris
qu'il n'y avait plus rien de commun entre le monde et moi: ce dernier clou me
rivait au néant pour toujours. Alors seulement je compris toute l'horreur de ma
position.
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius   Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius - Page 5 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:15


"On m'emporta; le roulement sourd des roues m'apprit que j'étais dans le
corbillard; car bien que je ne pusse manifester mon existence d'aucune manière,
je n'étais privé d'aucun de mes sens. La voiture s'arrêta, on retira le
cercueil. J'étais à l'église, j'entendais parfaitement le chant nasillard des
prêtres, et je voyais briller à travers les fentes de la bière la lueur jaune
des cierges. La messe finie, on partit pour le cimetière; quand on me descendit
dans la fosse, je ramassai toutes mes forces, et je crois que je parvins à
pousser un cri; mais le fracas de la terre qui roulait sur le cercueil le
couvrit entièrement: je me trouvais dans une obscurité palpable et compacte,
plus noire que celle de la nuit. Du reste, je ne souffrais pas, corporellement
du moins; quant à mes souffrances morales, il faudrait un volume pour les
analyser. L'idée que j'allais mourir de faim ou être mangé aux vers, sans
pouvoir l'empêcher, se présenta la première; ensuite je pensai aux événements de
la veille, à Jacintha, à mon tableau qui aurait eu tant de succès au Salon, à
mon drame qui allait être joué, à une partie que j'avais projetée avec mes
camarades, à un habit que mon tailleur devait me rapporter ce jour-là; que sais-
je, moi? à mille choses dont je n'aurais guère dû m'inquiéter; puis revenant à
Jacintha, je réfléchis sur la manière dont elle s'était conduite; je repassai
chacun de ses gestes, chacune de ses paroles, dans ma mémoire; je crus me
rappeler qu'il y avait quelque chose d'outré et d'affecté dans ses larmes, dont
je n'aurais pas dû être la dupe: cela me fit ressouvenir de plusieurs choses que
j'avais totalement oubliées; plusieurs détails auxquels je n'avais pas pris
garde, considérés sous un nouveau jour, me parurent d'une haute importance; des
démonstrations que j'aurais juré sincères me semblèrent louches; il me revint
dans l'esprit qu'un jeune homme, un espèce de fat moitié cravate, moitié
éperons, lui avait autrefois fait la cour. Un soir, nous jouions ensemble,
Jacintha m'avait appelé du nom de ce jeune homme au lieu du mien, signe certain
de préoccupation; d'ailleurs je savais qu'elle en avait parlé favorablement dans
le monde à plusieurs reprises, et comme de quelqu'un qui ne lui déplairait pas.
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius   Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius - Page 5 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:15

"Cette idée s'empara de moi, ma tête commença à fermenter; je fis des
rapprochements, des suppositions, des interprétations: comme on doit bien le
penser, elles ne furent pas favorables à Jacintha. Un sentiment inconnu se
glissa dans mon coeur, et m'apprit ce que c'était que souffrir; je devins
horriblement jaloux, et je ne doutai pas que ce ne fût Jacintha qui, de concert
avec son amant, ne m'eût fait enterrer tout vif pour se débarrasser de moi. Je
pensai que peut-être en ce moment même ils riaient à gorge déployée du succès de
leur stratagème, et que Jacintha livrait aux baisers de l'autre cette bouche qui
m'avait juré tant de fois n'avoir jamais été touchée par d'autres lèvres que les
miennes.
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius   Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius - Page 5 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:15

"A cette idée, j'entrai dans une fureur telle que je repris la faculté de me
mouvoir; je fis un soubresaut si violent, que je rompis d'un seul coup les
coutures de mon linceul. Quand j'eus les jambes et les bras libres, je donnai de
grands coups de coudes et de genoux au couvercle de la bière pour le faire
sauter et aller tuer mon infidèle aux bras de son lâche et misérable galant.
Sanglante dérision, moi, enterré, je voulais donner la mort! Le poids énorme de
la terre qui pesait sur les planches rendit mes efforts inutiles. Epuisé de
fatigue, je retombai dans ma première torpeur, mes articulations s'ossifièrent:
de nouveau je redevins cadavre. Mon agitation mentale se calma, je jugeai plus
sainement les choses: les souvenirs de tout ce que la jeune femme avait fait
pour moi, son dévouement, ses soins qui ne s'étaient jamais démentis, eurent
bientôt fait évanouir ces ridicules soupçons.
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius   Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius - Page 5 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:15


"Ayant usé tous mes sujets de méditation, et ne sachant comment tuer le temps,
je me mis à faire des vers; dans ma triste situation, ils ne pouvaient pas être
fort gais: ceux du nocturne Young et du sépulcral Hervey ne sont que des
bouffonneries, comparés à ceux-là. J'y dépeignais les sensations d'un homme
conservant sous terre toutes les passions qu'il avait eues dessus, et
j'intitulai cette rêverie cadavéreuse: La vie dans la mort. Un beau titre, sur
ma foi! et ce qui me désespérait, c'était de ne pouvoir les réciter à personne.
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius   Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius - Page 5 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:15

"J'avais à peine terminé la dernière strophe, que j'entendis piocher avec ardeur
au-dessus de ma tête. Un rayon d'espérance illumina ma nuit. Les coups de pioche
se rapprochaient rapidement. La joie que je ressentis ne fut pas de longue
durée: les coups de pioche cessèrent. Non, l'on ne peut rendre avec des mots
humains l'angoisse abominable que j'éprouvai en ce moment; la mort réelle n'est
rien en comparaison. Enfin j'entendis encore du bruit: les fossoyeurs, après
s'être reposés, avaient repris leur besogne. J'étais au ciel; je sentais ma
délivrance s'approcher. Le dessus du cercueil sauta. Je sentis l'air froid de la
nuit. Cela me fit grand bien, car je commençais à étouffer. Cependant mon
immobilité continuait; quoique vivant, j'avais toutes les apparences d'un mort.
Deux hommes me saisirent: voyant les coutures du linceul rompues, ils
échangèrent en ricanant quelques plaisanteries grossières, me chargèrent sur
leurs épaules et m'emportèrent. Tout en marchant ils chantonnaient à demi-voix
des couplets obscènes. Cela me fit penser à la scène des fossoyeurs, dans Hamlet
et je me dis en moi-même que Shakespeare était un bien grand homme.
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius   Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius - Page 5 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:15

"Après m'avoir fait passer par bien des ruelles détournées, ils entrèrent dans
une maison que je reconnus pour être celle de mon médecin; c'était lui qui
m'avait fait déterrer afin de savoir de quoi j'étais mort. On me déposa sur une
table de marbre. Le docteur entra avec une trousse d'instruments; il les étala
complaisamment sur une commode. A la vue de ces scalpels, de ces bistouris, de
ces lancettes, de ces scies d'acier luisantes et polies, j'éprouvai une frayeur
horrible, car je compris qu'on allait me disséquer; mon âme, qui jusque-là
n'avait pas abandonné mon corps, n'hésita plus à me quitter: au premier coup de
scalpel elle était tout à fait dégagée de ses entraves. Elle aimait mieux subir
tous les désagréments d'une intelligence dépossédée de ses moyens de
manifestation physique, que de partager avec mon corps ces effroyables tortures.
D'ailleurs, il n'y avait plus espérance de le conserver, il allait être mis en
pièces, et n'aurait pu servir à grand-chose quand même ce déchiquetement ne
l'eût pas tué tout de bon. Ne voulant pas assister au dépècement de sa chère
enveloppe, mon âme se hâta de sortir.
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius   Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius - Page 5 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:16

"Elle traversa rapidement une enfilade de chambres, et se trouva sur l'escalier.
Par habitude, je descendis les marches une à une; mais j'avais besoin de me
retenir, car je me sentais une légèreté merveilleuse. J'avais beau me cramponner
au sol, une force invincible m'attirait en haut; c'était comme si j'eusse été
attaché à un ballon gonflé de gaz: la terre fuyait mes pieds, je n'y touchais
que par l'extrémité des orteils, je dis des orteils, car bien que je ne fusse
qu'un pur esprit, j'avais conservé le sentiment des membres que je n'avais plus,
à peu près comme un amputé qui souffre de son bras ou de sa jambe absente. Lassé
de ces efforts pour rester dans une attitude normale, et, du reste, ayant fait
réflexion que mon âme immatérielle ne devait pas se voiturer d'un lieu à l'autre
par les mêmes procédés que ma misérable guenille de corps, je me laissai faire à
cet ascendant, et je commençai à quitter terre sans pourtant m'élever trop, et
me maintenant dans la région moyenne. Bientôt je m'enhardis, et je volai tantôt
haut, tantôt bas, comme si je n'eusse fait autre chose de ma vie. Il commençait
à faire jour: je montai, je montai, regardant aux vitres des mansardes des
grisettes qui se levaient et faisaient leur toilette, me servant des cheminées
comme de tubes acoustiques pour entendre ce qu'on disait dans les appartements.
Je dois dire que je ne vis rien de bien beau, et que je ne recueillis rien de
piquant. M'accoutumant à ces façons d'aller, je planai sans crainte dans l'air
libre, au-dessus du brouillard, et je considérai de haut cette immense étendue
de toits qu'on prendrait pour une mer figée au moment d'une tempête, ce chaos
hérissé de tuyaux, de flèches, de dômes, de pignons, baigné de brume et de
fumée, si beau, si pittoresque, que je ne regrettai pas d'avoir perdu mon corps.
Le Louvre m'apparut blanc et noir, son fleuve à ses pieds, ses jardins verts à
l'autre bout. La foule s'y portait; il y avait exposition: j'entrai. Les
murailles flamboyaient diaprées de peintures nouvelles, chamarrées de cadres
d'or richement sculptés. Les bourgeois allaient, venaient, se coudoyaient, se
marchaient sur les pieds, ouvraient des yeux hébétés, se consultaient les uns
les autres comme des gens dont on n'a pas encore fait l'avis, et qui ne savent
ce qu'ils doivent penser et dire. Dans la grand-salle, au milieu des tableaux de
nos jeunes grands maîtres, Delacroix, Ingres, Decamps, j'aperçus mon tableau à
moi: la foule se serrait autour, c'était un rugissement d'admiration; ceux qui
étaient derrière et ne voyaient rien criaient deux fois plus fort: Prodigieux!
prodigieux! Mon tableau me sembla à moi-même beaucoup mieux qu'auparavant, et je
me sentis saisi d'un profond respect pour ma propre personne. Cependant, à
toutes ces formules admiratives se mêlait un nom qui n'était pas le mien; je vis
qu'il y avait là-dessous quelque supercherie. J'examinai la toile avec
attention: un nom en petits caractères rouges était écrit à l'un de ses coins.
C'était celui d'un de mes amis qui, me voyant mort, ne s'était pas fait scrupule
de s'approprier mon oeuvre. Oh! alors, que je regrettai mon pauvre corps! Je ne
pouvais ni parler, ni écrire; je n'avais aucun moyen de réclamer ma gloire et de
démasquer l'infâme plagiaire. Le coeur navré, je me retirai tristement pour ne
pas assister à ce triomphe qui m'était dû. Je voulus voir Jacintha. J'allai chez
elle, je ne la trouvai pas; je la cherchai vainement dans plusieurs maisons où
je pensais qu'elle pourrait être. Ennuyé d'être seul, quoiqu'il fût déjà tard,
l'envie me prit d'aller au spectacle; j'entrai à la Porte-Saint-Martin, je fis
réflexion que mon nouvel état avait cela d'agréable que je passais partout sans
payer. La pièce finissait, c'était la catastrophe. Dorval, l'oeil sanglant,
noyée de larmes, les lèvres bleues, les tempes livides, échevelée, à moitié nue,
se tordait sur l'avant-scène à deux pas de la rampe. Bocage, fatal et
silencieux, se tenait debout dans le fond: tous les mouchoirs étaient en jeu;
les sanglots brisaient les corsets; un tonnerre d'applaudissements
entrecoupaient chaque râle de la tragédienne; le parterre, noir de têtes,
houlait comme une mer; les loges se penchaient sur les galeries, les galeries
sur le balcon. La toile tomba: je crus que la salle allait crouler: c'étaient
des battements de mains, des trépignements, des hurlements; or, cette pièce
était ma pièce; jugez! J'étais grand à toucher le plafond. Le rideau se leva, on
jeta à cette foule le nom de l'auteur.
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius   Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius - Page 5 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:16

"Ce n'était pas le mien, c'était le nom de l'ami qui m'avait déjà volé mon
tableau. Les applaudissements redoublèrent. On voulait traîner l'auteur sur le
théâtre: le monstre était dans une loge obscure avec Jacintha. Quand on proclama
son nom, elle se jeta à son cou, et lui appuya sur la bouche le baiser le plus
enragé que jamais femme ait donné à un homme. Plusieurs personnes la virent;
elle ne rougit même pas: elle était si enivrée, si folle et si fière de son
succès, qu'elle se serait, je crois, prostituée à lui dans cette loge et devant
tout le monde. Plusieurs voix crièrent: Le voilà! le voilà! Le drôle prit un air
modeste, et salua profondément. Le lustre, qui s'éteignit, mit fin à cette
scène. Je n'essayerai pas de décrire ce qui se passait dans moi; la jalousie, le
mépris, l'indignation se heurtaient dans mon âme; c'était un orage d'autant plus
furieux que je n'avais aucun moyen de le mettre au-dehors: la foule s'écroula,
je sortis du théâtre; j'errai quelque temps dans la rue, ne sachant où aller. La
promenade ne me réjouissait guère. Il sifflait une bise piquante: ma pauvre âme,
frileuse comme l'était mon corps, grelottait et mourait de froid. Je rencontrai
une fenêtre ouverte, j'entrai, résolu de gîter dans cette chambre jusqu'au
lendemain. La fenêtre se ferma sur moi: j'aperçus assis dans une grande bergère
à ramages un personnage des plus singuliers. C'était un grand homme, maigre,
sec, poudré à frimas, la figure ridée comme une vieille pomme, une énorme paire
de besicles à cheval sur un maître-nez, baisant presque le menton. Une petite
estafilade transversale, semblable à une ouverture de tirelire, enfouie sous une
infinité de plis et de poils roides comme des soies de sanglier, représentait
tant bien que mal ce que nous appellerons une bouche, faute d'autre terme. Un
antique habit noir, limé jusqu'à la corde, blanc sur toutes les coutures, une
veste d'étoffe changeante, une culotte courte, des bas chinés et des souliers à
boucles: voilà pour le costume. A mon arrivée, ce digne personnage se leva et
alla prendre dans une armoire deux brosses faites d'une manière spéciale: je
n'en pus deviner d'abord l'usage; il en prit une dans chaque main, et se mit à
parcourir la chambre avec une agilité surprenante comme s'il poursuivait
quelqu'un, et choquant ses brosses l'une contre l'autre du côté des barbes; je
compris alors que c'était le fameux M. Berbiguier de Terre-Neuve-du-Thym, qui
faisait la chasse aux farfadets; j'étais fort inquiet de ce qui allait arriver,
il semblait que cet hétéroclite individu eût la faculté de voir l'invisible, il
me suivait exactement, et j'avais toutes les peines du monde à lui échapper.
Enfin, il m'accula dans une encoignure, il brandit ses deux fatales brosses, des
millions de dards me criblèrent l'âme, chaque crin faisait un trou, la douleur
était insoutenable: oubliant que je n'avais ni langue, ni poitrine, je fis de
merveilleux efforts pour crier; et..."
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Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius - Page 5 Empty
MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius   Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius - Page 5 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:16

Onuphrius en était là de son rêve lorsque j'entrai dans l'atelier: il criait
effectivement à pleine gorge; je le secouai, il se frotta les yeux et me regarda
d'un air hébété; enfin il me reconnut, et me raconta, ne sachant trop s'il avait
veillé ou dormi, la série de ses tribulations que l'on vient de lire; ce n'était
pas, hélas! les dernières qu'il devait éprouver réellement ou non. Depuis cette
nuit fatale, il resta dans un état d'hallucination presque perpétuel qui ne lui
permettait pas de distinguer ses rêveries d'avec le vrai. Pendant qu'il dormait,
Jacintha avait envoyé chercher le portrait; elle aurait bien voulu y aller elle-
même, mais sa robe tachée l'avait trahie auprès de sa tante, dont elle n'avait
pu tromper la surveillance.
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Théophile Gautier. (1811-1872) Onuphrius
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