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 Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse

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MessageSujet: Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse    Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse  - Page 7 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:36

Rappel du premier message :

La morte amoureuse


Vous me demandez, frère, si j'ai aimé; oui. C'est une histoire singulière et
terrible, et, quoique j'ai soixante-six ans, j'ose à peine remuer la cendre de
ce souvenir. Je ne veux rien vous refuser, mais je ne ferais pas à une âme moins
éprouvée un pareil récit. Ce sont des événements si étranges, que je ne puis
croire qu'ils me soient arrivés. J'ai été pendant plus de trois ans le jouet
d'une illusion singulière et diabolique. Moi, pauvre prêtre de campagne, j'ai
mené en rêve toutes les nuits (Dieu veuille que ce soit un rêve!) une vie de
damné, une vie de mondain et de Sardanapale. Un seul regard trop plein de
complaisance jeté sur une femme pensa causer la perte de mon âme; mais enfin,
avec l'aide de Dieu et de mon saint patron, je suis parvenu à chasser l'esprit
malin qui s'était emparé de moi. Mon existence s'était compliquée d'une
existence nocturne entièrement différente. Le jour, j'étais un prêtre du
Seigneur, chaste, occupé de la prière et des choses saintes; la nuit, dès que
j'avais fermé les yeux, je devenais un jeune seigneur, fin connaisseur en
femmes, en chiens et en chevaux, jouant aux dés, buvant et blasphémant; et
lorsqu'au lever de l'aube je me réveillais, il me semblait au contraire que je
m'endormais et que je rêvais que j'étais prêtre. De cette vie somnambulique il
m'est resté des souvenirs d'objets et de mots dont je ne puis pas me défendre,
et, quoique je ne sois jamais sorti des murs de mon presbytère, on dirait
plutôt, à m'entendre, un homme ayant usé de tout et revenu du monde, qui est
entré en religion et qui veut finir dans le sein de Dieu des jours trop agités,
qu'un humble séminariste qui a vieilli dans une cure ignorée, au fond d'un bois
et sans aucun rapport avec les choses du siècle.
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse    Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse  - Page 7 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:47

Elle avait assez d'or; elle ne voulait plus que de
l'amour, un amour jeune, pur, éveillé par elle, et qui devait être le premier et
le dernier. J'aurais été parfaitement heureux sans un maudit cauchemar qui
revenait toutes les nuits, et où je me croyais un curé de village se macérant et
faisant pénitence de mes excès du jour. Rassuré par l'habitude d'être avec elle,
je ne songeais presque plus à la façon étrange dont j'avais fait connaissance
avec Clarimonde. Cependant, ce qu'en avait dit l'abbé Sérapion me revenait
quelquefois en mémoire et ne laissait pas que de me donner de l'inquiétude.
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse    Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse  - Page 7 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:47

Depuis quelque temps la santé de Clarimonde n'était pas aussi bonne; son teint
s'amortissait de jour en jour. Les médecins qu'on fit venir n'entendaient rien à
sa maladie, et ils ne savaient qu'y faire. Ils prescrivirent quelques remèdes
insignifiants et ne revinrent plus. Cependant elle pâlissait à vue d'oeil et
devenait de plus en plus froide. Elle était presque aussi blanche et aussi morte
que la fameuse nuit dans le château inconnu. Je me désolais de la voir ainsi
lentement dépérir. Elle, touchée de ma douleur, me souriait doucement et
tristement avec le sourire fatal des gens qui savent qu'ils vont mourrir.
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse    Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse  - Page 7 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:47

Un matin, j'étais assis auprès de son lit, et je déjeunais sur une petite table
pour ne la pas quitter d'une minute. En coupant un fruit, je me fis par hasard
au doigt une entaille assez profonde. Le sang partit aussitôt en filets
pourpres, et quelques gouttes rejaillirent sur Clarimonde. Ses yeux
s'éclairèrent, sa physionomie prit une expression de joie féroce et sauvage que
je ne lui avais jamais vue. Elle sauta à bas du lit avec une agilité animale,
une agilité de singe ou de chat, et se précipita sur ma blessure qu'elle se mit
à sucer avec un air d'indicible volupté.
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse    Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse  - Page 7 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:47

Elle avalait le sang par petites
gorgées, lentement et précieusement, comme un gourmet qui savoure un vin de
Xérès ou de Syracuse; elle clignait les yeux à demi, et la pupille de ses
prunelles vertes était devenue oblongue au lieu de ronde. De temps à autre elle
s'interrompait pour me baiser la main, puis elle recommençait à presser de ses
lèvres les lèvres de la plaie pour en faire sortir encore quelques gouttes
rouges. Quand elle vit que le sang ne venait plus, elle se releva l'oeil humide
et brillant, plus rose qu'une aurore de mai, la figure pleine, la main tiède et
moite, enfin plus belle que jamais et dans un état parfait de santé.
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse    Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse  - Page 7 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:48

"Je ne mourrai pas! je ne mourrai pas! dit-elle à moitié folle de joie et en se
pendant à mon cou; je pourrai t'aimer encore longtemps. Ma vie est dans la
tienne, et tout ce qui est moi vient de toi. Quelques gouttes de ton riche et
noble sang, plus précieux et plus efficace que tous les élixirs du monde, m'ont
rendu l'existence."
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse    Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse  - Page 7 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:48

Cette scène me préoccupa longtemps et m'inspira d'étranges doutes à l'endroit de
Clarimonde, et le soir même, lorsque le sommeil m'eut ramené à mon presbytère,
je vis l'abbé Sérapion plus grave et plus soucieux que jamais. Il me regarda
attentivement et me dit: "Non content de perdre votre âme, vous voulez aussi
perdre votre corps. Infortuné jeune homme, dans quel piège êtes-vous tombé!" Le
ton dont il me dit ce peu de mots me frappa vivement; mais, malgré sa vivacité,
cette impression fut bientôt dissipée, et mille autres soins l'effacèrent de mon
esprit. Cependant, un soir, je vis dans ma glace, dont elle n'avait pas calculé
la perfide position, Clarimonde qui versait une poudre dans la coupe de vin
épicé qu'elle avait coutume de préparer après le repas. Je pris la coupe, je
feignis d'y porter mes lèvres, et je la posai sur quelque meuble comme pour
l'achever plus tard à mon loisir, et, profitant d'un instant où la belle avait
le dos tourné, j'en jetai le contenu sous la table; après quoi je me retirai
dans ma chambre et je me couchai, bien déterminé à ne pas dormir et à voir ce
que tout cela deviendrait. Je n'attendis pas longtemps; Clarimonde entra en robe
de nuit, et, s'étant débarrassée de ses voiles, s'allongea dans le lit auprès de
moi. Quand elle se fut bien assurée que je dormais, elle découvrit mon bras et
tira une épingle d'or de sa tête; puis elle se mit à murmurer à voix basse:
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse    Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse  - Page 7 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:48

"Une goutte, rien qu'une petite goutte rouge, un rubis au bout de mon
aiguille!... Puisque tu m'aimes encore, il ne faut pas que je meure... Ah!
pauvre amour, ton beau sang d'une couleur pourpre si éclatante, je vais le
boire. Dors mon seul bien; dors, mon dieu, mon enfant; je ne te ferai pas de
mal, je ne prendrai de ta vie que ce qu'il faudra pour ne pas laisser éteindre
la mienne. Si je ne t'aimais pas tant, je pourrais me résoudre à avoir d'autres
amants dont je tarirais les veines; mais depuis que je te connais, j'ai tout le
monde en horreur... Ah! le beau bras! comme il est rond! comme il est blanc! Je
n'oserai jamais piquer cette jolie veine bleue." Et, tout en disant cela, elle
pleurait, et je sentais pleuvoir ses larmes sur mon bras qu'elle tenait entre
ses mains. Enfin elle se décida, me fit une petite piqûre avec son aiguille et
se mit à pomper le sang qui en coulait. Quoiqu'elle en eût bu à peine quelques
gouttes, la crainte de m'épuiser la prenant, elle m'entoura avec soin le bras
d'une petite bandelette après avoir frotté la plaie d'un onguent qui la
cicatrisa sur-le-champ.
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse    Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse  - Page 7 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:48

Je ne pouvais plus avoir de doutes, l'abbé Sérapion avait raison. Cependant,
malgré cette certitude, je ne pouvais m'empêcher d'aimer Clarimonde, et je lui
aurais volontiers donné tout le sang dont elle avait besoin pour soutenir son
existence factice. D'ailleurs, je n'avais pas grand-peur; la femme me répondait
du vampire, et ce que j'avais entendu et vu me rassurait complètement; j'avais
alors des veines plantureuses qui ne se seraient pas de sitôt épuisées, et je ne
marchandais pas ma vie goutte à goutte. Je me serais ouvert le bras moi-même et
je lui aurais dit: "Bois! et que mon amour s'infiltre dans ton corps avec mon
sang!" J'évitais de faire la moindre allusion au narcotique qu'elle m'avait
versé et à la scène de l'aiguille, et nous vivions dans le plus parfait accord.
Pourtant mes scrupules de prêtre me tourmentaient plus que jamais, et je ne
savais quelle macération nouvelle inventer pour mater et mortifier ma chair.
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse    Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse  - Page 7 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:48

Quoique toutes ces visions fussent involontaires et que je n'y participasse en
rien, je n'osais pas toucher le Christ avec des mains aussi impures et un esprit
souillé par de pareilles débauches réelles ou rêvées. Pour éviter de tomber dans
ces fatigantes hallucinations, j'essayais de m'empêcher de dormir, je tenais mes
paupières ouvertes avec les doigts et je restais debout au long des murs,
luttant contre le sommeil de toutes mes forces; mais le sable de
l'assoupissement me roulait bientôt dans les yeux, et, voyant que toute lutte
était inutile, je laissais tomber les bras de découragement et de lassitude, et
le courant me rentraînait vers les rives perfides. Sérapion me faisait les plus
véhémentes exhortations, et me reprochait durement ma mollesse et mon peu de
ferveur.
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse    Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse  - Page 7 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:49

Un jour que j'avais été plus agité qu'à l'ordinaire, il me dit: "Pour
vous débarrasser de cette obsession, il n'y a qu'un moyen, et, quoiqu'il soit
extrême, il le faut employer: aux grands maux les grands remèdes. Je sais où
Clarimonde a été enterrée; il faut que nous la déterrions et que vous voyiez
dans quel état pitoyable est l'objet de votre amour; vous ne serez plus tenté de
perdre votre âme pour un cadavre immonde dévoré des vers et près de tomber en
poudre; cela vous fera assurément rentrer en vous-même." Pour moi, j'étais si
fatigué de cette double vie, que j'acceptai: voulant savoir, une fois pour
toutes, qui du prêtre ou du gentilhomme était dupe d'une illusion, j'étais
décidé à tuer au profit de l'un ou de l'autre un des deux hommes qui étaient en
moi ou à les tuer tous les deux, car une pareille vie ne pouvait durer. L'abbé
Sérapion se munit d'une pioche, d'un levier et d'une lanterne, et à minuit nous
nous dirigeâmes vers le cimetière de ***, dont il connaissait parfaitement le
gisement et la disposition. Après avoir porté la lumière de la lanterne sourde
sur les inscriptions de plusieurs tombeaux, nous arrivâmes enfin à une pierre à
moitié cachée par les grandes herbes et dévorée de mousses et de plantes
parasites, où nous déchiffrâmes ce commencement d'inscription:
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MessageSujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse    Théophile Gautier. (1811-1872) La morte amoureuse  - Page 7 Icon_minitimeDim 28 Juil - 13:49

Ici gît Clarimonde

Qui fut de son vivant

La plus belle du monde.

...

"C'est bien ici", dit Sérapion, et, posant à terre sa lanterne, il glissa la
pince dans l'interstice de la pierre et commença à la soulever. La pierre céda,
et il se mit à l'ouvrage avec la pioche. Moi, je le regardais faire, plus noir
et plus silencieux que la nuit elle-même; quant à lui, courbé sur son oeuvre
funèbre il ruisselait de sueur, il haletait, et son souffle pressé avait l'air
d'un râle d'agonisant. C'était un spectacle étrange, et qui nous eût vus du
dehors nous eût plutôt pris pour des profanateurs et des voleurs de linceuls,
que pour des prêtres de Dieu. Le zèle de Sérapion avait quelque chose de dur et
de sauvage qui le faisait ressembler à un démon plutôt qu'à un apôtre ou à un
ange, et sa figure aux grands traits austères et profondément découpés par le
reflet de la lanterne n'avait rien de très rassurant
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