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| | Théophile Gautier. (1811-1872) La pipe d'opium | |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
 | Sujet: Théophile Gautier. (1811-1872) La pipe d'opium Dim 28 Juil - 14:16 | |
| Rappel du premier message :
La pipe d'opium
L'autre jour, je trouvai mon ami Alphonse Karr assis sur son divan, avec une bougie allumée, quoiqu'il fit grand jour, et tenant à la main un tuyau de bois de cerisier muni d'un champignon de porcelaine sur lequel il faisait dégoutter une espèce de pâte brune assez semblable à la cire à cacheter; cette pâte flambait et grésillait dans la cheminée du champignon, et il aspirait par une petite embouchure d'ambre jaune la fumée qui se répandait ensuite dans la chambre avec une vague odeur de parfum oriental. |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La pipe d'opium Dim 28 Juil - 14:17 | |
| Il avait le visage fort animé et l'air triomphant, et il disait, en se frottant les mains:
"Je vois aux antipodes, et j'ai trouvé la Mandragore qui parle."
Cette apparition me surprit, et je dis à Karr:
"O Karr! concevez-vous qu'Esquiros, qui n'était pas là tout à l'heure, soit entré sans qu'on ait ouvert la porte?
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|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La pipe d'opium Dim 28 Juil - 14:17 | |
| - Rien n'est plus simple, répondit Karr. L'on entre par les portes fermées, c'est l'usage; il n'y a que les gens mal élevés qui passent par les portes ouvertes. Vous savez bien qu'on dit comme injure: Grand enfonceur de portes ouvertes."
Je ne trouvai aucune objection à faire contre un raisonnement si sensé, et je restai convaincu qu'en effet la présence d'Esquiros n'avait rien que de fort explicable et de très légal en soi-même. |
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 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La pipe d'opium Dim 28 Juil - 14:18 | |
| Cependant il me regardait d'un air étrange, et ses yeux s'agrandissaient d'une façon démesurée; ils étaient ardents et ronds comme des boucliers chauffés dans une fournaise, et son corps se dissipait et se noyait dans l'ombre, de sorte que je ne voyais plus de lui que ses deux prunelles flamboyantes et rayonnantes.
Des réseaux de feu et des torrents d'effluves magnétiques papillotaient et tourbillonnaient autour de moi, s'enlaçant toujours plus inextricablement et se resserrant toujours; des fils étincelants aboutissaient à chacun de mes pores, et s'implantaient dans ma peau à peu près comme les cheveux dans la tête. J'étais dans un état de somnambulisme complet.
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|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La pipe d'opium Dim 28 Juil - 14:18 | |
| Je vis alors des petits flocons blancs qui traversaient l'espace bleu du plafond comme des touffes de laine emportées par le vent, ou comme un collier de colombe qui s'égrène dans l'air.
Je cherchais vainement à deviner ce que c'était, quand une voix basse et brève me chuchota à l'oreille, avec un accent étrange: - Ce sont des esprits!!! Les écailles de mes yeux tombèrent; les vapeurs blanches prirent des formes plus précises, et j'aperçus distinctement une longue file de figures voilées qui suivaient la corniche, de droite à gauche, avec un mouvement d'ascension très prononcé, comme si un souffle impérieux les soulevait et leur servait d'aile. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La pipe d'opium Dim 28 Juil - 14:18 | |
| A l'angle de la chambre, sur la moulure du plafond, se tenait assise une forme de jeune fille enveloppée dans une large draperie de mousseline.
Ses pieds, entièrement nus, pendaient nonchalamment croisés l'un sur l'autre; ils étaient, du reste, charmants, d'une petitesse et d'une transparence qui me firent penser à ces beaux pieds de jaspe qui sortent si blancs et si purs de la jupe de marbre noir de l'Isis antique du Musée.
Les autres fantômes lui frappaient sur l'épaule en passant, et lui disaient:
"Nous allons dans les étoiles, viens donc avec nous."
L'ombre au pied d'albâtre leur répondait: |
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 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La pipe d'opium Dim 28 Juil - 14:18 | |
| "Non! je ne veux pas aller dans les étoiles; je voudrais vivre six mois encore."
Toute la file passa, et l'ombre resta seule, balançant ses jolis petits pieds, et frappant le mur de son talon nuancé d'une teinte rose, pâle et tendre comme le coeur d'une clochette sauvage; quoique sa figure fût voilée, je la sentais jeune, adorable et charmante, et mon âme s'élançait de son côté, les bras tendus, les ailes ouvertes.
L'ombre comprit mon trouble par intention ou sympathie, et dit d'une voix douce et cristalline comme un harmonica:
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|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La pipe d'opium Dim 28 Juil - 14:18 | |
| "Si tu as le courage d'aller embrasser sur la bouche celle qui fut moi, et dont le corps est couché dans la ville noire, je vivrai six mois encore, et ma seconde vie sera pour toi."
Je me levai, et me fis cette question:
A savoir, si je n'étais pas le jouet de quelque illusion, et si tout ce qui se passait n'était pas un rêve.
C'était une dernière lueur de la lampe de la raison éteinte par le sommeil.
Je demandai à mes deux amis ce qu'ils pensaient de tout cela.
L'imperturbable Karr prétendit que l'aventure était commune, qu'il en avait eu plusieurs du même genre, et que j'étais d'une grande naïveté de m'étonner de si peu.
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|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La pipe d'opium Dim 28 Juil - 14:18 | |
| Esquiros expliqua tout au moyen du magnétisme.
"Allons, c'est bien, je vais y aller; mais je suis en pantoufles...
- Cela ne fait rien, dit Esquiros, je pressens une voiture à la porte."
Je sortis, et je vis, en effet, un cabriolet à deux chevaux qui semblait attendre. Je montai dedans.
Il n'y avait pas de cocher. - Les chevaux se conduisaient eux-mêmes; ils étaient tout noirs, et galopaient si furieusement, que leurs croupes s'abaissaient et se levaient comme des vagues, et que des pluies d'étincelles pétillaient derrière eux.
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|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La pipe d'opium Dim 28 Juil - 14:18 | |
| Ils prirent d'abord la rue de La-Tour-d'Auvergne, puis la rue Bellefond, puis la rue Lafayette, et, à partir de là, d'autres rues dont je ne sais pas les noms.
A mesure que la voiture allait, les objets prenaient autour de moi des formes étranges: c'étaient des maisons rechignées, accroupies au bord du chemin comme de vieilles filandières, des clôtures en planches, des réverbères qui avaient l'air de gibets à s'y méprendre; bientôt les maisons disparurent tout à fait, et la voiture roulait dans la rase campagne.
Nous filions à travers une plaine morne et sombre; - le ciel était très bas, couleur de plomb, et une interminable procession de petits arbres fluets courait, en sens inverse de la voiture, des deux côtés du chemin; l'on eût dit une armée de manches à balai en déroute. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La pipe d'opium Dim 28 Juil - 14:18 | |
| Rien n'était sinistre comme cette immensité grisâtre que la grêle silhouette des arbres rayait de hachures noires: - pas une étoile ne brillait, aucune paillette de lumière n'écaillait la profondeur blafarde de cette demi-obscurité.
Enfin, nous arrivâmes à une ville, à moi inconnue, dont les maisons d'une architecture singulière, vaguement entrevue dans les ténèbres, me parurent d'une petitesse à ne pouvoir être habitées; - la voiture, quoique beaucoup plus large que les rues qu'elle traversait, n'éprouvait aucun retard; les maisons se rangeaient à droite et à gauche comme des passants effrayés, et laissaient le chemin libre. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) La pipe d'opium Dim 28 Juil - 14:19 | |
| Après plusieurs détours, je sentis la voiture fondre sous moi, et les chevaux s'évanouirent en vapeurs, j'étais arrivé.
Une lumière rougeâtre filtrait à travers les interstices d'une porte de bronze qui n'était pas fermée; je la poussai, et je me trouvai dans une salle dallée de marbre blanc et noir et voûtée en pierre; une lampe antique, posée sur un socle de brèche violette, éclairait d'une lueur blafarde une figure couchée, que je pris d'abord pour une statue comme celles qui dorment les mains jointes, un lévrier aux pieds, dans les cathédrales gothiques; mais je reconnus bientôt que c'était une femme réelle. |
|  | | | Théophile Gautier. (1811-1872) La pipe d'opium | |
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