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| | Théophile Gautier. (1811-1872) Le chevalier double | |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
 | Sujet: Théophile Gautier. (1811-1872) Le chevalier double Dim 28 Juil - 14:46 | |
| Rappel du premier message :
Le chevalier double
Qui rend donc la blonde Edwige si triste? que fait-elle assise à l'écart, le menton dans sa main et le coude au genou, plus morne que le désespoir, plus pâle que la statue d'albâtre qui pleure sur un tombeau?
Du coin de sa paupière une grosse larme roule sur le duvet de sa joue, une seule, mais qui ne tarit jamais; comme cette goutte d'eau qui suinte des voûtes du rocher et qui à la longue use le granit, cette seule larme, en tombant sans relâche de ses yeux sur son coeur, l'a percé et traversé à jour.
Edwige, blonde Edwige, ne croyez-vous plus à Jésus-Christ le doux Sauveur? doutez-vous de l'indulgence de la très sainte Vierge Marie? Pourquoi portez-vous sans cesse à votre flanc vos petites mains diaphanes, amaigries et fluettes comme celles des Elfes et des Willis? Vous allez être mère; c'était votre plus cher voeu; votre noble époux, le comte Lodbrog, a promis un autel d'argent massif, un ciboire d'or fin à l'église de Saint-Euthbert si vous lui donniez un fils. |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Le chevalier double Dim 28 Juil - 14:49 | |
| - De quel compagnon voulez-vous parler, fleur de mon âme? dit Oluf très surpris à la jeune châtelaine.
- Du chevalier à l'étoile rouge que vous menez toujours avec vous. Celui qui est né d'un regard du chanteur bohémien, l'esprit funeste qui vous possède; défaites-vous du chevalier à l'étoile rouge, ou je n'écouterai jamais vos propos d'amour: je ne puis être la femme de deux hommes à la fois."
Oluf eut beau faire et beau dire, il ne put seulement parvenir à baiser le petit doigt rose de la main de Brenda; il s'en alla fort mécontent et résolu à combattre le chevalier à l'étoile rouge s'il pouvait le rencontrer. |
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 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Le chevalier double Dim 28 Juil - 14:49 | |
| Malgré l'accueil sévère de Brenda, Oluf reprit le lendemain la route du château à tourelles en forme de poivrière: les amoureux ne se rebutent pas aisément.
Tout en cheminant il se disait: "Brenda sans doute est folle; et que veut-elle dire avec son chevalier à l'étoile rouge?"
La tempête était des plus violentes; la neige tourbillonnait et permettait à peine de distinguer la terre du ciel. Une spirale de corbeaux, malgré les abois de Fenris et de Murg, qui sautaient en l'air pour les saisir, tournoyait sinistrement au-dessus du panache d'Oluf. A leur tête était le corbeau luisant comme le jais qui battait la mesure sur l'épaule du chanteur bohémien. |
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 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Le chevalier double Dim 28 Juil - 14:49 | |
| Fenris et Murg s'arrêtèrent subitement: leurs naseaux mobiles hument l'air avec inquiétude; ils subodorent la présence d'un ennemi. - Ce n'est point un loup ni un renard; un loup et un renard ne seraient qu'une bouchée pour ces braves chiens.
Un bruit de pas se fait entendre, et bientôt paraît au détour du chemin un chevalier monté sur un cheval de grande taille et suivi de deux chiens énormes.
Vous l'auriez pris pour Oluf. Il était armé exactement de même, avec un surcot historié du même blason; seulement il portait sur son casque une plume rouge au lieu d'une verte. La route était si étroite qu'il fallait que l'un des deux chevaliers reculât. |
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 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Le chevalier double Dim 28 Juil - 14:49 | |
| "Seigneur Oluf, reculez-vous pour que je passe, dit le chevalier à la visière baissée. Le voyage que je fais est un long voyage; on m'attend, il faut que j'arrive.
- Par la moustache de mon père, c'est vous qui reculerez. Je vais à un rendez- vous d'amour, et les amoureux sont pressés", répondit Oluf en portant la main sur la garde de son épée.
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|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Le chevalier double Dim 28 Juil - 14:49 | |
| L'inconnu tira la sienne, et le combat commença. Les épées, en tombant sur les mailles d'acier, en faisaient jaillir des gerbes d'étincelles pétillantes; bientôt, quoique d'une trempe supérieure, elles furent ébréchées comme des scies. On eût pris les combattants, à travers la fumée de leurs chevaux et la brume de leur respiration haletante, pour deux noirs forgerons acharnés sur un fer rouge. Les chevaux, animés de la même rage que leurs maîtres, mordaient à belles dents leurs cous veineux, et s'enlevaient des lambeaux de poitrail; ils s'agitaient avec des soubresauts furieux, se dressaient sur leurs pieds de derrière, et se servant de leurs sabots comme de poings fermés, ils se portaient des coups terribles pendant que leurs cavaliers se martelaient affreusement par- dessus leurs têtes; les chiens n'étaient qu'une morsure et qu'un hurlement. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Le chevalier double Dim 28 Juil - 14:49 | |
| Les gouttes de sang, suintant à travers les écailles imbriquées des armures et tombant toutes tièdes sur la neige, y faisaient de petits trous roses. Au bout de peu d'instants l'on aurait dit un crible, tant les gouttes tombaient fréquentes et pressées. Les deux chevaliers étaient blessés.
Chose étrange, Oluf sentait les coups qu'il portait au chevalier inconnu; il souffrait des blessures qu'il faisait et de celles qu'il recevait: il avait éprouvé un grand froid dans la poitrine, comme d'un fer qui entrerait et chercherait le coeur, et pourtant sa cuirasse n'était pas faussée à l'endroit du coeur: sa seule blessure était un coup dans les chairs au bras droit. Singulier duel, où le vainqueur souffrait autant que le vaincu, où donner et recevoir était une chose indifférente. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Le chevalier double Dim 28 Juil - 14:49 | |
| Ramassant ses forces, Oluf fit voler d'un revers le terrible heaume de son adversaire. - O terreur! que vit le fils d'Edwige et de Lodbrog? il se vit lui- même devant lui: un miroir eût été moins exact. Il s'était battu avec son propre spectre, avec le chevalier à l'étoile rouge; le spectre jeta un grand cri et disparut.
La spirale de corbeaux remonta dans le ciel et le brave Oluf continua son chemin; en revenant le soir à son château, il portait en croupe la jeune châtelaine, qui cette fois avait bien voulu l'écouter. Le chevalier à l'étoile rouge n'étant plus là, elle s'était décidée à laisser tomber de ses lèvres de rose, sur le coeur d'Oluf, cet aveu qui coûte tant à la pudeur. La nuit était claire et bleue, Oluf leva la tête pour chercher sa double étoile et la faire voir à sa fiancée: il n'y avait plus que la verte, la rouge avait disparu. |
|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Le chevalier double Dim 28 Juil - 14:49 | |
| En entrant, Brenda, tout heureuse de ce prodige qu'elle attribuait à l'amour, fit remarquer au jeune Oluf que le jais de ses yeux s'était changé en azur, signe de réconciliation céleste. - Le vieux Lodbrog en sourit d'aise sous sa moustache blanche au fond de son tombeau; car, à vrai dire, quoiqu'il n'en eût rien témoigné, les yeux d'Oluf l'avaient quelquefois fait réfléchir. - L'ombre d'Edwige est toute joyeuse, car l'enfant du noble seigneur Lodbrog a enfin vaincu l'influence maligne de l'oeil orange, du corbeau noir et de l'étoile rouge: l'homme a terrassé l'incube.
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|  | | Invité Invité
 | Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) Le chevalier double Dim 28 Juil - 14:50 | |
| Cette histoire montre comme un seul moment d'oubli, un regard même innocent, peuvent avoir d'influence.
Jeunes femmes, ne jetez jamais les yeux sur les maîtres chanteurs de Bohême, qui récitent des poésies enivrantes et diaboliques. Vous, jeunes filles, ne vous fiez qu'à l'étoile verte; et vous qui avez le malheur d'être double, combattez bravement, quand même vous devriez frapper sur vous et vous blesser de votre propre épée, l'adversaire intérieur, le méchant chevalier.
Si vous demandez qui nous a apporté cette légende de Norvège, c'est un cygne; un bel oiseau au bec jaune, qui a traversé le Fiord, moitié nageant, moitié volant.
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|  | | | Théophile Gautier. (1811-1872) Le chevalier double | |
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