Le Bengali
À une jeune fille créole
Les bengalis dont le ramage est si doux.
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE.
La France et ses printemps, ses hivers inconnus
Où la bise gémit, où les arbres sont nus,
Où l’on voit voltiger ces blancs flocons de neige
Que je désirais voir, et la glace, - que sais-je?
Mlle. L. A.
Oiseau dépaysé, qui t’amène vers nous?
Notre soleil est froid, notre ciel en courroux;
Nos bois sont chauves; à nos haies,
À nos buissons armés de dards aigus, au lieu
Des beaux fruits blonds mûris à vos midis de feu,
Pendent à peine quelques baies.
Comme nos passereaux hardis, pauvre étranger,
Bengali du désert, sauras-tu voltiger
Dans nos forêts de cheminées?
Parmi les tuyaux noirs qui fument, sauras-tu
Accrocher ton nid frêle à quelque toit pointu,
Entre deux pierres ruinées?
Entends-tu, bel oiseau, le rauque sifflement
De la bise du nord qui râle incessamment
Et fait chanter la girouette,
Le bruit confus des chars, des cloches, le frisson
De la pluie aux carreaux qui pleurent, et le son
Des tuiles que la grêle fouette?
Ouvre ton aile et pars, retourne-t’en là-bas,
Au bois des goyaviers, reprendre tes ébats;
Dans la savane aux grandes herbes,
Avec les colibris va becqueter les fleurs,
Boire à leurs coupes d’or, te baigner dans leurs pleurs,
Bâtir ton hamac sous leurs gerbes!