VIII
Dans cette solitude il est une eau perdue,
Un limpide courant fait de neige fondue,
Où vient boire l’oiseau chantant sur l’églantier:
L’empereur y descend. Aux ronces du sentier
Rejetant son manteau de martre zibeline,
Il court à la rivière et sur elle s’incline,
Et dans son casque d’or prend un flot ruisselant
Pour en venir laver la face de Roland.
Il revient au baron étendu sur la pierre,
Il verse de cette eau sur sa face guerrière:
« O mon neveu, dit-il, ô mon fils glorieux!
Je suis là, parle-moi!» Roland rouvre les yeux,
Et, d’un souffle de voix qui faible s’évapore:
« Où donc est Olivier? Respire-t-il encore?. . .
- Il n’est plus, répond Charle. - Ah! traître Ganelon!
- Que dis-tu? dit le roi. - Je dis que ce félon
Nous a trahis! Je dis que ce vil gentilhomme
Nous a vendus, nous a livrés pour une somme!. . .
Du prince Zurfalou je tiens ce noir secret.
- Perfide Ganelon, tu nous paîras ce trait,
Répond Charles; mais toi, ne meurs pas, je t’en prie!
Toi, le plus beau fleuron de ma chevalerie!
Amour de notre France, effroi de l’étranger,
Vis pour combattre encore et vaincre et te venger!. . .
Hélas! n’entends-tu pas cette voix qui te parle?
C’est moi, ton empereur, ton ami, ton roi Charle,
Moi qui suis revenu, précipitant le pas
Pour arriver à temps!. . . Mais non, il n’entend pas!
Sa noble tête penche et sur mon bras retombe:
Ce cher cadavre est là, déjà prêt pour la tombe!
J’avais un vain espoir que Dieu me le rendit. . .
Il est donc mort, Seigneur, ainsi qu’il l’avait dit!
Il a tenu parole. . . Un jour, je me rappelle,
Nous étions tous les deux dans mon Aix-la-Chapelle,
J’avais autour de moi les princes, mes vassaux;
On parlait de tournois, de batailles, d’assauts,
Chacun de ces gens-là parlant à la légère:
« Si je tombe jamais sur la terre étrangère,»
Dit-il, « je veux tomber le front à l’ennemi!»
Il ne dit que ce mot, ce cher et noble ami;
Il le dit, il l’a fait: sa face est bien tournée
Vers toi, cruel pays! vers toi, race damnée!. . .
Ce malheur est affreux qui m’accable en ce jour!
Quand ma ville de Laon me verra de retour,
Les gens de chaque ville, ou voisine ou lointaine,
Viendront: « Qu’avez-vous fait du vaillant capitaine?»
Me diront-ils. Et moi, la face vers le sol:
« Je l’ai laissé,» dirai-je, « au pays espagnol!»
Ah! c’est fini. Je sens, quand un tel homme expire,
Je sens pâlir ma gloire et fléchir mon empire.
Tous les peuples demain, en apprenant sa mort,
S’uniront contre moi dans un suprême effort.