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 Victor HUGO (1802-1885) Epitre a Brutus

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MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Epitre a Brutus    Victor HUGO (1802-1885) Epitre a Brutus  Icon_minitimeLun 5 Sep - 0:07

ÉPÎTRE A BRUTUS 5
LES VOUS ET LES TU
Quien baga aplicaciones
Con su pan se Io coma.
(YRIARTE.)


BRUTUS, te souvient-il, dis-moi,
Du temps où, las de ta livrée,
Tu vins, en veste déchirée,
Te joindre à ce bon peuple-roi
Fier de sa majesté sacrée
Et formé de gueux comme toi ?
Dans ce beau temps de république,
Boire et jurer fut ton emploi ;
Ton bonnet, ton jargon cynique,
Ton air sombre inspiraient l'effroi ;
Et, plein d'un feu patriotique,
Pour gagner le laurier civique,
Tous nos hameaux t'ont vu, je crois,
Fraterniser à coups de pique
Et piller au nom de la loi.
Las ! l'autre jour, monsieur le prince,
Pour vous parler des intérêts
D'un vieil ami de ma province,
J'entrai dans votre beau palais.
D'abord, je fis, de mon air mince,
Rire un régiment de valets ;
Votre Suisse, à ma révérence,
Répondit par un fier souris
Et quatre mots dont l'insolence
Fut bien tout ce que j'en compris.
Tout le long d'une cour immense,
J'essuyai l'orgueilleux mépris
Des jokeys de Votre Excellence ;
Enfin pour attendre audience,
Je pénétrai sous vos lambris.
Là, je vis un vieux militaire
Qui, redemandant ses drapeaux,
Allait recevoir pour salaire
Et l'indigence et le repos.
Plus loin, c'était un doctrinaire
S'obstinant sans cesse à se taire
Pour ne pas perdre son pathos,
Qu'il vend fort cher au ministère:
Une perruque à trois marteaux
Cachait assez mal la figure
D'un ancien brûleur de châteaux
Qui voulait une préfecture.
Pour moi, j'étais à la torture ;
Méprisé de ces grands esprits,
Il fallut souffrir, sans murmure,
Que l'un de vos chiens favoris
Laissât en passant son ordure
Sur l'habit qui fait ma parure,
Et dont je dois encor le prix.
_Enfin mon tour vient ; je m'élance,
Et l'huissier de Votre Grandeur
Me fait traverser en silence
Quatre salons dont l'élégance
Egalait seule la splendeur.
Bientôt, Monseigneur, plein de joie,
Je vois sur des carreaux de soie
Votre Altesse en son cabinet,
Portant sur son sein, avec gloire,
Un beau cordon, brillant de moire,
De la couleur de ton bonnet.
« Eh bien, cher Brutus !... » Mais je pense
Que tu ne me reconnus pas,
Car, à ces mots, Votre Excellence,
Vers la porte faisant trois pas,
Y mit sa vieille connaissance.
Ah ! Monseigneur, sur votre seuil
Ne craignez plus qu'on se hasarde,
J'aime mieux mon humble mansarde
Qu'un hôtel qu'habite l'orgueil.
Moi, je m'estime, et je regarde
Les sots et les fous du même oeil.
Je ris, courbé sur mon pupitre,
Quand, troublant mon pauvre séjour,
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Ce char, qui fait trembler ma vitre,
Porte Votre Altesse à la cour
Du roi, qui dut, à si bon titre,
Te faire pendre à ton retour.
Dès que la bise de décembre
Souffle la neige sur mes toits,
Je vais, pour ménager mon bois,
M'installer gaîment dans la chambre.
Là, Monseigneur, je ris tout bas
Lorsqu'en de pénibles débats,
Craignant quelque langue importune,
Votre Excellence, avec fracas,
Court pérorer à la tribune.
Las ! en termes moins arrondis,
Brutus, je t'entendais jadis
Déraisonner à la Commune.
Je ris encor, quand un badaud
Vante vos discours, votre style ;
Trop souvent sans peine un lourdaud
Passe ainsi partout pour habile.
Or il convient qu'en son haut rang
Votre Altesse ait un secrétaire ;
Car ton père, rustre ignorant,
Ne t'a point appris la grammaire.
Monsieur le prince, toutefois,
Votre savoir passe en proverbe ;
Vos festins sont dignes des rois,
Vos cadeaux sont d'un goût superbe;
Homme d'état, votre talent
Éclate en vos moindres saillies,
Et si vous dites des folies,
Vous les dites d'un ton galant :
Quant à moi, je ris en silence ;
Car puisqu'aujourd'hui l'opulence
Donne tout, grâce, esprit, vertus,
Les bons mots de Votre Excellence
Étaient les jurons de Brutus.
Mais je vois à votre colère,
Qu'en répétant ce nom bourgeois,
Dont vous étiez fier autrefois,
J'ai le malheur de vous déplaire.
Vous n'entendrez donc plus ma voix
Adieu, Monseigneur ; sans rancune.
Briguez les sourires des rois
Et les faveurs de la fortune :
Pour moi, je n'en attends aucune.
Ma bourse, vide tous les mois,
Me force à changer de retraites ;
Vous, dans un poste hasardeux,
Tâchez de rester où vous êtes,
Et puissions-nous vivre tous deux,
Vous sans remords, et moi sans dettes !
Excusez si, parfois encor,
J'ose rire de la bassesse
De ces seigneurs tout brillants d'or,
Dont la foule à grands flots vous presse,
Lorsqu'entrant, d'un air de noblesse,
Dans les salons éblouissants
Du pouvoir et de la richesse,
L'illustre pied de Votre Altesse
Vient salir ces parquets glissants
Que tu frottais dans ta jeunesse.

ARISTIDE.
[Le Conservateur littéraire, 15 janvier 1820.]
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Victor HUGO (1802-1885) Epitre a Brutus
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