PLUME DE POÉSIES
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 Victor HUGO (1802-1885) Magnitudo parvi

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Inaya
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Inaya


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Victor HUGO (1802-1885) Magnitudo parvi Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Magnitudo parvi   Victor HUGO (1802-1885) Magnitudo parvi Icon_minitimeVen 16 Sep - 23:59

MAGNITUDO PARVI

I

Le jour mourait; j'étais près des mers, sur la grève.
Je tenais par la main ma fille, enfant qui rêve,
Jeune esprit qui se tait!
La terre, s'inclinant comme un vaisseau qui sombre,
En tournant dans l'espace allait plongeant dans l'ombre;
La pâle nuit montait.

La pâle nuit levait son front dans les nuées;
Les choses s'effaçaient, blêmes, diminuées,
Sans forme et sans couleur;
Quand il monte de l'ombre, il tombe de la cendre;
On sentait à la fois la tristesse descendre
Et monter la douleur.

Ceux dont les yeux pensifs contemplent la nature
Voyaient l'urne d'en haut, vague rondeur obscure,
Se pencher dans les cieux,
Et verser sur les monts, sur les campagnes blondes,
Et sur les flots confus pleins de rumeurs profondes,
Le soir silencieux!

Les nuages rampaient le long des promontoires;
Mon âme, où se mêlaient ces ombres et ces gloires,
Sentait confusément
De tout cet océan, de toute cette terre,
Sortir sous l'oeil de Dieu je ne sais quoi d'austère,
D'auguste et de charmant!

J'avais à mes côtés ma fille bien-aimée.
La nuit se répandait ainsi qu'une fumée.
Rêveur, ô Jéhovah,
Je regardais en moi, les paupières baissées,
Cette ombre qui se fait aussi dans nos pensées
Quand ton soleil s'en va!

Soudain l'enfant bénie, ange au regard de femme,
Dont je tenais la main et qui tenait mon âme,
Me parla, douce voix!
Et, me montrant l'eau sombre et la rive âpre et brune,
Et deux points lumineux qui tremblaient sur la dune:
Père, dit-elle, vois!

Vois donc, là-bas, où l'ombre aux flancs des coteaux rampe,
Ces feux jumeaux briller comme une double lampe
Qui remuerait au vent!
Quels sont ces deux foyers qu'au loin la brume voile?
L'un est un feu de pâtre et l'autre est une étoile;
Deux mondes, mon enfant!

II

*

Deux mondes! l'un est dans l'espace,
Dans les ténèbres de l'azur,
Dans l'étendue où tout s'efface.
Radieux gouffre! abîme obscur!
Enfant, comme deux hirondelles,
Oh, si tous deux, âmes fidèles,
Nous pouvions fuir à tire-d'ailes,
Et plonger dans cette épaisseur
D'où la création découle,
Où flotte, vit, meurt, brille et roule
L'astre imperceptible à la foule,
Incommensurable au penseur;

Si nous pouvions franchir ces solitudes mornes;
Si nous pouvions passer les bleus septentrions,
Si nous pouvions atteindre au fond des cieux sans bornes
Jusqu'à ce qu'à la fin, éperdus, nous voyions,
Comme un navire en mer croît, monte et semble éclore,
Cette petite étoile, atome de phosphore,
Devenir par degrés un monstre de rayons;

S'il nous était donné de faire
Ce voyage démesuré,
Et de voler, de sphère en sphère,
A ce grand soleil ignoré;
Si, par un archange qui l'aime,
L'homme aveugle, frémissant, blême,
Dans les profondeurs du problème,
Vivant, pouvait être introduit;
Si nous pouvions fuir notre centre,
Et, forçant l'ombre où Dieu seul entre,
Aller voir de près dans leur antre
Ces énormités de la nuit;

Ce qui t'apparaîtrait te ferait trembler, ange!
Rien, pas de vision, pas de songe insensé,
Qui ne fût dépassé par ce spectacle étrange,
Monde informe, et d'un tel mystère composé,
Que son rayon fondrait nos chairs, cire vivante,
Et qu'il ne resterait de nous dans l'épouvante
Qu'un regard ébloui sous un front hérissé!

*

O contemplation splendide!
Oh! de pôles, d'axes, de feux;
De la matière et du fluide,
Balancement prodigieux!
D'aimant qui lutte, d'air qui vibre,
De force esclave et d'éther libre,
Vaste et magnifique équilibre!
Monde rêve! idéal réel!
Lueurs! tonnerres! jets de souffre!
Mystère qui chante et qui souffre!
Formule nouvelle du gouffre!
Mot nouveau du noir livre ciel!

Tu verrais! un soleil, autour de lui des mondes,
Centres eux-mêmes, ayant des lunes autour d'eux;
Là, des fourmillements de sphères vagabondes;
Là, des globes jumeaux qui tournent deux à deux;
Au milieu, cette étoile, effrayante, agrandie;
D'un coin de l'infini formidable incendie,
Rayonnement sublime ou flamboiement hideux!

Regardons, puisque nous y sommes!
Figure-toi! figure-toi!
Plus rien des choses que tu nommes!
Un autre monde! une autre loi!
La terre a fui dans l'étendue;
Derrière nous elle est perdue!
Jour nouveau! nuit inattendue!
D'autres groupes d'astres au ciel!
Une nature qu'on ignore,
Qui, s'ils voyaient sa fauve aurore,
Ferait accourir Pythagore
Et reculer Ézéchiel!

Ce qu'on prend pour un mont est une hydre; ces arbres
Sont des bêtes; ces rocs hurlent avec fureur;
Le feu chante; le sang coule aux veines des marbres.
Ce monde est-il le vrai? le nôtre est-il l'erreur?
O possibles qui sont pour nous impossibles!
Réverbérations des chimères invisibles!
Le baiser de la vie ici nous fait horreur.

Et, si nous pouvions voir les hommes
Les ébauches, les embryons,
Qui sont là ce qu'ailleurs nous sommes,
Comme, eux et nous, nous frémirions
Rencontre inexprimable et sombre!
Nous nous regarderions dans l'ombre
De monstre à monstre, fils du nombre
Et du temps qui s'évanouit;
Et, si nos langages funèbres
Pouvaient échanger leurs algèbres,
Nous dirions: -Qu'êtes-vous, ténèbres?-
Ils diraient: -D'où venez-vous, nuit?-

*

Sont-ils aussi des coeurs, des cerveaux, des entrailles?
Cherchent-ils comme nous le mot jamais trouvé?
Ont-ils des Spinosa qui frappent aux murailles,
Des Lucrèce niant tout ce qu'on a rêvé,
Qui, du noir infini feuilletant les registres,
Ont écrit: Rien, au bas de ces pages sinistres;
Et, penchés sur l'abîme, ont dit: -L'oeil est crevé!-

Tous ces êtres, comme nous-même,
S'en vont en pâles tourbillons;
La création mêle et sème
Leur cendre a de nouveaux sillons;
Un vient, un autre le remplace,
Et passe sans laisser de trace;
Le souffle les crée et les chasse;
Le gouffre en proie aux quatre vents,
Comme la mer aux vastes lames,
Mêle éternellement ses flammes
A ce sombre écroulement d'âmes,
De fantômes et de vivants!

L'abîme semble fou sous l'ouragan de l'être.
Quelle tempête autour de l'astre radieux!
Tout ne doit que surgir, flotter et disparaître,
Jusqu'à ce que la nuit ferme à son tour ses yeux;
Car, un jour, il faudra que l'étoile aussi tombe,
L'étoile voit neiger les âmes dans la tombe,
L'âme verra neiger les astres dans les cieux!

*

Par instant, dans le vague espace,
Regarde, enfant! tu vas la voir!
Une brusque planète passe;
C'est d'abord au loin un point noir;
Plus prompte que la trombe folle,
Elle vient, court, approche, vole;
A peine a lui son auréole,
Que déjà, remplissant le ciel,
Sa rondeur farouche commence
A cacher le gouffre en démence,
Et semble ton couvercle immense,
O puits du vertige éternel!

C'est elle! éclair! voilà sa livide surface
Avec tous les frissons de ses océans verts!
Elle apparaît, s'en va, décroît, pâlit, s'efface,
Et rentre, atome obscur, aux cieux sombres couverts,
Et tout s'évanouit, vaste aspect, bruit sublime...
Quel est ce projectile inouï de l'abîme?
O boulets monstrueux qui sont des univers!

Dans un éloignement nocturne,
Roule avec un râle effrayant
Quelque épouvantable Saturne
Tournant son anneau flamboyant;
La braise en pleut comme d'un crible;
Jean de Patmos, l'esprit terrible,
Vit en songe cet astre horrible
Et tomba presque évanoui;
Car, rêvant sa noire épopée,
Il crut, d'éclairs enveloppée,
Voir fuir une roue, échappée
Au sombre char d'Adonaï!

Et, par instants encor, tout va-t-il se dissoudre?
Parmi ces mondes, fauve, accourant à grand bruit,
Une comète aux crins de flamme, aux yeux de foudre,
Surgit, et les regarde, et, blême, approche et luit;
Puis s'évade en hurlant, pâle et surnaturelle,
Traînant sa chevelure éparse derrière elle,
Comme une Canidie affreuse qui s'enfuit.

Quelques-uns de ces globes meurent;
Dans le semoun et le mistral
Leurs mers sanglotent, leurs flots pleurent;
Leur flanc crache un brasier central.
Sphères par la neige engourdies,
Ils ont d'étranges maladies,
Pestes, déluges, incendies,
Tremblements profonds et fréquents;
Leur propre abîme les consume;
Leur haleine flamboie et fume;
On entend de loin dans leur brume
La toux lugubre des volcans.

*

Ils sont! ils vont! ceux-ci brillants, ceux-là difformes,
Tous portant des vivants et des créations!
Ils jettent dans l'azur des cônes d'ombre énormes,
Ténèbres qui des cieux traversent les rayons,
Où le regard, ainsi que des flambeaux farouches
L'un après l'autre éteints par d'invisibles bouches,
Voit plonger tour à tour les constellations!

Quel Zorobabel formidable,
Quel Dédale vertigineux,
Cieux! a bâti dans l'insondable
Tout ce noir chaos lumineux?
Soleils, astres aux larges queues,
Gouffres! ô millions de lieues!
Sombres architectures bleues!
Quel bras a fait, créé, produit
Ces tours d'or que nuls yeux ne comptent,
Ces firmaments qui se confrontent,
Ces Babels d'étoiles qui montent
Dans ces Babylones de nuit?

Qui, dans l'ombre vivante et l'aube sépulcrale,
Qui, dans l'horreur fatale et dans l'amour profond,
A tordu ta splendide et sinistre spirale,
Ciel, où les univers se font et se défont?
Un double précipice à la fois les réclame.
-Immensité!- dit l'être. -Éternité!- dit l'âme.
A jamais! le sans fin roule dans le sans fond.

*

L'inconnu, celui dont maint sage
Dans la brume obscure a douté,
L'immobile et muet visage,
Le voile de l'éternité,
A, pour montrer son ombre au crime,
Sa flamme au juste magnanime,
Jeté pêle-mêle à l'abîme
Tous ses masques, noirs ou vermeils;
Dans les éthers inaccessibles,
Ils flottent, cachés ou visibles;
Et ce sont ces masques terribles
Que nous appelons les soleils!

Et les peuples ont vu passer dans les ténèbres
Ces spectres de la nuit que nul ne pénétra;
Et flamines, santons, brahmanes, mages, guèbres,
Ont crié: Jupiter! Allah! Vishnou! Mithra!
Un jour, dans les lieux bas, sur les hauteurs suprêmes,
Tous ces masques hagards s'effaceront d'eux-mêmes;
Alors, la face immense et calme apparaîtra!
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Victor HUGO (1802-1885) Magnitudo parvi
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