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 Victor HUGO (1802-1885) Je laisse ces paroles sombres

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MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Je laisse ces paroles sombres   Victor HUGO (1802-1885) Je laisse ces paroles sombres Icon_minitimeJeu 22 Sep - 19:00

Je laisse ces paroles sombres
Passer sur moi sans m'émouvoir
Comme on laisse dans les décombres
Frissonner les branches le soir;
J'irai, moi le curieux triste;
J'ai la volonté qui persiste;
L'énigme traître a beau gronder;
Je serai, dans les brumes louches,
Dans les crépuscules farouches,
La face qui vient regarder.


Vie et mort! ô gouffre! Est-ce un piège
La fleur qui s'ouvre et se flétrit,
L'atome qui se désagrège,
Le néant qui se repétrit ?
Quoi! rien ne marche ! rien n'avance!
Pas de moi ! Pas de survivance !
Pas de lien! Pas d'avenir!
C'est pour rien, ô tombes ouvertes,
Qu'on entend vers les découvertes
Les chevaux du rêve hennir !


Est-ce que la nature enferme
Pour des avortements bâtards
L'élément, l'atome, le germe,
Dans le cercle des avatars ?
Que serait donc ce monde immense,
S'il n'avait pas la conscience
Pour lumière et pour attribut ?
Épouvantable échelle noire
De renaissances sans mémoire
Dans une ascension sans but!


La larve du spectre suivie,
Ce serait tout! Quoi donc! ô sort,
J'aurais un devoir dans la vie
Sans avoir un droit dans la mort!
Depuis la pierre jusqu'à l'ange,
Qu'est-ce alors que ce vain mélange
D'êtres dans l'obscur tourbillon ?
L'aube est-elle sincère ou fausse ?
Naître, est-ce vivre ? En quoi la fosse
Diffère-t-elle du sillon ?


—Mange le pain, je mange l'homme,
Dit Tibère. A-t-il donc raison ?
Satan la femme, Ève la pomme,
Est-ce donc la même moisson ?
Nemrod souffle comme la bise;
Gengis le sabre au poing, Cambyse
Avec un flot d'hommes démons,
Tue, extermine, écrase, opprime,
Et ne commet pas plus de crime
Qu'un roc roulant du haut des monts!


Oh non! la vie au noir registre,
Parmi le genre humain troublé,
Passe, inexplicable et sinistre,
Ainsi qu'un espion voilé;
Grands et petits, les fous, les sages,
S'en vont, nommés dans les messages
Qu'elle jette au ciel triste ou bleu;
Malheur aux méchants! et la tombe
Est la bouche de bronze où tombe
Tout ce qu'elle dénonce à Dieu.


—Mais ce Dieu même, je le nie;
Car il aurait, ô vain croyant,
Créé sa propre calomnie
En créant ce monde effrayant.—
Ainsi parle, calme et funèbre,
Le doute appuyé sur l'algèbre;
Et moi qui sens frémir mes os,
Allant des langes aux suaires,
Je regarde les ossuaires
Et je regarde les berceaux.


Mort et vie ! énigmes austères!
Dessous est la réalité.
C'est là que les Kants, les Voltaires,
Les Euclides ont hésité.
Eh bien! j'irai, moi qui contemple,
Jusqu'à ce que, perçant le temple,
Et le dogme, ce double mur,
Mon esprit découvre et dévoile
Derrière Jupiter l'étoile,
Derrière Jéhovah l'azur!


Car il faut qu'enfin on rencontre
L'indestructible vérité,
Et qu'un front de splendeur se montre
Sous ces masques d'obscurité;
La nuit tâche, en sa noire envie,
D'étouffer le germe de vie,
De toute-puissance et de jour,
Mais moi, le croyant de l'aurore,
Je forcerai bien Dieu d'éclore
À force de joie et d'amour!


Est-ce que vous croyez que l'ombre
A quelque chose à refuser
Au dompteur du temps et du nombre,
À celui qui veut tout oser,
Au poète qu'emporte l'âme,
Qui combat dans leur culte infâme
Les payens comme les hébreux,
Et qui, la tête la première,
Plonge, éperdu, dans la lumière,
À travers leur dieu téne crains rien, mon enfant. Je me nomme
Juvénal. Je suis bon. Je ne fais peur qu'aux grands.—
Charles lève ses yeux pleins de pleurs transparents,
Et dit:—Je n'ai pas peur.—L'homme, pareil aux marbres,
Reprend, tandis qu'au loin on entend sous les arbres
Jouer les écoliers, gais et de bonne foi:
—Enfant, je fus jadis exilé comme toi,
Pour avoir comme toi barbouillé des figures.
Comme toi les pédants, j'ai fâché les augures.
Élève de Jauffret que jalouse Massin,
Voyons ton livre.—Il dit, et regarde un dessin
Qui n'a pas trop de queue et pas beaucoup de tête.
—Qu'est-ce que c'est que ça!—Monsieur, c'est une bête.
—Ah! tu mets dans mes vers des bêtes! Après tout,
Pourquoi pas ? puisque Dieu, qui dans l'ombre est debout,
En met dans les grands bois et dans les mers sacrées.
Il tourne une autre page, et se penche:—Tu crées.
Qu'est ceci ? Ca m'a l'air fort beau, quoique tortu.
—Monsieur, c'est un bonhomme.—Un bonhomme, dis-tu ?
Eh bien, il en manquait justement un. Mon livre
Est rempli de méchants. Voir un bonhomme vivre
Parmi tous ces gens-là me plaît. Césars bouffis,
Rangez-vous! ce bonhomme est dieu. Merci, mon fils.—
Et, d'un doigt souverain, le voilà qui feuillette
Nisard, l'âne, le nez du maître, la belette
Qui peut-être est un boeuf, les dragons, les griffons,
Les pâtés d'encre ailés, mêlés aux vers profonds,
Toute cette gaîté sur son courroux éparse,
Et Juvénal s'écrie ébloui:—C'est très farce!


Ainsi, la grande soeur et la petite soeur,
Ces deux âmes, sont là, jasant; et le censeur,
Obscur comme minuit et froid comme décembre, serait
bien étonné, s'il entrait dans la chambre,
De voir sous le plafond du collège étouffant,
Le vieux poète rire avec le doux enfant.
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Victor HUGO (1802-1885) Je laisse ces paroles sombres
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