PLUME DE POÉSIES
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 Victor HUGO (1802-1885) Ces bâtiments qui font voile

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Victor HUGO (1802-1885) Ces bâtiments qui font voile Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Ces bâtiments qui font voile   Victor HUGO (1802-1885) Ces bâtiments qui font voile Icon_minitimeMar 27 Sep - 21:18

Ces bâtiments qui font voile
Suivent chacun leur étoile
Et leur dessein ;
Et l'eau bat toutes les proues,
Et l'air souffle à pleines joues
Sur cet essaim.

Ils se dispersent sur l'onde.
Ils vont ; ils jettent la sonde
Au flot félon ;
Ils ont leur carte et leurs règles ;
Ils vont où vont les quatre aigles
De l'aquilon.

- Je pars, dit le capitaine,
Pour Gibraltar, pour Athène,
Pour Tafilet.
- Nous partons, disent les mousses,
Pour Malte où les nuits sont douces
Comme le lait.

- Nous partons, dit le pilote,
Pour l'Inde où la jonque flotte,
Pour Tétuan,
Pour Chypre, île aux belles femmes...
- Et pour le pays des âmes,
Dit l'océan.

La création aveugle
Hurle, glapit, grince et beugle ;
Mais, sous sa main,
L'homme la dompte et la brise ;
La forêt grondante est prise
Au piége humain.

Le tigre au Jardin des plantes
Passe ses pattes tremblantes
Par les barreaux ;
Toute bête est terrassée
Par l'amour et la pensée,
Ces deux héros.

Tous deux ont le diadème.
Ces dompteurs, que l'enfer même
Jadis craignait.
Rois de tous les esclavages,
Tiennent les choses sauvages
Dans leur poignet.

Le fier taureau d'Asturie,
Qui marchait dans sa furie
Sans dévier,
Lui plus noir que l'eau marine,
Un anneau dans la narine,
Suit un bouvier.

Ce grand monstre, la nature,
Qui vivait à l'aventure,
N'écoutant rien,
Ouvrant sur l'homme qui souffre
Toutes les gueules du gouffre,
N'est plus qu'un chien.

L'homme s'accroît et se hausse.
Nul ne sait ce qu'en sa fosse,
Loin du ciel bleu,
Voyant qu'il faut qu'il y dorme,
Le lion, forçat énorme,
Reproche à Dieu.

Persée étouffe Gorgone,
Marthe écrase la dragone
Aux yeux ardents.
Visconti, vêtu de cuivre,
D'un coup de poing, à la guivre
Casse les dents.
Béhémot craint l'homme blême.
Le boa, n'ouvrant pas même
L'oeil à demi,
N'est plus, lui serpent superbe,
Qu'un tronc d'arbre qui dans l'herbe
S'est endormi.

Le jaguar tourne en sa cage.
Le morse en un marécage
Croupit muré.
La chanson du pâtre attire
Hors des branches le satyre
Tout effaré.

Depuis Hercule et Thésée,
Teb à la lance aiguisée,
Bellérophon,
Icare qui nomme un golfe,
Hermès sur le sphinx, Astolphe
Sur le griffon,
Il n'est pas au monde un être
Qui ne reconnaisse un maître ;
Tout est dompté.
La conquête se consomme ;
L'ombre voit au front de l'homme
Une clarté.

Le lynx s'abat sur le ventre
Quand la ménade en son antre
Chante paean ;
On prend l'aigle dans son aire...
- Où donc est mon belluaire ?
Dit l'océan.

Et l'océan fauve ajoute :
- Je ne suis pas une route.
Que me veut-on ?
Je te hais, flambeau sublime,
Que Colomb sur mon abîme
Passe à Fulton.

J'ai ma vague, Etna se lave.
Etna n'est pas un esclave.
Ni moi non plus.
J'ai pour reine et pour captive
La sombre terre attentive
À mon reflux.

Je ne suis pas fait pour être,
Comme le sentier champêtre,
Plein de vivants ;
Je suis l'Onde en sa tanière,
Que prennent à la crinière
Les quatre vents !

Je suis le noir gouffre inculte ;
Je donne, en mon fier tumulte,
Où rien ne ment,
Pour maître aux flots sourds l'air libre,
Et pour base à l'équilibre
Le tremblement.

Rien n'arrête et ne dirige
Mon formidable quadrige,
Que les typhons
Traînent, et qui, de la Perse
Jusqu'aux Hébrides, disperse
Ses bruits profonds.

Je suis la vaste mêlée,
Reptile, étant l'onde, ailée,
Étant le vent ;
Force et fuite, haine et vie,
Houle immense, poursuivie
Et poursuivant.
Je suis, dans l'ombre étoilée,
La figure échevelée
De l'inconnu ;
Ma vague, qu'Éole augmente,
Est, quand il lui plaît, charmante
Comme un sein nu.

Je ne suis pas votre auberge,
Je suis la tempête vierge
Qui peut briser
Caps et rochers comme verre,
À qui parfois le tonnerre
Prend un baiser.

Je m'appelle solitude,
Je m'appelle inquiétude,
Et mon roulis
Couvre à jamais des navires,
Des voix, des chansons, des rires,
Ensevelis.

Je suis funeste et salubre.
Je suis le fileur lugubre
Des noirs vallons
Que l'orage sans fin mouille,
Et qui file à sa quenouille
Les aquilons.

Je suis, dans l'écume en poudre,
Le combattant de la foudre,
L'hydre titan.
Je suis sans forme et sans nombre.
Venez, les vents, l'horreur, l'ombre.
Homme, va-t'en.

Je suis souffle, éclair et lame.
Je prends volontiers leur âme
Aux curieux.
Je suis le triple Cerbère
Dont le regard réverbère
Dieu furieux.

J'ai plus de nuit que la tombe.
Léviathan dans ma trombe
N'est plus qu'un ver ;
Tout tremble sur mon épaule.
Je lie au poteau du pôle
Le spectre hiver.
Homme, la terre est ta mère.
Cherche ton bien éphémère
Dans ses douleurs ;
Broie, arrache, brûle, embrasse.
Perce des chemins. Écrase
Ce tas de fleurs !

La plaine, quand on la ferre,
Obéit, et laisse faire
L'homme ennemi.
La terre est une imbécile ;
Et la montagne est docile
À la fourmi.
Les Alpes sont des géantes
Terribles, fauves, béantes,
L'orage au cou ;
L'homme rit des monts féroces,
Et, taupe, sous les colosses,
Il fait son trou.

Moi, je ne suis pas la rue.
J'ai pour roue et pour charrue
Le tourbillon ;
Je bondis, c'est ma manière ;
Je n'accepte pas l'ornière
Ni le sillon.

J'écume à flots sur ma grève,
Va-t'en. Ne viens pas, fils d'Ève,
Frêle rival,
Sauter sur mon dos farouche
Et mettre un mors à la bouche
De mon cheval.

Ma plaine est la grande plaine ;
Mon souffle est la grande haleine
Je suis terreur ;
J'ai tous les vents de la terre
Pour passants et le mystère
Pour laboureur.

Le météore en ma houle
Tombe, la nuée y croule
En rugissant ;
L'écueil, écumant monarque,
À qui je donne la barque,
Me rend le sang ;

L'aurore avec épouvante
Regarde mon eau vivante,
Mes rocs ouverts,
Mes colères, mes batailles,
Et les glissements d'écailles
Sous mes flots verts.

Vénus m'apporte son globe.
Je lui relève sa robe
Jusqu'au genou.
Le zéphyr des moissons blondes,
S'il se risque sur mes ondes,
Y devient fou.

Un jour l'orage des plaines
Vint chez moi sur mes baleines
Lancer ses traits ;
Mais j'ai, d'un seul cri de rage,
Chassé ce canard sauvage
Dans vos marais !

Quand il vit dans ma caverne
Se sauver l'hydre de Lerne,
Mon compagnon
Typhon dit : Cela nous souille,
Gardons-nous cette grenouille ?
Et j'ai dit Non !

Si je faisais une rose,
Moi, gouffre en qui toute chose
S'ébauche et vit,
Le soleil, flambeau fidèle,
Se lèverait auprès d'elle
Sans qu'on le vît.

Hommes, vous rêvez de croire
Que vous vaincrez mon eau noire,
Aux fiers bouillons,
Ma vague aux mille étincelles,
En pendant à des ficelles
Quelques haillons !

C'est donc là votre navire !
Une écorce qui chavire
Sous tout climat !
Cette épingle qui m'éraille,
C'est l'ancre, et ce brin de paille,
C'est le grand mât !

Ces quatre planches mal jointes
Se déchireront aux pointes
Du moindre écueil.
L'homme au front triste, aux mains blanches,
Ne sait clouer que les planches
De son cercueil.
Quoi ! je serais si candide !
Porter sur mon dos splendide
Votre wagon !
Dans mon azur sans limite
Voir fumer votre marmite,
Moi le dragon !

Quoi ! lui chez moi ! l'homme ! Il entre !
Sachez que devant mon antre,
Qu'emplit la nuit,
Le sage lion s'arrête,
Et qu'en voyant ma tempête
L'aigle s'enfuit !

Votre présence m'outrage.
Dieu fit mon immense orage
Mystérieux
Et mes flots pleins de désastres,
Pour être vus par ses astres,
Non par vos yeux.

Homme, ta marche est peu droite ;
Ton commerce avide exploite
Les flots mouvants ;
L'âpre soif de l'or t'anime ;
Je donne pour rien l'abîme,
Toi, tu le vends.

Ne viens pas chez moi, te dis-je.
Ne mêle pas au prodige
Tes vils chemins.
Crains mes fureurs justicières !
Ah ! vous frémiriez, poussières,
Pâles humains,
Si vous entendiez les choses
Que nous tous, les vents moroses
Et les saisons,
L'air qui souffle et l'eau qui tremble,
Quand nous sommes seuls ensemble,
Nous nous disons !

Devant votre crépuscule
Mon sombre horizon recule ;
Vous m'insultez !
Genre humain, foule confuse,
L'ombre éternelle refuse
Vos nouveautés.

Elle refuse vos phares,
Vos boussoles, vos fanfares,
Vos noirs vaisseaux,
Et, quand passe votre flotte,
Indignée, elle sanglote
Au fond des eaux.

Allez-vous-en ! Je devine
Qu'on rêve une ère divine
Fin des fléaux.
On court sur l'onde aplanie.
On m'emploie à l'harmonie !
Moi, le chaos !

C'est la paix qui se prépare.
Je n'en veux point. Je sépare.
Je n'unis pas.
Je brise à coups de nageoires
Et je broie en mes mâchoires
Votre compas !

L'homme doit courber sa tête
Sous la guerre et la tempête
Et le volcan.
La terre, c'est la géhenne.
Que chacun garde sa haine
Et son carcan.

Tu n'es pas même un fantôme !
Monstre pour l'archange, atome
Pour le titan,
Rien pour l'espace et le nombre !
L'homme n'est qu'une pénombre ;
L'ombre est Satan.
Être mauvais, c'est ta peine.
Sois mauvais. Ta race traîne
L'anneau de fer.
Nous sommes tous la souffrance ;
Et l'hirondelle espérance
Fuit notre hiver.

Sache que nous, et ces mondes
Qu'on voit, dans nos nuits immondes,
Au firmament,
Nous habitons l'insondable,
L'extrémité formidable
Du châtiment.

Notre nuit est si fatale
Que si la pitié, vestale
Chère aux élus,
Disait : Où donc est ce monde ?
J'ai peur que Dieu ne réponde :
Je ne sais plus !

Donc subissez la loi dure.
Endurez ce que j'endure,
L'isolement ;
Et soyez, dans votre bouge,
L'un pour l'autre le fer rouge,
Et non l'aimant.
N'essayez pas, dans ma sphère,
D'être frères, et de faire,
Dans ce tombeau,
Quand tout à l'ombre ressemble,
De vos esprits mis ensemble
Un grand flambeau,

Les hommes deviendraient anges !
Je ne veux pas de mésanges,
Moi, maintenant !
Je veux le glaive et le glaive.
Vivez comme dans un rêve,
Tas frissonnant !

Faites comme ont fait vos pères,
Et crénelez vos repaires.
Abhorrez-vous.
Barricadez vos Sodomes.
Dévorez-vous. Soyez hommes
Et restez loups.

Que l'Écosse ait sa claymore,
Le juif sa rage, et le more
Son yatagan ;
Que chacun reste en sa ville ;
Et qu'on me laisse tranquille
Dans l'ouragan.
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Victor HUGO (1802-1885) Ces bâtiments qui font voile
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