LES PÉRIPÉTIES DE L'IDYLLE
Vous voulez bien venir avec moi dans les.bois
Cueillir des fleurs, chercher l'ombre, écouter ,des voix,
Méditer, des lueurs. épier le passage,
À la condition que je serai très sage.
Et je vous obéis. Pourtant dans ce hallier
Le vent me semble avec les branches familier,
Le papillon souhaite un calice et le trouve,
La rose est nue, et l'herbe est tendre, et le lys prouve
Qu'on montre sa blancheur sans perdre sa vertu,
Et les petits oiseaux tout bas se disent tu.
Faisons comme eux. Veux-tu? Non. Voulez-vous, Madame?
Tu souris.
Le printemps est un épithalame;
La feuille est un rideau, la source est un soupir;
Cupidon vient dans l'herbe agreste se tapir
Et rit de voir les fous le chercher dans les villes.
Les alcôves de pourpre et d'or sont laides, viles
Et pauvres à côté du lit profond des fleurs.
Comme ils riraient de moi, les gais merles siffleurs,
Si je n'abusais pas un peu des solitudes!
Essayons. Ah! tu prends de graves attitudes.
J'ai tort; pardonne-moi. Ces bois sont pleins d'ébats
Mystérieux. Veux-tu nous adorer tout bas?
Veux-tu que ma caresse inquiète ne fasse
Pas plus de bruit qu'un pli d'une onde qui s'efface,
Et que je sois heureux prudemment, de façon
Que ces bois, en sentant passer. ce doux frisson,
Pensent, sans devenir pour cela plus farouches,
Que ce sont deux baisers envolés de deux bouches,
Perdus par des amants au hasard-dans les prés,
Qui se sont en flottant dans l'azur rencontrés,
Et, que ces deux baisers, sans maître, espèces d'âmes,
Courent, libres, joyeux, dansants, comme deux flammes,
L'un après l'autre, et font l'amour au fond des bois?
Veux-tu l'idylle ainsi? Non. Eh bien, fais ton choix.
Que veux-tu? Tu réponds: Manger, j'ai faim.
Tu règnes.
Je te sers. Le repas est frugal. Des châtaignes,
Du miel, et quelques fruits sur des feuilles posés,
Suffisent à l'amour, vorace de baisers.
Cette voracité te déplaît, On regarde,
Me dis-tu, des passants écoutent! Prenez garde,
Monsieur, aux paysans rusés et curieux.
Soyez un amoureux du genre sérieux.
Est-ce que vous croyez que les dieux de l'Olympe
Chiffonnaient un jupon, taquinaient une guimpe?
-Oui, d'abord. -Qu'ils manquaient 'aux déesses? -Un peu.
Ensuite, je suis homme et je ne suis' pas dieu.
-Taisez-vous. -Je me tais. Mais voilà que tu chantes!
VI, 55 LES PÉRIPÉTIES. DE L'IDYLLE 431
Ah! -que les femmes sônt charmantes et méchantes!
Pour me faire tenir tranquille, tu te mets
A rire comme rit l'aube sur les sommets,
Et tu jettes au vent ta belle voix sonore.
Tu dis: soyons muets, il faut qu'on nous ignore,
Qu'on ne soupçonne pas quelqu'un dans ce ravin...
Et te voilà faisant un vacarme divin!
Tu fais sortir là-bas des gens de leur chaumière;
Je veux de l'ombre, toi, tu veux de la lumière;
Je voulais des soupirs, toi, tu veux des chansons.
Belle, un baiser! -Jamais. Paix, Monsieur. Finissons.
J'obéis.
Mais pourquoi m'entraînes-tu toi-même
Dans plus d'ombre, et pourquoi murmures-tu: Je t'aime!
O femmes!
Résister et céder, c'est la loi.
Peut-on du mois de mai faire un meilleur emploi
Que de s'aimer, et l'ombre a-t-elle une autre affaire
Que l'hymen de celûi que la beauté préfère
Avec celle que l'âme a choisie? O forêts!
Tu chuchotes encor: Sois sage! Tu voudrais,
Mais tu n'oses. Vivons! Sois Bacchante! Sois Grâce!
Tu t'appelles Barine et je m'appelle Horace.
Quand Catulle avait bu son petit vin sabin
Il ne se gênait pas pour voir Glycère au bain.
Je suis classique. Il faut suivre les doux exemples.
Faire de tous les lieux où tu passes des temples,
C'est ta puissance, amour! je suis-transfiguré.
Ajouter un baiser, c'est monter un degré;
Le ciel, en même temps que la bouche, s'approche.
L'attendrissement gagne et pénètre la roche,
Le granit, l'azur noir des chastes lacs dormants,
Les nuages, les champs, les monts, -quand deux amants
Sont là, mêlés, perdus, comme en avril les roses,
Dans le céleste ôizbli des hommes-et. des choses.
Moment de calme. Arrêt. Nous voici rétombés
En pleine rêverie, et là-bas, deux abbés
Qui passent, livre en main, marmottant des prières,
Ont cru que nous lisions aussi nos bréviaires,
Tant tu sembles un ange et tant j'ai l'air d'un sot.
On prend de deux façons le paradis d'assaut;
Un des côtés, c'est Dieu l'autre côté, c'est Eve;
C'est pourquoi le serpent se glisse dans mon rêve;
Or jamais les baisers ne sont bien assoupis;
S'éveiller est leur droit. Tu te fâches. Tant pis!
Tant mieux!'ne crains donc pas ces branches qui tressaillent.
Quoi! pour que Lycoris et Virgile s'en aillent,
Quoi! pour chasser d'auprès d'Horace Lalagé,
Il suffit qu'un vieil arbre imbécile ait bougé!
Non, non. Je brave tout. Je me livre au pillage,
Sans me troubler d'un souffle errant dans le feuillage,
Et sans m'inquiéter si l'écart du fichu
Fait dans l'ombre loucher le faune au pied fourchu.
28 juillet.