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 Henri Barbusse. (1873-1935) XVII La Sape.*

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Henri Barbusse. (1873-1935) XVII La Sape.* Empty
MessageSujet: Henri Barbusse. (1873-1935) XVII La Sape.*   Henri Barbusse. (1873-1935) XVII La Sape.* Icon_minitimeVen 13 Jan - 20:53

XVII La Sape.*

Dans le fouillis d’une distribution de lettres dont les hommes reviennent, qui
avec la joie d’une lettre, qui avec la demi-joie d’une carte postale, qui avec
un nouveau fardeau, vite reconstitué, d’attente et d’espoir, un camarade,
brandissant un papier, nous apprend une extraordinaire histoire:

-Tu sais, l’père la Fouine, de Gauchin?

-C’vieux ticket qui cherchait un trésor?

-Eh bien, il l’a trouvé!

-Non! Tu charries. . .

-Pisque j’te l’dis, espèce de gros morceau. Qu’est-ce que tu veux que j’te dise?
La messe? J’la sais pas. . . La cour de sa piaule a été marmitée, et près du
mur, une caisse pleine de monnaie en a été déterréé: il a reçu son trésor en
plein sur le râble. Même que l’curé s’est aboulé en douce et parlait d’prendre
c’miracle à leur compte.

On reste bouche bée.

-Un trésor. . . Ah! vrai. . . Ah! tout d’même, c’vieux manche à poils!

Cette révélation inattendue nous plonge dans un abîme de réflexions.

-Comme quoi on n’sait jamais!

-S’est-on jamais assez foutu de c’vieux pétard, quand il en f’sait un saladier à
propos de son trésor, et qu’i’ nous t’nait la jambe et nous cassait l’bonnet
avec ça!

-On l’disait bien, là-bas, on n’sait jamais, tu t’rappelles! On n’se doutait pas
comme on avait raison, tu t’rappelles?

-Tout de même, y a des choses dont on est sûr, dit Farfadet, qui, depuis qu’on
parlait de Gauchin, restait songeur, l’air absent, comme si une figure adorable
lui souriait.

-Mais ça, ajouta-t-il, je l’aurais pas cru non plus, moi! . . . Ce que je vais
le trouver fier, le vieux, quand je retournerai là-bas, après la guerre!

-On demande un homme de bonne volonté pour aider les sapeurs à faire un travail,
dit le grand adjudant.

-Plus souvent! grognent les hommes sans bouger.

-C’est utile pour dégager les camarades, reprend l’adjudant.

Alors, on cesse de grogner, quelques têtes se lèvent.

-Présent! dit Lamuse.

-Harnache-toi, mon gros, et viens avec moi.

Lamuse boucle son sac, roule sa couverture, assujettit ses musettes.

Il est devenu, depuis le temps que sa crise d’amour malheureux s’est calmée,
plus sombre qu’autrefois, et bien qu’il continue à engraisser par une sorte de
fatalité, il s’absorbe, s’isole et ne parle plus guère.

Le soir, quelque chose approche, dans la tranchée, montant et descendant selon
les bosses et les trous du fond: une forme qui semble nager dans l’ombre, et
tendre à certains moments les bras, comme un appel au secours.

C’est Lamuse. Il nous rejoint. Il est plein de terreau et de boue. Frémissant,
ruisselant de sueur, il a l’air d’avoir peur. Ses lèvres remuent et il marmotte:

« Meuh. . . Meuh. . . » avant de pouvoir dire une parole qui ait une forme.

-Eh ben quoi? lui demande-t-on vainement.

Il s’affale dans un coin, entre nous, et s’étend.

On lui offre du vin. Il refuse d’un signe. Puis il se tourne vers moi, un geste
de sa tête m’appelle. Quand je suis près de lui, il me souffle, tout bas, comme
dans une église:

-J’ai revu Eudoxie.

Il cherche sa respiration; sa poitrine siffle et il reprend, les prunelles
fixées sur un cauchemar:

-Elle était pourrie.

-C’était l’endroit qu’on avait perdu, poursuit Lamuse, et que les coloniaux ont
r’pris à la fourchette y a dix jours.

» On a d’abord creusé le trou pour la sape. J’en mettais. Comme j’foutais plus
d’ouvrage que les autres, j’m’ai vu en avant. Les autres élargissaient et
consolidaient derrière. Mais voilà que j’trouve des fouillis d’poutres: j’avais
tombé dans une ancienne tranchée comblée, videmment. À d’mi comblée: y avait du
vide et d’la place. Au milieu des bouts de bois tout enchevêtrés et qu’j’ôtais
un à un de d’vant moi, y avait quéqu’ chose comme un grand sac de terre en
hauteur, tout droit, avec quéqu’ chose dessus qui pendait.

» Voilà une poutrelle qui cède, et c’drôle de sac qui m’tombe et me pèse dessus.
J’étais coincé et une odeur de macchabée qui m’entre dans la gorge. . . En haut
de c’paquet, il y avait une tête et c’étaient les cheveux que j’avais vus qui
pendaient.

» Tu comprends, on n’y voyait pas beaucoup clair. Mais j’ai r’connu les cheveux
qu’y en a pas d’autres comme ça sur la terre, puis le reste de figure, toute
crevée et moisie, le cou en pâte, le tout mort depuis un mois, p’t’être. C’était
Eudoxie, j’te dis.

» Oui, c’était c’te femme que j’ai jamais su approcher avant, tu sais -que
j’voyais d’loin, sans pouvoir jamais y toucher, comme des diamants. Elle
courait, tout partout, tu sais. Elle bagotait dans les lignes. Un jour, elle a
du r’cevoir une balle, et rester là morte et perdue, jusqu’au hasard de c’te
sape.

» Tu saisis la position. J’étais obligé de la soutenir d’un bras comme je
pouvais, et de travailler de l’autre. Elle essayait d’me tomber d’ssus de tout
son poids. Mon vieux, elle voulait m’embrasser, je n’voulais pas, c’était
affreux. Elle avait l’air de m’dire: « Tu voulais m’embrasser, eh bien, viens,
viens donc! » Elle avait sur le. . . elle avait là, attaché, un reste de bouquet
de fleurs, qu’était pourri aussi, et, à mon nez, c’bouquet fouettait comme le
cadavre d’une petite bête.

» Il a fallu la prendre dans mes bras, et tous les deux, tourner doucement pour
la faire tomber de l’autre côté. C’était si étroit, si pressé, qu’en tournant, à
un moment, j’l’ai serrée contre ma poitrine sans le vouloir, de toute ma force,
mon vieux, comme je l’aurais serrée autrefois, si elle avait voulu. . .

» J’ai été une demi-heure à me nettoyer de son toucher et de c’t’odeur qu’elle
me soufflait malgré moi et malgré elle. Ah! heureusement que j’suis esquinté
comme une pauv’ bête de somme. »

Il se retourne sur le ventre, ferme ses poings et s’endort, la face enfoncée
dans la terre, en son espèce de rêve d’amour et de pourriture.




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