PLUME DE POÉSIES
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 Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 4

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Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 4 Empty
MessageSujet: Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 4   Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 4 Icon_minitimeMer 29 Fév - 23:08

EPISTRE 4



Au roy.
Envain, pour te loüer, ma muse toûjours preste,
Vingt fois de la Hollande a tenté la conqueste:
Ce païs, où cent murs n' ont pû te resister,
Grand roy, n' est pas en vers si facile à domter.
Des villes que tu prens, les noms durs et barbares
N' offrent de toutes parts que syllabes bizarres,
Et, l' oreille effrayée, il faut depuis l' Issel,
Pour trouver un beau mot, courir jusqu' au Tessel.
Oüi, par tout de son nom chaque place munie
Tient bon contre le vers, en détruit l' harmonie.
Et qui peut sans fremir aborder Voerden?
Quel vers ne tomberoit au seul nom de Heusden?


Quelle muse à rimer en tous lieux dispozée
Oseroit approcher des bords du Zuiderzée?
Comment en vers heureux assieger Doësbourg,
Zutphen, Wageninghen, Hardervic, Knotzembourg?
Il n' est fort entre ceux que tu prens par centaines
Qui ne puisse arrester un rimeur six semaines:
Et par tout sur le Whal, ainsi que sur le Leck,
Le vers est en déroute, et le poète à sec.
Encor, si tes exploits moins grands et moins rapides
Laissoient prendre courage à nos muses timides;
Peut-estre avec le temps, à force d' y rêver,
Par quelque coup de l' art nous pourrions nous sauver.
Mais dès qu' on veut tenter cette vaste carriere,
Pégaze s' effarouche et recule en arriere:
Mon Apollon s' étonne, et Nimegue est à toy,
Que ma muse est encore au camp devant Orsoy.
Aujourd' huy toutefois mon zele m' encourage;
Il faut au moins du Rhin tenter l' heureux passage.
Un trop juste devoir veut que nous l' essayons.
Muses, pour le tracer, cherchez tous vos crayons.
Car, puisqu' en cet exploit tout paroist incroyable,
Que la vérité pure y ressemble à la fable,


De tous vos ornemens vous pouvez l' égayer:
Venez donc, et sur tout gardez bien d' ennuyer.
Vous sçavez des grands vers les disgraces tragiques:
Et souvent on ennuye en termes magnifiques.
Au pied du mont Adulle entre mille roseaux,
Le Rhin tranquille, et fier du progrès de ses eaux,
Appuyé d' une main sur son urne penchante,
Dormoit au bruit flatteur de son onde naissante,
Lors qu' un cri tout à coup suivi de mille cris,
Vient d' un calme si doux retirer ses esprits.
Il se trouble, il regarde, et par tout sur ses rives
Il voit fuir à grands pas ses naïades craintives,
Qui toutes accourant vers leur humide roy,
Par un recit affreux redoublent son effroy.
Il apprend qu' un heros conduit par la victoire,
A de ses bords fameux flétri l' antique gloire.


Que Rhimberg et Vesel terrassez en deux jours
D' un joug déjà prochain menacent tout son cours.
Nous l' avons veû, dit l' une, affronter la tempeste
De cent foudres d' airain tournez contre sa teste.
Il marche vers Tholus, et tes flots en courroux
Au prix de sa fureur sont tranquilles et doux.
Il a de Jupiter la taille et le visage;
Et, depuis ce romain, dont l' insolent passage
Sur un pont en deux jours trompa tous tes efforts,
Jamais rien de si grand n' a paru sur tes bords.
Le Rhin tremble et frémit à ces tristes nouvelles,
Le feu sort à travers ses humides prunelles.


C' est donc trop peu, dit-il, que l' Escaut en deux mois
Ait appris à couler sous de nouvelles loix:
Et de mille remparts mon onde environnée
De ces fleuves sans nom suivra la destinée.
Ah! Périssent mes eaux! Ou par d' illustres coups,
Montrons qui doit ceder des mortels ou de nous.
À ces mots essuyant sa barbe limoneuse,
Il prend d' un vieux guerrier la figure poudreuse.
Son front cicatricé rend son air furieux,
Et l' ardeur du combat étincelle en ses yeux.
En ce moment il part, et couvert d' une nuë,
Du fameux fort de Skinq prend la route connuë.
Là contemplant son cours, il voit de toutes parts
Ses pâles deffenseurs par la frayeur épars.
Il voit cent bataillons, qui loin de se deffendre,
Attendent sur des murs l' ennemi pour se rendre.
Confus, il les aborde, et renforçant sa voix:
Grands arbitres, dit-il, des querelles des rois,


Est-ce ainsi que vôtre ame aux perils aguerrie,
Soûtient sur ces remparts l' honneur et la patrie?
Vostre ennemi superbe, en cet instant fameux,
Du Rhin près de Tholus fend les flots écumeux.
Du moins en vous montrant sur la rive opposée,
N' oseriez-vous saisir une victoire aisée?
Allez, vils combattans, inutiles soldats,
Laissez là ces mousquets trop pesans pour vos bras:
Et la faux à la main, parmi vos marécages,
Allez couper vos joncs, et presser vos laictages:
Ou gardant les seuls bords qui vous peuvent couvrir,
Avec moy, de ce pas, venez vaincre ou mourir.
Ce discours d' un guerrier que la colere enflâmme,
Ressuscite l' honneur déja mort en leur ame;
Et leurs coeurs s' allumant d' un reste de chaleur,
La honte fait en eux l' effet de la valeur.
Ils marchent droit au fleuve, où Louis en personne
Déja prest à passer, instruit, dispose, ordonne.
Par son ordre Grammont le premier dans les flots
S' avance soûtenu des regards du heros.
Son coursier écumant sous son maistre intrepide,
Nâge tout orgueilleux de la main qui le guide.
Revel le suit de près: sous ce chef redouté
Marche des cuirassiers l' escadron indomté.
Mais déja devant eux une chaleur guerriere


Emporte loin du bord le bouillant l' Esdiguière,
Vivonne, Nantoüillet, et Coëslin, et Salart,
Chacun d' eux au peril veut la premiere part.
Vendosme que soûtient l' orgueil de sa naissance,
Au mesme instant dans l' onde impatient s' élance.
La Salle, Beringhen, Nogent, Dambre, Cavois,
Fendent les flots tremblans sous un si noble poids.


Louis, les animant du feu de son courage,
Se plaint de sa grandeur qui l' attache au rivage.
Par ses soins cependant, trente legers vaisseaux
D' un trenchant aviron déja coupent les eaux.
Cent guerriers s' y jettant signalent leur audace.
Le Rhin les voit d' un oeil qui porte la menace.
Il s' avance en couroux. Le plomb vole à l' instant,
Et pleut de toutes parts sur l' escadron flottant.
Du salpestre en fureur l' air s' échauffe et s' allume;
Et des coups redoublez tout le rivage fume.
Déja du plomb mortel plus d' un brave est atteint:
Sous les fougueux coursiers l' onde écume et se plaint.
De tant de coups affreux la tempeste orageuse
Tient un temps sur les eaux la fortune douteuse.
Mais Louis d' un regard sçait bien-tost la fixer.
Le destin à ses yeux n' oseroit balancer.
Bien-tost, avec Grammont courent Mars et Bellone.
Le Rhin à leur aspect d' épouvante frissonne,
Quand pour nouvelle alarme à ses esprits glacez,
Un bruit s' épand qu' Enguien et Condé sont passez:


Condé, dont le seul nom fait tomber les murailles,
Force les escadrons, et gagne les batailles,
Enguien de son hymen le seul et digne fruit,
Par luy dès son enfance à la victoire instruit.
L' ennemi renversé fuit et gagne la plaine.
Le dieu luy-mesme cede au torrent qui l' entraîne,
Et seul, desespéré, pleurant ses vains efforts,
Abandonne à Louis la victoire et ses bords.
Du fleuve ainsi domté la déroute éclatante
À Wurts jusqu' en son camp va porter l' épouvante:
Wurts l' espoir du païs, et l' appui de ses murs,
Wurts... ah! Quel nom, grand roi! Quel hector que ce Wurts!
Sans ce terrible nom mal né pour les oreilles,
Que j' allois à tes yeux étaler de merveilles!
Bien-tost on eust veu Skinq dans mes vers emporté
De ses fameux remparts démentir la fierté.
Bien-tost... mais Wurts s' oppose à l' ardeur qui m' anime.
Finissons, il est temps: aussi-bien, si la rime
Alloit mal-à-propos m' engager dans Arnheim,
Je ne sçai pour sortir de porte qu' Hildesheim.


Ô! Que le ciel soigneux de nôtre poësie,
Grand roy, ne nous fist-il plus voisins de l' Asie!
Bien-tost victorieux de cent peuples altiers,
Tu nous aurois fourni des rimes à milliers.
Il n' est plaine en ces lieux si seche et si sterile,
Qui ne soit en beaux mots par tout riche et fertile.
Là plus d' un bourg fameux par son antique nom
Vient offrir à l' oreille un agreable son.
Quel plaisir de te suivre aux rives de Scamandre!
D' y trouver d' Ilion la poëtique cendre:
De juger, si les grecs qui briserent ses tours,
Firent plus en dix ans que Louis en dix jours.
Mais pourquoy sans raison desesperer ma veine?
Est-il dans l' univers de plage si lointaine,
Où ta valeur, grand roy, ne te puisse porter,


Et ne m' offre bien-tost des exploits à chanter?
Non, non, ne faisons plus de plaintes inutiles;
Puisqu' ainsi dans deux mois tu prens quarante villes,
Assuré des beaux vers dont ton bras me répond,
Je t' attens dans deux ans aux bords de l' Hellespont.
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