PLUME DE POÉSIES
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 Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 12

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Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 12 Empty
MessageSujet: Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 12   Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 12 Icon_minitimeMer 29 Fév - 23:16

EPISTRE 12



Sur l' amour de Dieu.
À Monsieur L' Abbé Renaudot.
Docte abbé, tu dis vray, l' homme au crime attaché
Envain, sans aimer Dieu, croit sortir du peché.
Toutefois, n' en déplaise aux transports frenetiques
Du fougueux moine auteur des troubles germaniques,
Des tourmens de l' enfer la salutaire peur
N' est pas toûjours l' effet d' une noire vapeur,
Qui de remords sans fruit agitant le coupable,


Aux yeux de Dieu le rende encor plus haïssable.
Cette utile frayeur propre à nous penetrer,
Vient souvent de la grace en nous preste d' entrer,
Qui veut dans nostre coeur se rendre la plus forte,
Et pour se faire ouvrir déja frappe à la porte.
Si le pecheur poussé de ce saint mouvement,
Reconnoissant son crime, aspire au sacrement,
Souvent Dieu tout à coup d' un vrai zele l' enflâme,
Le Saint Esprit revient habiter dans son ame,
Y convertit enfin les tenebres en jour,
Et la crainte servile en filial amour.
C' est ainsi que souvent la sagesse suprême
Pour chasser le démon se sert du démon même.
Mais lors qu' en sa malice un pécheur obstiné,
Des horreurs de l' enfer vainement étonné,
Loin d' aimer humble fils son veritable pere,
Craint et regarde Dieu comme un tyran severe,
Au bien qu' il nous promet ne trouve aucun appas,
Et souhaite en son coeur que ce dieu ne soit pas;
Envain la peur sur luy remportant la victoire
Aux pieds d' un prestre il court décharger sa mémoire.
Vil esclave toûjours sous le joug du peché,
Au démon qu' il redoute il demeure attaché.


L' amour essentiel à notre penitence
Doit estre l' heureux fruit de nostre repentance.
Non, quoique l' ignorance enseigne sur ce poinct,
Dieu ne fait jamais grace à qui ne l' aime point.
À le chercher la peur nous dispose, et nous aide:
Mais il ne vient jamais que l' amour ne succede.
Cessez de m' opposer vos discours imposteurs,
Confesseurs insensez, ignorans seducteurs,
Qui, pleins des vains propos que l' erreur vous debite,
Vous figurez qu' en vous un pouvoir sans limite
Justifie à coup seûr tout pécheur alarmé,
Et que sans aimer Dieu l' on peut en estre aimé.
Quoy donc, cher Renaudot, un chrétien effroyable,
Qui jamais servant Dieu, n' eut d' objet que le diable,
Pourra marchant toûjours dans des sentiers maudits,
Par des formalitez gagner le paradis;
Et parmi les elûs dans la gloire éternelle,
Pour quelques sacremens reçûs sans aucun zele,
Dieu fera voir aux yeux des saints épouvantez
Son ennemi mortel assis à ses costez?
Peut-on se figurer de si folles chimeres?
On voit pourtant, on voit des docteurs, même austeres,
Qui les semant par tout s' en vont pieusement


De toute pieté saper le fondement;
Qui, le coeur infecté d' erreurs si criminelles,
Se disent hautement les purs, les vrais fideles;
Traitant d' abord d' impie, et d' heretique affreux
Quiconque ose pour Dieu se déclarer contre eux.
De leur audace envain les vrais chrétiens gemissent:
Prests à la repousser les plus hardis mollissent,
Et voyant contre Dieu le diable accredité,
N' osent qu' en bégayant prêcher la verité.
Mollirons-nous aussi? Non, sans peur, sur ta trace,
Docte abbé, de ce pas j' iray leur dire en face:
Ouvrez les yeux enfin, aveugles dangeureux.
Oüi, je vous le soûtiens: il seroit moins affreux
De ne point reconnoistre un dieu maistre du monde,
Et qui regle à son gré le ciel, la terre et l' onde;
Qu' en avoüant qu' il est, et qu' il sçeut tout former
D' oser dire, qu' on peut luy plaire sans l' aimer.
Un si bas, si honteux, si faux cristianisme
Ne vaut pas des Platons l' éclairé paganisme;
Et cherir les vrais biens, sans en sçavoir l' auteur,
Vaut mieux, que sans l' aimer connoistre un createur.
Expliquons-nous pourtant. Par cette ardeur si sainte
Que je veux qu' en un coeur amene enfin la crainte,
Je n' entens pas ici ce doux saisissement,
Ces transports pleins de joye, et de ravissement,
Qui font des bienheureux la juste recompense,


Et qu' un coeur rarement gouste ici par avance.
Dans nous l' amour de Dieu fécond en saints desirs,
N' y produit pas toûjours de sensibles plaisirs.
Souvent le coeur qui l' a ne le sçait pas lui-même.
Tel craint de n' aimer pas qui sincérement aime,
Et tel croit au contraire estre brûlant d' ardeur
Qui n' eût jamais pour Dieu que glace et que froideur.
C' est ainsi quelquefois qu' un indolent mystique,
Au milieu des pechés tranquille fanatique,
Du plus parfait amour pense avoir l' heureux don,
Et croit posseder Dieu dans les bras du démon.
Voulez-vous donc sçavoir, si la foy dans vostre ame
Allume les ardeurs d' une sincere flamme?
Consultés-vous vous mesme. à ses regles soûmis
Pardonnés-vous sans peine à tous vos ennemis?
Combattés-vous vos sens? Domtés-vous vos foiblesses?
Dieu dans le pauvre est-il l' objet de vos largesses?
Enfin dans tous ses points pratiqués-vous sa loy?
Oüi, dites-vous. Allés, vous l' aimés, croyés-moy.
Qui fait exactement ce que ma loy commande
A pour moy, dit ce dieu, l' amour que je demande.
Faites-le donc, et seûrs qu' il nous veut sauver tous,
Ne vous allarmés point pour quelques vains dégouts
Qu' en sa ferveur souvent la plus sainte ame éprouve:
Marchés, courés à luy. Qui le cherche le trouve.


Et plus de vostre coeur il paroist s' écarter,
Plus par vos actions songés à l' arrester.
Mais ne soûtenés point cet horrible blasphême,
Qu' un sacrement receû, qu' un prestre, que Dieu même,
Quoique vos faux docteurs osent vous avancer,
De l' amour qu' on luy doit puissent vous dispenser.

Mais s' il faut qu' avant tout dans une ame chrestienne,
Diront ces grands docteurs, l' amour de Dieu survienne:
Puisque ce seul amour suffit pour nous sauver,
Dequoy le sacrement viendra-t-il nous laver?
Sa vertu n' est donc plus qu' une vertu frivole?
Ô le bel argument digne de leur ecole!
Quoy dans l' amour divin en nos coeurs allumé
Le voeu du sacrement n' est-il pas renfermé?
Un payen converti, qui croit un dieu suprême,
Peut-il estre chrestien qu' il n' aspire au baptême;
Ni le chrestien en pleurs estre vrayment touché
Qu' il ne veüille à l' eglise, avoüer son péché?
Du funeste esclavage où le démon nous traisne
C' est le sacrement seul qui peut rompre la chaisne.
Aussi l' amour d' abord y court avidement:
Mais luy-mesme il en est l' ame, et le fondement.
Lorsqu' un pécheur émeû d' une humble repentance
Par les degrés prescrits court à la penitence,
S' il n' y peut parvenir, dieu sçait les supposer.


Le seul amour manquant ne peut point s' excuser.
C' est par luy que dans nous la grace fructifie,
C' est luy qui nous ranime, et qui nous vivifie.
Pour nous rejoindre à Dieu luy seul est le lien;
Et sans luy, foy, vertus, sacremens, tout n' est rien.
À ces discours pressans que sçaurait-on répondre?
Mais approchés; je veux encor mieux vous confondre,
Docteurs. Dites-moi donc. Quand nous sommes absous,
Le Saint-Esprit est-il, ou n' est-il pas en nous?
S' il est en nous, peut-il n' estant qu' amour luy-mesme
Ne nous échauffer point de son amour suprême?
Et s' il n' est pas en nous, sathan toûjours vainqueur,
Ne demeure-t-il pas maistre de nostre coeur?
Avoüez donc qu' il faut qu' en nous l' amour renaisse,
Et n' allés point, pour fuir la raison qui vous presse,
Donner le nom d' amour au trouble inanimé
Qu' au coeur d' un criminel la peur seule a formé.

L' ardeur qui justifie, et que Dieu nous envoye,
Quoi qu' ici-bas souvent inquiete, et sans joye,
Est pourtant cette ardeur, ce mesme feu d' amour
Dont brûle un bienheureux en l' éternel séjour.
Dans le fatal instant qui borne nostre vie
Il faut que de ce feu nostre ame soit remplie;
Et Dieu sourd à nos cris, s' il ne l' y trouve pas,
Ne l' y rallume plus après nostre trépas.
Rendés-vous donc enfin à ces clairs syllogismes,
Et ne pretendés plus par vos confus sophismes,
Pouvoir encore aux yeux du fidele éclairé
Cacher l' amour de Dieu dans l' ecole égaré.
Apprenés que la gloire, où le ciel nous appelle,
Un jour des vrais enfans doit couronner le zele,


Et non les froids remords d' un esclave craintif,
Où crût voir Abely quelque amour negatif.
Mais quoy? J' entens déja plus d' un fier scolastique
Qui me voyant icy sur ce ton dogmatique,
En vers audacieux traiter ces poincts sacrés,
Curieux me demande, où j' ai pris mes degrés:
Et si, pour m' éclairer sur ces sombres matieres,
Deux cens auteurs extraits m' ont presté leurs lumieres,
Non. Mais pour decider, que l' homme, qu' un chrestien
Est obligé d' aimer l' unique auteur du bien,
Le dieu qui le nourit, le dieu qui le fit naistre,
Qui nous vint par sa mort donner un second estre,
Faut-il avoir receu le bonnet doctoral,
Avoir extrait Gamache, Isambert et Du Val?
Dieu dans son livre saint, sans chercher d' autre
Ouvrage,


Ne l' a-t-il pas écrit luy-mesme à chaque page?
De vains docteurs encore, ô prodige honteux!
Oseront nous en faire un problême douteux!
Viendront traiter d' erreur digne de l' anathème
L' indispensable loy d' aimer Dieu pour luy-mesme,
Et par un dogme faux dans nos jours enfanté,
Des devoirs du chrestien rayer la charité!
Si j' allois consulter chés eux le moins severe,
Et luy disois: un fils doit-il aimer son pere?
Ah! Peut-on en douter, diroit-il brusquement.
Et quand je leur demande en ce mesme moment:
L' homme ouvrage d' un dieu seul bon, et seul aimable,
Doit-il aimer ce dieu son pere veritable?
Leur plus rigide auteur n' ose le décider,
Et craint en l' affirmant de se trop hazarder.
Je ne m' en puis deffendre; il faut que je t' escrive
La figure bizarre et pourtant assés vive,
Que je sçûs l' autre jour employer dans son lieu,
Et qui déconcerta ces ennemis de Dieu.
Au sujet d' un escrit, qu' on nous venoit de lire,
Un d' entre-eux m' insulta, sur ce que j' osay dire,


Qu' il faut, pour estre absous d' un crime confessé,
Avoir pour Dieu du moins un amour commencé.
Ce dogme, me dit-il, est un pur calvinisme.
Ô ciel! Me voilà donc dans l' erreur, dans le schisme,
Et partant reprouvé. Mais, poursuivis-je alors,
Quand Dieu viendra juger les vivans, et les morts,
Et des humbles agneaux, objet de sa tendresse,
Séparera des boucs la trouppe pecheresse,
À tous il nous dira, severe ou gracieux,
Ce qui nous fit impurs ou justes à ses yeux.
Selon vous donc, à moy reprouvé, bouc infame,
Va brûler, dira-t-il, en l' éternelle flamme,
Malheureux, qui soûtins que l' homme deût m' aimer,
Et qui sur ce sujet, trop promt à déclamer,
Prétendis qu' il falloit, pour fléchir ma justice,
Que le pécheur touché de l' horreur de son vice,
De quelque ardeur pour moi sentist les mouvemens,
Et gardast le premier de mes commandemens.
Dieu, si je vous en croy, me tiendra ce langage.
Mais à vous, tendre agneau, son plus cher heritage,
Orthodoxe ennemi d' un dogme si blasmé,
Venez, vous dira-t-il, venez mon bien-aimé:
Vous, qui dans les détours de vos raisons subtiles


Embarrassant les mots d' un des plus saints conciles,
Avez délivré l' homme, ô l' utile docteur!
De l' importun fardeau d' aimer son createur,
Entrez au ciel, venez, comblé de mes loüanges,
Du besoin d' aimer Dieu desabuser les anges.
À de tels mots, si Dieu pouvoit les prononcer,
Pour moi je répondrois, je croy, sans l' offenser:
Ô! Que pour vous mon coeur moins dur et moins farouche,
Seigneur, n' a-t-il, helas! Parlé comme ma bouche?
Ce seroit ma réponse à ce dieu fulminant.

Mais vous de ses douceurs objet fort surprenant,
Je ne sçai pas comment, ferme en vostre doctrine,
Des ironiques mots de sa bouche divine,
Vous pouriez sans rougeur, et sans confusion,
Soûtenir l' amertume, et la dérision.
L' audace du docteur, par ce discours frappée,
Demeura sans réplique à ma prosopopée.
Il sortit tout à coup, et murmurant tout bas
Quelques termes d' aigreur que je n' entendis pas,
S' en alla chez Binsfeld ou chez Basile Ponce,
Sur l' heure à mes raisons chercher une responce.


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