PLUME DE POÉSIES
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 Louis Bouilhet. (1822-1869) Préface. III

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Louis Bouilhet. (1822-1869) Préface.  III Empty
MessageSujet: Louis Bouilhet. (1822-1869) Préface. III   Louis Bouilhet. (1822-1869) Préface.  III Icon_minitimeSam 21 Avr 2012 - 2:49

III
À qui appartient-il de classer les talents des contemporains, comme si on était
supérieur à tous, de dire « Celui-ci est le premier, celui-là le second, cet
autre le troisième? » Les revirements de la célébrité sont nombreux. Il y a des
chutes sans retour, de longues éclipses, des réapparitions triomphantes.
Ronsard, avant Sainte-Beuve, n’était-il pas oublié? Autrefois Saint-Amand
passait pour un moindre poëte que Jacques Dellile. Don Quichotte, Gil Blas,
Manon Lescaut, la Cousine Bette et tous les chefs-d’oeuvre du roman n’ont pas eu
le succès de l’Oncle Tom. J’ai entendu dans ma jeunesse faire des parallèles
entre Casimir Delavigne et Victor Hugo; et il semble que « notre grand poëte
national » commence à déchoir. Donc il convient d’être timide. La postérité nous
déjuge. Elle rira peut-être de nos dénigrements, plus encore de nos admirations;
-car la gloire d’un écrivain ne relève pas du suffrage universel, mais d’un
petit groupe d’intelligences qui à la longue impose son jugement.

Quelques-uns vont se récrier que je décerne à mon ami une place trop haute. Ils
ne savent pas plus que moi celle qui lui restera.

Parce que son premier ouvrage est écrit en stances de six vers, à rimes
triplées, comme Namouna, et débute ainsi:


De tous ceux qui jamais ont promené dans Rome,
Du quartier de Suburre au mont Capitolin
Le cothurne à la grecque et la toge de lin,
Le plus beau fut Paulus...,


tournure pareille à cette autre:


De tous les débauchés de la ville du monde
Où le libertinage est à meilleur marché,
De la plus vieille en vice et de la plus féconde,
Je veux dire Paris, le plus grand débauché
C’était Jacques Rolla,


Sans rien voir de plus, et méconnaissant toutes les différences de facture, de
poétique et de tempérament, on a déclaré que l’auteur de Mélænis copiait Alfred
de Musset! Ce fut une condamnation sans appel, une rengaine, -tant il est
commode de poser sur les choses une étiquette pour se dispenser d’y revenir.

Je voudrais bien n’avoir pas l’air d’insulter les dieux. Mais qu’on m’indique,
chez Musset, un ensemble quelconque où la description, le dialogue et l’intrigue
s’enchaînent pendant plus de deux mille vers, avec une telle suite de
composition et une pareille tenue dans le langage, une oeuvre enfin de cette
envergure-là? Quel art il a fallu pour reproduire toute la société romaine d’une
manière qui ne sentît pas le pédant, et dans les bornes étroites d’une fable
dramatique!

Si l’on cherche dans les poésies de Louis Bouilhet l’idée mère, l’élément
génial, on y trouvera une sorte de naturalisme, qui fait songer à la
Renaissance. Sa haine du commun l’écartait de toute platitude, sa pente vers
l’héroïque était rectifiée par l’esprit; car il avait beaucoup d’esprit, -c’est
même une face de son talent presque inconnue; il la tenait un peu dans l’ombre,
la jugeant inférieure. Mais, à présent, rien n’empêche d’avouer qu’il excellait
aux épigrammes, quatrains, acrostiches, rondeaux, bouts-rimés et autres «
joyeusetés » faites par distraction, comme débauche. Il en faisait aussi par
complaisance. Je retrouve des discours officiels pour des fonctionnaires, des
compliments de jour de l’an pour une petite fille, des stances pour un coiffeur,
pour le baptême d’une cloche, pour le passage d’un souverain. Il dédia à un de
nos amis blessé en 1848, une ode sur le patron de La Prise de Namur où l’emphase
atteint au sublime de l’ennui. Un autre ayant abattu d’un coup de fouet une
vipère, il lui expédia un morceau intitulé: Lutte d’un monstre et d’un artiste
français, qui contient assez de tournures poncives, de métaphores boiteuses et
de périphrases idiotes pour servir de modèle ou d’épouvantail. Mais son
triomphe, c’était le genre Béranger! Quelques intimes se rappelleront
éternellement Le Bonnet de coton, un chef-d’oeuvre célébrant « la gloire, les
belles et la philosophie », à faire crever d’émulation tous les membres du
Caveau!

Il avait le don de l’amusement, -chose rare chez un poëte. Que l’on oppose les
pièces chinoises aux pièces romaines, Néera au Lied normand, Pastel à Clair de
lune, Chronique du printemps à Sombre Eglogue, Le Navire à Une Soirée, et on
reconnaîtra combien il était fertile et ingénieux.

Il a dramatisé toutes les passions, dit les plaintes de la momie, les triomphes
du néant, la tristesse des pierres, exhumé des mondes, peint des peuples
barbares, fait des paysages de la Bible et des chants de nourrice. Quant à la
hauteur de son imagination, elle paraît suffisamment prouvée par Les Fossiles,
cette oeuvre que Théophile Gautier appelait « la plus difficile, peut-être,
qu’ait tentée un poëte! » j’ajoute: le seul poème scientifique de toute la
littérature française qui soit cependant de la poésie. » Les stances à la fin
sur l’homme futur montrent de quelle façon il comprenait les plus transcendantes
utopies; et sa Colombe restera peut-être comme la profession de foi historique
du XIXe siècle en matière religieuse. A travers cette sympathie universelle, son
individualité perce nettement: elle se manifeste par des accents lugubres ou
ironiques dans Dernière Nuit, À une femme, Quand vous m’avez quitté, boudeuse,
etc, tandis qu’elle éclate d’une manière presque sauvage dans La Fleur rouge, ce
cri unique et suraigu.

Sa forme est bien à lui, sans parti pris d’école, sans recherche de l’effet,
souple, véhémente, pleine et imagée, musicale toujours. La moindre de ses pièces
a une composition. Les rejets, les entrelacements, les rimes, tous les secrets
de la métrique, il les possède; aussi son oeuvre fourmille-t-elle de bons vers,
de ces vers tout d’une venue et qui sont bons partout, dans Le Lutrin comme dans
Les Châtiments. Je prends au hasard:

-S’allonge en crocodile et finit en oiseau.

-Un grand ours au poil brun, coiffé d’un casque d’or.

-C’était un muletier qui venait de Capoue.

-Le ciel était tout bleu, comme une mer tranquille.

-Mille choses qu’on voit dans le hasard des foules. Et celui-ci pour la sainte
Vierge:


Pâle éternellement d’avoir porté son Dieu.


Car il est classique dans un certain sens. L’Oncle Million, entre autres, n’est-
il pas d’un français excellent?


Des vers! écrire en vers! Mais c’est une folie!
J’en sais de moins timbrés qu’on enferme et qu’on lie!
Morbleu! qui parle en vers? la belle invention!
Est-ce que j’en fais, moi? Fils de mes propres oeuvres
Il m’a fallu, mon cher, avaler des couleuvres
Pour te donner un jour le plaisir émouvant
De guetter, lyre en main, l’endroit d’où vient le vent!
Ces frivolités-là sagement entendues
Sont bonnes, si l’on veut, à nos heures perdues;
Moi-même, j’ai connu dans une autre maison
Un commis bon enfant qui tournait la chanson.
.......................................................


et plus loin:


Mais je dis que Léon n’est pas même un poëte!
Lui, poëte! allons donc! que me chantez-vous là,
Moi qui l’ai vu chez nous, pas plus haut que cela!
Comment? qu’a-t-il en lui qui passe l’ordinaire,
C’est un simple idiot, et je vous réponds, moi,
Qu’il fera le commerce, ou qu’il dira pourquoi!


Voilà un style qui va droit au but, où l’on ne sent pas l’auteur; le mot
disparaît dans la clarté même de l’idée, ou plutôt, se collant dessus, ne
l’embarrasse dans aucun de ses mouvements, et se prête à l’action.

Mais on m’objectera que toutes ces qualités sont perdues à la scène, bref, qu’il
« n’entendait pas le théâtre! »

Les soixante-dix-huit représentations de Montarcy, les quatre-vingts d’Hélène
Peyron et les cent cinq de La Conjuration d’Amboise témoignent du contraire.
Puis il faudrait savoir ce qui convient au théâtre, -et d’abord reconnaître
qu’une question y domine toutes les autres, celle du succès, du succès immédiat
et lucratif.

Les plus expérimentés s’y trompent, ne pouvant suivre assez promptement les
variations de la mode. Autrefois, on allait au spectacle pour entendre de belles
pensées en beau langage; vers 1830, on a aimé la passion furieuse, le
rugissement à l’état fixe; plus tard, une action si rapide que les héros
n’avaient pas le temps de parler; ensuite, la thèse, le but social; après quoi
est venue la rage des traits d’esprit; et maintenant, toute ferveur semble
acquise à la reproduction des plus niaises vulgarités.

Certainement Bouilhet estimait peu les thèses, il avait en horreur « les mots »,
il aimait les développements et considérait le réalisme, ou ce qu’on nomme
ainsi, comme une chose fort laide. Les grands effets ne pouvant s’obtenir par
les demi-teintes, il préférait les caractères tranchés, les situations
violentes, et c’est pour cela qu’il était bien un poëte tragique.

Son intrigue faiblit, quelquefois, par le milieu. Mais dans les pièces en vers,
si elle était plus serrée, elle étoufferait toute poésie. Sous ce rapport, du
reste, la Conjuration d’Amboise et Mademoiselle Aïssé marquent un progrès, -et,
pour qu’on ne m’accuse pas d’aveuglement, je blâme dans Madame de Montarcy le
caractère de Louis XIV trop idéalisé, dans l’Oncle Million la feinte maladie du
notaire, dans Hélène Peyron des longueurs à l’avant-dernière scène du quatrième
acte, et dans Dolorès le défaut d’harmonie entre le vague du milieu et la
précision du style; enfin, ses personnages parlent trop souvent en poëtes, ce
qui ne l’empêche pas de savoir amener les coups de théâtre, exemples: la
réapparition de Marceline chez M. Daubret, l’entrée de dom Pèdre au troisième
acte de Dolorès, la comtesse de Brisson dans le cachot, le commandeur à la fin
d’Aïssé, et Cassius revenant comme un spectre chez l’impératrice Faustine. On a
été injuste pour cette oeuvre. On n’a pas compris, non plus, l’atticisme de
l’Oncle Million, la mieux écrite peut-être de toutes ses pièces, comme Faustine
en est la plus rigoureusement combinée.

Elles sont toutes, au dénouement, d’un large pathétique, animées d’un bout à
l’autre par une passion vraie, pleines de choses exquises et fortes. Et comme il
est bien fait pour la voix, cet hexamètre mâle, avec ses mots qui donnent le
frisson, et ces élans cornéliens pareils à de grands coups d’aile!

C’est le ton épique de ses drames qui causait l’enthousiasme aux premières
représentations. Du reste, ces triomphes l’enivraient fort peu, car il se disait
que les plus hautes parties d’une oeuvre ne sont pas toujours les mieux
comprises, et qu’il pouvait avoir réussi par des côtés inférieurs.

S’il avait fait en prose absolument les mêmes pièces, on eût peut-être exalté
son génie dramatique. Mais il eut l’infortune de se servir d’un idiome détesté
généralement. on a dit d’abord: « Pas de comédie en vers! » plus tard: « Pas de
vers en habit noir! » quand il est si simple de confesser qu’on n’en désire
nulle part.

Mais c’était sa véritable langue. Il ne traduisait pas de la prose. Il pensait
par les rimes, -et les aimait tellement qu’il en lisait de toutes les sortes,
avec une attention égale. Quand on adore une chose, on en chérit la doublure;
les amateurs de spectacle se plaisent dans les coulisses; les gourmands
s’amusent à voir faire la cuisine; les mères ne rechignent pas à débarbouiller
leurs marmots. La désillusion est le propre des faibles. Méfiez-vous des
dégoûtés: ce sont presque toujours des impuissants.
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Louis Bouilhet. (1822-1869) Préface. III
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