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 Louis Bouilhet. (1822-1869) Préface. IV

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MessageSujet: Louis Bouilhet. (1822-1869) Préface. IV   Louis Bouilhet. (1822-1869) Préface.  IV Icon_minitimeSam 21 Avr - 2:50

IV
Lui, -il pensait que l’Art est une chose sérieuse, ayant pour but de produire
une exaltation vague, et même que c’est là toute sa moralité. J’extrais d’un
cahier de notes les trois passages suivants:

« Dans la poésie, il ne faut pas considérer si les moeurs sont vertueuses, mais
si elles sont pareilles à celles de la personne qu’elle introduit. Aussi nous
décrit-elle indifféremment les bonnes et les mauvaises actions, sans nous
proposer les dernières en exemple. »
PIERRE CORNEILLE


« L’Art, dans ses créations, ne doit penser à plaire qu’aux facultés qui ont
vraiment le droit de le juger. S’il fait autrement, il marche dans une voie
fausse. »
GOETHE


« Toutes les beautés intellectuelles qui s’y trouvent (dans un beau style), tous
les rapports dont il est composé, sont autant de vérités aussi utiles, et peut-
être plus précieuses pour l’esprit public que celles qui peuvent faire le fond
du sujet. »
BUFFON


Ainsi l’Art, ayant sa propre raison en lui-même, ne doit pas être considéré
comme un moyen. Malgré tout le génie que l’on mettra dans le développement de
telle fable prise pour exemple, une autre fable pourra servir de preuve
contraire; car les dénouements ne sont point des conclusions; d’un cas
particulier il ne faut rien induire de général; -et les gens qui se croient par
là progressifs vont à l’encontre de la science moderne, laquelle exige qu’on
amasse beaucoup de faits avant d’établir une loi. Aussi Bouilhet se gardait-il
de l’art prêcheur qui veut enseigner, corriger, moraliser. Il estimait encore
moins l’art joujou qui cherche à distraire comme les cartes, ou à émouvoir comme
la cour d’assises; et il n’a point fait de l’art démocratique, convaincu que la
forme, pour être accessible à tous, doit descendre très bas, et qu’aux époques
civilisées on devient niais lorsqu’on essaie d’être naïf. Quant à l’art
officiel, il en a repoussé les avantages, parce qu’il aurait fallu défendre des
causes qui ne sont pas éternelles.

Fuyant les paradoxes, les nosographies, les curiosités, tous les petits chemins,
il prenait la grande route, c’est-à-dire les sentiments généraux, les côtés
immuables de l’âme humaine, et comme « les idées forment le fond du style », il
tâchait de bien penser, afin de bien écrire.

Jamais il n’a dit:

Le mélodrame est bon, si Margot à pleuré,

lui qui a fait des drames où l’on a pleuré, ne croyant pas que l’émotion pût
remplacer l’artifice.

Il détestait cette maxime nouvelle qu’ « il faut écrire comme on parle ». En
effet, le soin donné à un ouvrage, les longues recherches, le temps, les peines,
ce qui était autrefois une recommandation est devenu un ridicule, -tant qu’on
est supérieur à tout cela, on regorge de génie et de facilité!

Il n’en manquait pas, cependant: ses acteurs l’ont vu faire au milieu d’eux des
retouches considérables. L’inspiration, disait-il, doit être amenée et non
subie.

La plastique étant la qualité première de l’Art, il donnait à ses conceptions le
plus de relief possible, suivant le même Buffon qui conseille d’exprimer chaque
idée par une image. Mais les bourgeois trouvent dans leur spiritualisme, que la
couleur est une chose trop matérielle pour rendre le sentiment; -et puis le bon
sens français, d’aplomb sur son paisible bidet, tremble d’être emporté dans les
cieux, et crie à chaque minute: « trop de métaphores! » comme s’il en avait à
revendre.

Peu d’auteurs ont autant pris garde au choix des mots, à la variété des
tournures, aux transitions, -et il n’accordait pas le titre d’écrivain à celui
qui ne possède que certaines parties du style. Combien des plus vantés seraient
incapables de faire une narration, de joindre bout à bout une analyse, un
portrait et un dialogue!

Il s’enivrait du rythme des vers et de la cadence de la prose qui doit, comme
eux, pouvoir être lue tout haut. Les phrases mal écrites ne résistent pas à
cette épreuve: elles oppressent la poitrine, gênent les battements du coeur, et
se trouvent ainsi en dehors des conditions de la vie.

Son libéralisme lui faisait admettre toutes les écoles; Shakespeare et Boileau
se coudoyaient sur sa table.

Ce qu’il préférait chez les Grecs, c’était l’Odyssée d’abord, puis l’immense
Aristophane, et parmi les latins, non pas les auteurs du temps d’Auguste
(excepté Virgile), mais les autres qui ont quelque chose de plus roide et de
plus ronflant, comme Tacite et Juvénal. Il avait beaucoup étudié Apulée.

Il lisait Rabelais continuellement, aimait Corneille et La Fontaine, -et tout
son romantisme ne l’empêchait pas d’exalter Voltaire.

Mais il haïssait les discours d’académie, les apostrophes à Dieu, les conseils
au peuple, ce qui sent l’égout, ce qui pue la vanille, la poésie de bouzingot,
et la littérature talon-rouge, le genre pontifical et le genre chemisier.

Beaucoup d’élégances lui étaient absolument étrangères, telles que l’idolâtrie
du XVIIe siècle, l’admiration du style de Calvin, le gémissement sur la
décadence des arts. Il respectait fort peu M. de Maistre. Il n’était pas ébloui
par Proudhon.

Les esprits sobres, selon lui, n’étaient rien que des esprits pauvres; et il
avait en horreur le faux bon goût, plus exécrable que le mauvais, toutes les
discussions sur le Beau, le caquetage de la critique. Voici qui en dira plus
long: c’est une page d’un calepin ayant pour titre Notes et projets -Projets!


« Ce siècle est essentiellement pédagogue. Il n’y a pas de grimaud qui ne débite
sa harangue, pas de livre si piètre qui ne s’érige en chaire à prêcher! Quant à
la forme, on la proscrit. S’il vous arrive de bien écrire, on vous accuse de
n’avoir pas d’idées. Pas d’idées, bon Dieu! Il faut être bien sot, en effet,
pour s’en passer au prix qu’elles coûtent. La recette est simple: avec deux ou
trois mots: « avenir, progrès, société », fussiez-vous Topinambou, vous êtes
poëte! Tâche commode qui encourage les imbéciles et console les envieux. Ô
médiocratie fétide, poésie utilitaire, littérature de pions, bavardages
esthétiques, vomissements économiques, produits scrofuleux d’une nation épuisée,
je vous exècre de toutes les puissances de mon âme! Vous n’êtes pas la gangrène,
vous êtes l’atrophie! Vous n’êtes pas le phlegmon rouge et chaud des époques
fiévreuses, mais l’abcès froid aux bords pâles, qui descend, comme d’une source,
de quelque carie profonde! »


Au lendemain de sa mort, Théophile Gautier écrivait: « Il portait haut la
vieille bannière déchirée de tant de combats, on peut l’y rouler comme dans un
linceul. La valeureuse bande d’Hernani a vécu. »

Cela est vrai. Ce fut une existence complètement dévouée à l’idéal, un des rares
desservants de la littérature pour elle-même, derniers fanatiques d’une religion
près de s’éteindre -ou éteinte.

« Génie de second ordre », dira-t-on. Mais ceux du quatrième ne sont pas
maintenant si communs! Regardez comme le désert s’élargit! un souffle de bêtise,
une trombe de vulgarité nous enveloppe, prête à recouvrir toute élévation, toute
délicatesse. On se sent heureux de ne plus respecter les grands hommes, et peut-
être allons-nous perdre, avec la tradition littéraire, ce je ne sais quoi
d’aérien qui mettait dans la vie quelque chose de plus haut qu’elle. Pour faire
des oeuvres durables, il ne faut pas rire de la gloire. Un peu d’esprit se gagne
par la culture de l’imagination, et beaucoup de noblesse dans le spectacle des
belles choses.


Et puisqu’on demande à propos de tout une moralité, voici la mienne:

Y a-t-il quelque part deux jeunes gens qui passent leurs dimanches à lire
ensemble des poëtes, à se communiquer ce qu’ils ont fait, les plans des ouvrages
qu’ils voudraient écrire, les comparaisons qui leur sont venues, une phrase, un
mot, -et, bien que dédaigneux du reste, cachant cette passion avec une pudeur de
vierge? je leur donne un conseil:

Allez côte à côte dans les bois, en déclamant des vers, mêlant votre âme à la
sève des arbres et à l’éternité des chefs-d’oeuvre, perdez-vous dans les
rêveries de l’histoire, dans les stupéfactions du sublime! Usez votre jeunesse
aux bras de la Muse! Son amour console des autres, et les remplace.

Enfin, si les accidents du monde, dès qu’ils sont perçus, vous apparaissent
transposés comme pour l’emploi d’une illusion à décrire, tellement que toutes
les choses, y compris votre existence, ne vous sembleront pas avoir d’autre
utilité, et que vous soyez résolus à toutes les avanies, prêts à tous les
sacrifices, cuirassés à toute épreuve, lancez-vous, publiez!

Alors, quoiqu’il advienne, vous verrez les misères de vos rivaux sans
indignation et leur gloire sans envie; car le moins favorisé se consolera par le
succès du plus heureux; celui dont les nerfs sont robustes soutiendra le
compagnon qui se décourage; chacun apportera dans la communauté ses acquisitions
particulières; et ce contrôle réciproque empêchera l’orgueil et ajournera la
décadence.

Puis, quand l’un sera mort, -car la vie était trop belle, que l’autre garde
précieusement sa mémoire pour lui faire un rempart contre les bassesses, un
recours contre les défaillances, ou plutôt comme un oratoire domestique où il
ira murmurer ses chagrins et détendre son coeur. Que de fois, la nuit, jetant
les yeux dans les ténèbres, derrière cette lampe qui éclairait leurs deux front,
il cherchera vaguement une ombre, prêt à l’interroger: « Est-ce ainsi? que dois-
je faire? réponds-moi! » -Et si ce souvenir est l’éternel aliment de son
désespoir, ce sera, du moins, une compagne dans sa solitude. GUSTAVE FLAUBERT.
20 Juin 1870.


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