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 Paul Claudel. (1868-1955) Religion Du Signe.

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MessageSujet: Paul Claudel. (1868-1955) Religion Du Signe.   Paul Claudel. (1868-1955)  Religion Du Signe. Icon_minitimeLun 18 Juin - 21:23

Religion Du Signe.

Que d’autres découvrent dans la rangée des caractères chinois, ou une tête de
mouton, ou des mains, les jambes d’un homme, le soleil qui se lève derrière un
arbre. J’y poursuis pour ma part un lacs plus inextricable.

Toute écriture commence par le trait ou ligne, qui, un, dans sa continuité, est
le signe pur de l’individu. Ou donc la ligne est horizontale, comme toute chose
qui dans le seul parallélisme à son principe trouve une raison d’être
suffisante; ou, verticale comme l’arbre et l’homme, elle indique l’acte et pose
l’affirmation; ou, oblique, elle marque le mouvement et le sens.

La lettre romaine a eu pour principe la ligne verticale; le caractère chinois
paraît avoir l’horizontale comme trait essentiel. La lettre d’un impérieux
jambage affirme que la chose est telle; le caractère est la chose tout entière
qu’il signifie.

L’une et l’autre sont également des signes; qu’on prenne, par exemple, les
chiffres, l’une et l’autre en sont également les images abstraites. Mais la
lettre est par essence analytique: tout mot qu’elle constitue est une
énonciation successive d’affirmations que l’oeil et la voix épellent; à l’unité
elle ajoute sur une même ligne l’unité, et le vocable précaire dans une
continuelle variation se fait et se modifie. Le signe chinois développe, pour
ainsi dire, le chiffre; et, l’appliquant à la série des êtres, il en différencie
indéfiniment le caractère. Le mot existe par la succession des lettres, le
caractère par la proportion des traits. Et ne peut-on rêver que dans celui-ci la
ligne horizontale indique, par exemple, l’espèce, la verticale, l’individu, les
obliques dans leurs mouvements divers l’ensemble des propriétés et des énergies
qui donnent au tout son sens, le point, suspendu dans le blanc, quelque rapport
qu’il ne convient que de sous-entendre? On peut donc voir dans le caractère
chinois un être schématique, une personne scripturale, ayant, comme un être qui
vit, sa nature et ses modalités, son action propre et sa vertu intime, sa
structure et sa physionomie.

Par là s’explique cette piété des Chinois à l’écriture; on incinère avec respect
le plus humble papier que marque le mystérieux vestige. Le signe est un être,
et, de ce fait qu’il est général, il devient sacré. La représentation de l’idée
en est ici, en quelque sorte, l’idole. Telle est la base de cette religion
scripturale qui est particulière à la Chine. Hier j’ai visité un temple
Confucianiste.

Il se trouve dans un quartier solitaire où tout sent la désertion et la chute.
Dans le silence et les solennelles ardeurs du soleil de trois heures, nous
suivons la rue sinueuse. Notre entrée ne sera point par la grande porte dont les
vantaux ont pourri dans leur fermeture: que la haute stèle marquée de
l’officielle inscription bilingue garde le seuil âgé! Une femme courte, râblée
comme un cochon, nous ouvre des passages latéraux et d’un pied qui sonne nous
pénétrons dans l’enclos désert.

Par les proportions de sa cour et des péristyles qui l’encadrent, par les larges
entrecolonnements et les lignes horizontales de sa façade, par la répétition de
ses deux énormes toits, qui d’un mouvement un relèvent ensemble leur noire et
puissante volute, par la disposition symétrique des deux petits pavillons qui le
précèdent et qui au sévère ensemble ajoutent l’agrément grotesque de leurs
chapeaux octogones, l’édifice, appliquant les seules lois essentielles de
l’architecture, a l’aspect savant de l’évidence, la beauté, pour tout dire,
classique, due à une observation exquise de la règle.

Le temple se compose de deux parties. Je suppose que les allées hypoethrales
avec la rangée des tablettes, chacune précédée de l’étroit et long autel de
pierre, qui en occupent la paroi, offrent à une révérence rapide la série
extérieure des préceptes. Mais levant le pied pour franchir le seuil barré au
pas, nous pénétrons dans l’ombre du sanctuaire.

La salle vaste et haute a l’air, comme du fait d’une présence occulte, plus
vide, et le silence, avec le voile de l’obscurité, l’occupe. Point d’ornements,
point de statues. De chaque côté de la halle, nous distinguons, entre leurs
rideaux, de grandes inscriptions, et, au devant, des autels. Mais au milieu du
temple, précédés de cinq monumentales pièces de pierre, trois vases et deux
chandeliers, sous un édifice d’or, baldaquin ou tabernacle, qui l’encadre de ses
ouvertures successives, sur une stèle verticale sont inscrits quatre caractères.

L’écriture a ceci de mystérieux qu’elle parle. Nul moment n’en marque la durée,
ici nulle position, le commencement du signe sans âge: il n’est bouche qui le
profère. Il existe, et l’assistant face à face considère le nom lisible.

Énonciation avec profondeur dans le reculement des ors assombris du baldaquin,
le signe entre les deux colonnes que revêt l’enroulement mystique du dragon,
signifie son propre silence.

L’immense salle rouge imite la couleur de l’obscurité, et ses piliers sont
revêtus d’une laque écarlate. Seuls, au milieu du temple, devant le sacré mot,
deux fûts de granit blanc semblent des témoins, et la nudité même, religieuse et
abstraite, du lieu.





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