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 François Coppée. (1842-1908) XIV

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François Coppée. (1842-1908)  XIV Empty
MessageSujet: François Coppée. (1842-1908) XIV   François Coppée. (1842-1908)  XIV Icon_minitimeDim 1 Juil - 18:13

XVI
I L partit, les yeux secs, mais plein de rage sourde.
Aux vitres du coupé, la pluie épaisse et lourde
Faisait, en se brisant, couler de longs ruisseaux.
Les arbres noirs montaient dans le ciel sans oiseaux,
Et le feuillage mort pourrissait dans les boues.
La diligence, avec un bruit grinçant de roues,
Traversait, ruisselante et d'un trot cadencé,
Ce pays que naguère il avait traversé,
En mai, quand le printemps splendide se déploie.
Mais Olivier sentait comme une sombre joie
Que l'automne lui fît cet horrible retour.
Prométhée en raillant excite le vautour,
Lear appelle le vent qui tourmente sa tête,
Et les désespérés demandent la tempête!

Aussi quel éclair brille en ses regards flétris,
Quand il entend crier enfin ce mot : Paris!
Par la sonorité de la salle d'attente!
Comme il s'installe, avec une fureur contente
Et des gestes nerveux, dans le wagon souillé,
Infectant le cigare et le vieux drap mouillé.
- En route! siffle donc, sombre locomotive!
Ébranle-toi, train noir! et toi, chauffeur, active
Le foyer rouge avec le charbon du tender;
Car le bruit furieux du lourd galop de fer
Et les cris déchirants de la machine en flamme
Peuvent seuls dominer l'orage de cette âme.
A Paris! à Paris! Vole, monstre trop lent!
Dans la nuit des tunnels disparais en hurlant.
Qu'importe que le vent gémisse et que l'eau pleuve?
Va, cours! et, pour franchir le vallon ou le fleuve,
Fais des ponts de métal frémir le tablier!
Car ce voyageur sombre a hâte d'oublier,
De s'étourdir... Va donc, infernale machine!
- Enfin, voici là-bas les tuyaux d'une usine,
Des remparts, et plus loin, dans la brume ébauchés,
Des murs, des toits fumants, des dômes, des clochers.
Sous la halle aux arceaux de fer le train fait halte.
C'est Paris!, Olivier a sauté sur l'asphalte
Et, grisé de douleur, de fatigue et de bruit,
Il plonge dans la ville, au tomber de la nuit.
Là, sous le gaz blafard vainqueur du crépuscule,
De toutes parts, la foule effrayante circule.
C'est l'heure redoutable où tout ce peuple a faim.
Sur le seuil des traiteurs et des marchands de vin,
L'écaillère, en rubans joyeux, ouvre des huîtres;
Et chez les charcutiers, sous leurs remparts de vitres,
Les poulardes du Mans gonflent leurs dos truffés.
L'odeur d'absinthe sort des portes des cafés.
C'est l'heure où les heureux trop rares de la vie
S'en vont jouir; c'est l'heure où la misère envie!
L'homme qui rit se heurte à l'homme soucieux.
Le lourd omnibus passe en roulant ses gros yeux
Sur l'épais macadam qu'en jurant on traverse.
Tous se hâtent, courant dans la boue et l'averse,
Ceux-ci vers leur besoin, ceux-là vers leur plaisir.
Partout on voit le flot de la foule grossir;
Et l'ivrogne trébuche, et la fille publique
Assaille le passant de son regard oblique.
Le pauvre qui mendie avec un oeil haineux
Vous frôle; et sous l'auvent des kiosques lumineux
S'étalent les journaux, frais du dernier scandale.
En un mot, c'est la rue, effrayante et brutale!
Du luxe, des haillons, de la clarté, des cris
Et de la fange! C'est le trottoir de Paris!

Il plongea dans Paris, comme on se jette au gouffre;
Et, depuis lors, c'est là qu'il vit, c'est là qu'il souffre,
Sous un air calme et doux cachant un coeur amer,
Comme un beau fruit d'automne où s'est logé le ver.
C'est là qu'Olivier vit, si l'on appelle vivre
Se livrer au courant qui nous prend, et le suivre,
Ainsi que nous voyons une plume d'oiseau
Descendre avec lenteur la pente d'un ruisseau.
N'importe! Olivier vit, supportant comme un autre
Son chagrin. Tous d'ailleurs n'avons-nous pas le nôtre?
Jamais il ne se plaint, et souvent il sourit.
Tout comme un autre, il sait répondre aux mots d'esprit
Lancés après souper comme au jeu des raquettes,
Derrière l'éventail amuser les coquettes,
Voir le monde, lorgner les gens à l'Opéra,
Aller au bal, au club, aux eaux, et caetera.
Le sourire survit au bonheur. Qui peut dire
Cet homme malheureux, puisqu'on le voit sourire?
Savons-nous, quand, le soir, rêveurs, nous admirons
Le zodiaque immense en marche sur nos fronts,
Combien dans la nature, Isis au triple voile,
La lumière survit à la mort d'une étoile,
Et si cet astre d'or, dont le rayonnement
A travers l'infini nous parvient seulement
Et décore le ciel des nuits illuminées,
N'est pas éteint déjà depuis bien des années?

Donc, mort à toute joie et sans espérer mieux,
Olivier vit et souffre, et peut devenir vieux.
Indifférent à tout ce que le sort lui laisse,
Bon par occasion ou méchant par faiblesse,
11 est pour le vulgaire un sceptique élégant.
Comme on donne sa main, mais sans ôter son gant,
Même au plus cher ami qui de lui le réclame
Il ne dit qu'à moitié le secret de son âme;
Il jette la réserve entre le monde et lui,
Et de son désespoir ne montre que l'ennui.
Né fier, il garde encor la pudeur de sa peine.
Si parfois dans ses vers il fait, comme Henri Heine,
En ces heures de crise où tous nous faiblissons,
« De ses grandes douleurs de petites chansons »,
II n'y dit pas jusqu'où va sa mélancolie.
Il porte vaillamment sa douleur, et s'il plie,
C'est ainsi qu'une épée à l'acier pur et clair
Et pour se relever en lançant un éclair.
Mais lorsque, tisonnant son foyer plein de cendre,
Jusqu'au fond de son âme il ose encor descendre
Et qu'il en voit l'espoir envolé sans retour,
Quand du temps qui lui reste à vivre sans amour
Son esprit accablé mesure l'étendue,
Songeant à la dernière illusion perdue
Qui fit son triste coeur à jamais se fermer,
Il voudrait bien mourir, ne pouvant plus aimer.
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François Coppée. (1842-1908) XIV
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