PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE III

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité




François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE   III Empty
MessageSujet: François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE III   François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE   III Icon_minitimeSam 14 Juil - 0:08

III


partir de cette heure décisive, l'amour de la veuve pour son fils s'accrut en
raison du sacrifice qu'elle lui avait fait, et devint encore plus passionné,
presque jaloux. Elle ne pouvait plus se passer de la présence d'Armand. Elle
avait besoin sinon de le tenir sous ses yeux, du moins de le savoir à la maison,
tout près d'elle. Elle souffrait de ses absences, pourtant assez courtes,
puisqu'il n'allait au lycée que pour en suivre les cours, et parfois, prise d'un
impérieux désir de le revoir une demi-heure plus tôt, elle demandait sa voiture
et se faisait conduire à la porte de Louis-le-Grand. Elle arrivait là bien en
avance, s'impatientait, jetait sur la porte du lycée des regards d'amoureuse
venue la première au rendez-vous. Enfin, elle entendait le roulement de tambour
annonçant la fin de la classe, et si l'enfant sortait un des derniers, elle en
souffrait positivement, songeait presque à lui reprocher de ne pas avoir
pressenti qu'elle était là. Vite, elle le faisait monter dans le coupé,
l'étreignait pour le baiser au front, comme s'il fût revenu d'un long voyage, et
pendant tout le temps du retour le retenait ainsi contre elle, avec un geste
d'avare.
Quelquefois Armand sortait du lycée, riant et causant avec un camarade, et Mme
Bernard, soudain inquiétée, posait à son fils vingt questions pressantes:
«Comment s'appelle-t-il? Qui est-il? Que font ses parents? Veux-tu vraiment en
faire ton ami?». Et si Armand, avec le facile enthousiasme de son âge, parlait
chaleureusement de son jeune condisciple, vantait son esprit ou sa bonté, Mme
Bernard éprouvait une sensation pénible, se méfiait déjà de ce nouveau venu qui
lui prenait un peu de son enfant. C'était injuste, elle le savait, elle s'en
accusait. N'aurait-elle pas dû se réjouir, au contraire, qu'Armand fût
affectueux et cordial?
-Invite ce jeune homme à venir à la maison, disait-elle en faisant un effort. Je
serai charmée de le recevoir.
Et, quand elle revoyait le camarade, elle tâchait d'être très gracieuse, comme
pour se punir de son mauvais sentiment. Mais elle y réussissait mal; c'était
plus fort qu'elle; et elle ne retrouvait la possession d'elle-même que lorsque
l'autre était parti et qu'elle avait de nouveau son fils tout entier, à elle
toute seule.
Armand se rendait parfaitement compte de ce que la tendresse de sa mère avait
d'exclusif et d'ombrageux. Car tout en lui, intelligence et sensibilité, s'était
prématurément développé, et cela même à cause de l'éducation spéciale de son
enfance, très solitaire, très caressée, dans la tiédeur des jupes maternelles.
Il ne restait déjà plus, dans cette nature d'élite, aucun des instincts
égoïstes, brutaux, ingrats, qui sont, hélas! naturels chez les très jeunes gens.
Cet enfant extraordinaire, qui faisait des études excellentes et cueillait, en
se jouant, tous les lauriers universitaires, comprit, excusa, admira le coeur
maternel qui l'aimait d'un amour si aigu, jusqu'à la souffrance, et il n'y
toucha que d'une main pieuse et légère, avec les délicatesses d'un homme fait.
Ce fut une immense joie pour Mme Bernard quand elle reconnut qu'elle était tant
et si bien aimée. Alors elle se reprocha d'absorber son fils, de le trop garder
près d'elle. Elle attira dans sa maison et reçut avec bonté les camarades de son
Armand, voulut lui donner plus de liberté. Mais loin d'en abuser, comme l'eût
fait tout autre adolescent, il redoublait d'assiduité, de touchantes attentions,
Pendant plusieurs années, elle fut la plus heureuse des mères.
Un de ses très vifs plaisirs était de sortir à pied, dans Paris, au bras de son
fils. Il finissait sa dernière année de collège, était devenu un svelte et
charmant jeune homme, s'habillant bien, sans gaucherie. Quant à Mme Bernard,
elle avait franchi victorieusement la trente-sixième année. Bien des têtes se
retournaient sur leur passage; mais la belle veuve ne remarquait même pas que
tous les hommes avaient encore pour elle un regard soudainement charmé, tout
occupée qu'elle était de chercher, dans les yeux des femmes, un instant fixés
sur son fils, ce sourire fugitif qui signifie clairement: «Le joli garçon!» Il
ne paraissait pas y prendre garde, d'ailleurs, et c'était une douceur de plus
pour cette mère, de se dire que son cher fils, si intelligent, si précoce, était
en même temps si pur et ignorait à ce point sa beauté.
Elle y songeait bien quelquefois, à cette crise solennelle de la puberté, à
cette redoutable métamorphose qui, de l'adolescent, fait un homme. Oui, un jour
viendrait-jour maudit!-où son Armand aimerait une autre femme autrement et plus
qu'elle. Cette pensée la faisait si douloureusement souffrir que, prise de
lâcheté, elle ne voulait pas s'y arrêter, la chassait de son esprit. A coup
sûr,-mais plus tard, oh! bien plus tard,-quand Armand aurait fait son droit,
entrepris une carrière, il se marierait. Cela, c'était tout naturel. Et alors
elle serait raisonnable, l'aiderait à choisir une compagne qui pût le rendre
heureux. Mais la maîtresse, la voleuse de jeunes coeurs, celle qui prend un fils
à sa mère et le lui renvoie les sens troublés et les yeux meurtris, celle-là
était, pour la Corse rancunière, pour la chaste veuve du débauché, pour la mère
exigeante et jalousé, une ennemie d'avance exécrée, à laquelle elle ne pouvait
penser sans serrer les dents et sans trembler de colère.


Revenir en haut Aller en bas
 
François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE III
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE XI
» François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE XII
» François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE XIV
» François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE I
» François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE II

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: