PLUME DE POÉSIES
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 François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE X

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MessageSujet: François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE X   François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE   X Icon_minitimeSam 14 Juil - 0:12

X


es jours, des semaines ont passé, et la douloureuse situation reste le même
entre Mme Bernard et Armand.
En apparence, ils ont fait la paix. La seconde fois qu'elle l'a vu revenir vers
elle, les bras ouverts, elle n'a pas eu le coeur de le repousser. Ils se donnent
le baiser du matin et du soir. Mais, pour l'un comme pour l'autre, ce baiser est
maintenant un supplice. Elle ne peut se défendre d'un frisson de répugnance au
contact des lèvres de son fils, pourtant si fraîches sous la barbe légère. Elle
croit y trouver, elle y trouve le goût des caresses de «l'autre», de cette femme
qu'elle hait tant. Parfois, elle a besoin de se contenir pour ne pas s'essuyer
la figure. Quant à lui, lorsqu'il embrasse sa mère, il ne sent plus la bonne et
cordiale chaleur d'autrefois sur ce pâle visage, sur cette joue insensible qu'on
lui présente d'un air contraint, presque résigné.
Mme Bernard ne parle plus à son fils de sa liaison. Elle ne prononce jamais le
nom d'Henriette. Pourquoi? Par pudeur de femme, par fierté maternelle? Par
politique aussi, peut-être. Elle craint d'irriter le jeune homme, d'augmenter
encore la désunion qui s'est mise entre eux; elle estime plus sage de se taire,
de prendre patience. Elle ne lui parle jamais de ses amours; mais il devine, il
sait qu'elle ne pense qu'à cela, qu'elle y pense sans cesse, et dans les
moindres paroles de sa mère il soupçonne un double sens, une allusion, croit
découvrir une plainte ou une ironie.
Un moment est surtout pénible. C'est le soir, après le dîner, à cette même heure
où ils ont eu leur première explication. Mme Bernard s'assied à son éternelle
tapisserie, et, sans lever les yeux de son ouvrage, elle dit à Armand d'une voix
étouffée, où il y a de la crainte et de la prière:
-Tu sors?...
Le plus souvent, il répond doucement:
-Non, maman.
Car il a espacé ses rendez-vous avec Henriette. Oui, il a eu ce courage. Il a
donné pour raison à son humble amie, qui consent à tout, accepte tout, les
études de droit négligées depuis quelque temps à cause d'elle, un examen à
préparer. Mais Mme Bernard semble ne savoir aucun gré à son fils de cette
concession, qu'il juge héroïque cependant, et elle a l'air de trouver tout
simple qu'il reste au logis.
D'ailleurs, ils n'ont plus rien à se dire, ils échangent des paroles quelconques
sur des choses insignifiantes. C'est un effort, une peine même, que cet
entretien d'où la confiance est bannie.
Au bout d'une demi-heure, Armand finit par dire:
-Adieu, maman, je vais travailler.
Elle lui tend sa joue de marbre, et il se retire, plein d'ennui, dans sa
chambre.
Mais, comme Henriette est occupée tout le jour chez Paméla, il ne peut la voir
que dans la soirée; et, bien des fois, à la redoutable question: «Tu sors?» il
est obligé de répondre: «Oui». Sa mère pousse alors un soupir qui le crucifie,
et il s'en va sachant qu'il la laisse solitaire et désolée, et s'accusant d'être
un mauvais fils.
Le pauvre enfant n'était qu'un amoureux. Dès qu'il arrivait au rendez-vous, dès
qu'il apercevait Henriette accourant vers lui sous les arcades et souriant de
loin,-ah! il faut bien le dire,-tout était oublié. Il ne vivait plus que pour
les heures adorables qu'il passait auprès de sa jeune amie. Tout d'abord, pour
ne pas l'inquiéter, il ne lui avait rien dit de son dissentiment avec sa mère.
Mais deux amants vraiment épris peuvent-ils garder longtemps un secret l'un pour
l'autre? Un jour qu'Armand avait le coeur trop gros, il confia tout à Henriette.
Elle fut consternée. Entre elle et Mme Bernard la lutte lui semblait trop
inégale. Elle se rappelait avec terreur cette mère imposante, cette belle dame
aux yeux sévères, qu'elle avait offensée, après tout, et qui devait avoir tant
de moyens de ramener son fils à l'obéissance et de la vaincre, elle, la pauvre
petite. Certes, Armand protestait de sa constance, lui jurait de l'aimer
toujours, malgré tous les obstacles. Néanmoins, il ne parlait jamais de sa mère
qu'avec une grande tendresse, un respect profond. Elle aurait toujours sur lui
beaucoup d'influence, finirait, un jour ou l'autre, par le décider à une
rupture. A cette pensée, Henriette se sentait mourir. Ne plus voir Armand! le
perdre! Mais ce serait, pour elle, comme si on éteignait le soleil!
Cependant elle cachait ses craintes, s'efforçait de ne jamais montrer à son
amant qu'un visage joyeux. Puis, il était si bon, si aimant. Peu à peu, elle se
rassura. Enfin, une épreuve décisive-l'absence-lui permit de mesurer l'étendue
de son pouvoir sur le coeur d'Armand.
On était au commencement du mois d'août. L'étudiant venait de subir avec succès
son deuxième examen de droit, et l'époque était venue où Mme Bernard des Vignes
et son fils devaient, comme tous les ans, aller passer trois mois aux
Trembleaux, propriété considérable qu'ils possédaient dans la Mayenne.
Les deux femmes attendaient avec anxiété l'heure de cette séparation. C'était
pour la mère un motif d'espérance, pour la maîtresse un sujet d'inquiétude.
-S'il l'oubliait? songeait l'une, dans une minute de sombre joie.
-S'il m'oubliait? se disait l'autre, le coeur soudain gonflé d'un sanglot.
Armand avait doucement préparé Henriette à ce départ. C'était aussi cruel, aussi
dur pour lui que pour sa maîtresse de renoncer aux haltes délicieuses dans le
réduit d'amour, aux chères promenades à deux dans l'hospitalière bonté des nuits
d'étoiles. Et comme il serait long, cet exil! Mais le fils soumis ne pouvait se
dispenser d'accompagner sa mère, et, après une soirée d'adieux où furent
échangées d'ardentes promesses et versées de bien douces larmes, il dut partir.
Oh! comme elle s'ennuie, comme elle est triste, la pauvre Henriette, dans ce
Paris sec et brûlé de la canicule, aux rues presque vides, aux maisons muettes
et aveugles! Qu'elle est monotone, qu'elle est fastidieuse, cette interminable
journée de travail dans l'atelier à l'atmosphère de bain russe, où les ouvrières
en sueur chantonnent ensemble, à demi-voix, une bête et traînarde romance de
café-concert! Aujourd'hui pourtant, la grisette n'a plus hâte de s'en aller,
après le repas du soir. Personne ne l'attend sous les arcades. Où donc est son
«chéri», à présent? Que fait-il? Pense-t-il à elle? Pour regagner sa demeure,
elle prend encore par le plus long, par le chemin qu'elle suivait au bras
d'Armand, par leur chemin. Mais il a perdu tout son charme. Elle les trouvait si
beaux, naguère, dans le soleil couchant, le décor triomphal de la place de la
Concorde, le grand fleuve coulant sous le pont monumental, la vaste esplanade
dominée par le gigantesque casque d'or des Invalides! Ce n'est plus qu'une
fatigue pour elle, maintenant, ce long chemin à faire.
A la nuit tombante, elle passe devant la maison où elle a vécu les seules belles
heures de son existence. Elle s'arrête un instant, lève les yeux sur les volets
fermés de leur chambre. Ah! les âmes du Purgatoire doivent avoir ce regard-là
devant la porte close du Paradis! Il lui semble qu'il y a une éternité qu'Armand
est parti, et cependant-oui, elle compte sur ses doigts-cela fait seulement huit
jours. Quand remonteront-ils encore tous deux, en s'embrassant, l'escalier
obscur? Quand s'enfermeront-ils à double tour dans «la chambre de l'officier
supérieur», comme le disait Armand par plaisanterie, en répétant le mot de la
logeuse? Quand reverra-t-elle le meuble de velours rouge, revêtu d'ornements au
crochet, et le Galilée de la pendule qui indique une sphère terrestre de son
doigt de zinc doré? Quand reconnaîtra-t-elle, sur la muraille, dans leurs cadres
piqués des mouches, la Veille d'Austerlitz et les Adieux de Fontainebleau?
Puis, comme les becs de gaz s'allument, elle se remet en marche. Parfois, un
jeune lieutenant en bourgeois, qui vient du côté de l'École militaire et descend
dans Paris en quête d'amour, ralentit le pas en croisant cette gentille
Parisienne; mais, quand il voit ses yeux si tristes, il passe outre, sans tenter
l'aventure. Et Henriette continue son chemin par les avenues désertes, où le
souffle chaud du vent d'orage fait courir et voltiger autour d'elle les
premières feuilles sèches, les feuilles mortes si mélancoliques du précoce
automne de Paris.
Elle s'étiolerait, elle finirait par tomber malade de chagrin, si, toutes les
semaines, elle ne recevait une lettre d'Armand. Il ne peut la lui adresser chez
elle, à cause de la vieille tante. Mais, chaque dimanche, Henriette, qui est
libre ce jour-là, court chercher sa lettre, sa chère lettre, à la poste
restante, devant le Petit-Luxembourg, et va bien vite la lire dans le jardin.
Ah! les calicots endimanchés qui se promènent de ce côté-là peuvent se montrer
en riant cette jolie fille, absorbée dans sa lecture. Henriette se soucie bien
d'eux! Marchant lentement sous les marronniers à demi dépouillés, le long des
terrasses florentines, devant des reines de marbre, elle lit, elle relit vingt
fois les quatre pages où l'absent bien aimé a répandu toutes ses tendresses.
C'est son soutien, son viatique, à la pauvre fille, cette lettre dont chaque mot
lui caresse le coeur. Elle la gardera dans son corset toute la semaine, et la
relira, chaque soir, avant de s'endormir.
La grosse affaire, par exemple, c'est de répondre. Du Luxembourg, Henriette
retourne chez elle, et, dans l'après-midi, pendant que la tante est aux vêpres,
elle s'installe sur un coin de la table à manger, dispose le papier, la petite
bouteille d'encre, choisit une plume neuve, la mouille entre ses lèvres, puis
tombe dans une rêverie et ne sait que dire. Elle n'a plus tant de honte, à
présent, de sa grosse écriture et de ses fautes d'orthographe. Armand lui a dit
tant de fois qu'il les aimait, qu'il aimait tout ce qui venait d'elle! Mais,
comme lui, elle ne saura jamais inventer ces jolis mots, ces mignonnes façons de
dire: «Je t'aime!» Aussi les premières lignes de sa réponse sont toujours
maladroites, embarrassées. Mais bientôt elle se laisse entraîner par son
sentiment, elle écrit à son amoureux comme s'il était là, comme si elle lui
parlait; et alors, au hasard de la plume, sans s'en douter, elle rencontre de
saisissantes images, de charmantes trouvailles de style. Ainsi,-un jour qu'elle
veut rassurer Armand, qui, presque jaloux dans son exil, lui a demandé avec
inquiétude: «Es-tu vraiment bien à moi?»-elle répond, éloquente de passion: «Je
suis à toi, mon bien-aimé, comme un couteau que tu aurais dans ta poche, bon
pour tuer un homme ou pour éplucher un fruit».
Comme elle serait heureuse, si elle savait à quel point, là-bas, aux Trembleaux,
Armand languit et souffre d'être privé d'elle! Car le fidèle enfant, lui aussi,
compte les journées et les heures. C'est à cause d'Henriette qu'il s'isole,
qu'il refuse autant que possible d'aller aux fêtes des châteaux voisins, où sa
mère voudrait qu'il parût. C'est avec le souvenir de sa chère petite amie qu'il
s'enferme dans la vieille bibliothèque et marche de long en large devant les
rayons poudreux, ou qu'il erre, pendant des après-midi entières, sous les hêtres
solennels du grand parc. C'est parce que Henriette est loin qu'il n'aime plus ce
beau paysage et cet ancien logis, qui lui rappellent pourtant les plus doux
souvenirs de son enfance; c'est parce que Henriette est absente que le gracieux
château de la Renaissance, dont l'élégante façade se mire dans un étang où
nagent deux cygnes, semble à Armand lugubre et morne comme une prison ceinte de
fossés.
Quant à Mme Bernard des Vignes, elle est toujours malheureuse et troublée.
Armand est pour elle plein d'égards, mais elle sent qu'il pense toujours à sa
maîtresse, que cette séparation n'a rien changé à l'état de son coeur, que
l'ennemie n'est pas vaincue. La mère jalouse en est désespérée. Plusieurs fois,
en causant avec son fils, elle a essayé d'aborder de nouveau ce pénible sujet,
d'y faire au moins allusion. Mais Armand s'est alors enfermé dans un silence
respectueux et sournois, a seulement rougi et baissé les yeux.
Cependant septembre a rempli les vergers de fruits mûrs. Les raisins se sont
dorés sur les treilles. Octobre arrive avec ses brumes matinales. Il passe, il
s'écoule. Déjà les arbres ont des feuilles jaunes. Puis, un matin, voici les
pluies de la Toussaint, les pluies d'automne, lourdes et froides.
Mme Bernard n'a plus de raisons à donner à son fils pour le retenir davantage à
la campagne. Les cours de l'École de Droit vont rouvrir. Il faut revenir à
Paris, rentrer dans l'appartement du quai Malaquais.
Et, dès le lendemain du retour, la lutte sourde recommence.
On vient de se lever de table; Mme Bernard s'assied à sa tapisserie.
-Tu sors?
-Oui, maman.
Son fils est toujours l'amant de cette Henriette!... Oh! comme elle la hait!


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François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE X
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