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 Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE 4

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James
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Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE 4 Empty
MessageSujet: Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE 4   Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE 4 Icon_minitimeSam 14 Juil - 16:52

LIVRE 4


P50

Aman raconte ainsi du saint victorieux,
Les célébres exploits, et le sort glorieux,
Et du sage nocher captiuant les oreilles,
Le force d'admirer tant d'augustes merueilles,
Dont l'éclat fait rougir les dieux et les héros,
Qui parmy les payens eurent tant de deuots.
Tant qu'il parle, Ionas dans le sommeil se plonge,
Franc des illusions que forme vn mauuais songe;
Mais Dieu veille, et montrant au prophéte égaré,
Qu'il n'est point contre-luy de refuge asseuré,
Que la terre et le ciel redoutent sa puissance,
Et que l'eau n'éteint point le feu de sa vengeance:
Tout-à-coup il fit naistre vn orage bruyant,

P51

Qui remplit de terreur tout l'empire ondoyant.
L'air, naguére serein, se couure de ténébres,
Que percent des éclairs les lumiéres funébres,
Et les feux de la foudre allument, à leur tour,
Dans cette nuit terrible, vn plus terrible iour,
Dont la clarté funeste, horrible, et vagabonde,
Met l'effroy dans l'esprit, et le trouble dans l'onde;
Et fait voir en cent lieux, sur les flots deceuans,
De liquides tombeaux et des gouffres mouuans.
Les vens qui sont poussez de mouuemens contraires,
Y font craindre, et souffrir leurs diuerses coléres;
Et dans leurs différens, forment vn rude accord,
Qui trouble tous les cieux où se fait leur effort.
La mer se bouleuerse, et les eaux souleuées
S'élançent à longs-traits, dans le sein des nuées;
La pluye est opposée à ces traits furieux;
Le ciel tombe en la mer, quand la mer monte aux cieux;
Et dans cette rencontre, on peut voir assemblées,
Les fureurs de l'eau douce, et des ondes salées.
Le nauire, poussé plus viste qu'vn éclair,
Vogue moins sur les flots qu'il ne vole dans l'air,
Et contraint de chercher vne route inconnuë,
Il est tantôt sous l'onde, et tantôt dans la nuë;
Quelquefois dans son sein, la mer s'enséuelit;
Quelquefois pour le suiure elle sort de son lit.
Tel void-on le milan, que la bise proméne,
Et de la plaine au mont, et du mont à la plaine;
Son essor en montant se dérobe à nos yeux;
Sa chute, en descendant, le pousse aux plus bas lieux;
Il souffre à tous momens quelque atteinte nouuelle,
De l'arbre et du rocher, qu'il frise de son aile;
Et par fois, on diroit que dans le sein de l'eau,
Son vol précipité va chercher son tombeau.
Le pilote, qui craint, durant l'aspre tourmente,
Que la nef coule à fond sous sa charge pesante,
Contraint de s'apauurir, afin de se sauuer,
Aux dépens de ses biens, veut ses iours conseruer;
Trop heureux, si la mer, au change accoustumée,
Par ce riche présent pouuoit estre charmée.
Mais sa fierté le trouue vn don à dédaigner,

P52

Comme on ne la peut vaincre, on ne la peut gagner.
Le pilote prudent auoit baissé ses voiles;
Dont les vens n'enflent plus ni ne rompent les toiles.
Mais quand cet objet manque à leur soufle insolent,
Ils font sur tout le reste vn effort violent.
Le gouuernail se void repoussé de l'orage;
Le mast demy-brisé fait craindre le naufrage;
Les cordages pressez d'vn rigoureux tourment,
Comme voulant se plaindre y sifflent tristement,
Et chaque marinier, par ses cris pitoyables,
Ioint à leurs rudes sons, des sons plus effroyables.
Qui pourroit raconter le desordre des flots,
Le trouble du vaisseau, l'effroy des matelots?
La mer en retentit, et tout l'air en résonne,
Et les poissons frappez du bruit qui les étonne,
Se vont cacher de peur, sous les affreux rochers,
Dont la prudence et l'art éloignent les nochers.
Mais en vain le nocher se veut montrer habile,
Toute prudence est vaine, et tout art inutile;
L'orage continuë à les persécuter,
Les contraires effors ne font que l'irriter;
Et des vens et des flots la troupe mutinée,
Par l'obstacle opposé deuient plus obstinée.
Comme lors qu'au milieu d'vne vaste cité,
Eclatent les fureurs d'vn peuple réuolté:
Le prudent sénateur qui la raison consulte:
Augmente des mutins l'audacieux tumulte;
Ainsi les sages soins du pilote sçauant,
Irritent le caprice et de l'onde et du vent.
Et quoy qu'en cet état sa science entreprenne,
Il ne void point le fruit qu'il attend de sa peine.
Alors les matelots, vaincus par le danger,
Sur le point de mourir ne font que s'affliger;
L'vn regrette sa femme, en vn sort si contraire,
Celuy-cy plaint son fils, celuy-là plaint son pére,
Et chacun dit, alors, d'vn soin triste et confus,
Chers parens, chers amis! Ie ne vous verray plus.
Le maître du nauire aperçeuant leurs craintes,
Vient mesler tristement ses discours, à leurs plaintes;
Mes amis! C'est en vain que nos soins et nos pleurs,
Montrent nostre industrie, et font voir nos douleurs;

P53

Mais cherchant de nos maux la fatale origine;
Ie trouue que la cause en est toute diuine,
Cet orage soudain dont le ciel courroucé,
N'a fait voir dans les airs aucun signe tracé,
Ne montrant à nos yeux ni vapeur ni nüage,
Qui fust de nos mal-heurs le sinistre présage,
Cet orage est vn fleau contre-nous suscité,
Par quelqu'vn de nos dieux ardemment irrité.
Esteignons donc le feu d'vne ardeur si funeste;
Appaisons, s'il se peut, la colére céleste;
Il nous faut pour reméde vn pouuoir plus qu'humain,
Nostre aide doit venir d'vne immortelle main,
Qui dispose à son gré des vens et des tempestes,
Qui nous rende le calme et qui sauue nos testes,
Et par le prompt effet d'vn absolu pouuoir,
Appaise l'élément qu'elle vient d'émouuoir,
La priére et les voeux dans ce trouble funeste,
Sont l'vnique moyen dont l'vsage nous reste,
Nostre vie en dépend, et pour sauuer nos iours,
Toute autre diligence est vn foible secours.
Ce qu'il dit, est touhant; mais leur ame farouche
Défére plus aux vens qu'aux leçons de sa bouche,
Et ces coeurs, que le calme a veûs sans piété,
Cherchent pendant l'orage vne diuinité.
Mais quels voeux peut former leur esprit idolâtre,
Qui ne sert qu'à des dieux d'or, de marbre, et de plâtre?
De quel dieu se sera leur esprit souuenu?
Celuy qui fit la mer ne leur est point connu,
Leur ame adressera ses voeux à la fortune,
Leur voix implorera le trident de Neptune,
Et chacun recourant à ses dieux impuissans,
Leur promettra des fleurs, des fruits et de l'encens.
S'ils rendent à la mer sa prémiére bonace,
Et luy font éuiter la mort qui les menace.
En effet, ces payens, dans leur aueuglement,
Se tournent vers des dieux qui sont sans mouuement,
Chacun d'eux inuoquant quelque muëtte idole,
À qui manque la force, ainsi que la parole.
Mais que leur dit Ionas de leur deuotion,
Luy qui connoît le dieu qu'on adore en Sion?

P54

Ne leur apprend-il pas que leurs dieux tuteilaires,
Sont moindres que les vens qui leur sont si contraires?
Et qu'il n'est qu'vn seul dieu, qu'vn monarque des cieux,
Capable d'arrester leur souffle audacieux?
Non, des vens déchaînez l'incroyable furie,
Ni des rudes nochers l'infame idolâtrie,
N'excitent point en luy l'épouuante, ou l'horreur,
Que de pareils objets demandent à son coeur;
Il ne craint point des flots les puissances meurtriéres,
Ni n'instruit ces payens à de saintes priéres.
D'vn si profond sommeil ses sens sont hébétez,
Qu'il dort parmy leurs cris, et les flots agitez.
C'est ainsi qu'vn rocher que la mer orageuse,
Blanchit en murmurant de son onde écumeuse,
Résiste aux vains assauts de l'orage et du vent,
Et demeure immobile où tout paroît viuant.
Trop endurcy Ionas! Est-il donques possible,
Que de tels accidens te trouuent insensible?
Eueille, éueille-toy, romps ce morne repos,
Ecoute la tempeste, et regarde les flots,
Voy comme ces payens qui ménent le nauire,
Eléuent vers le ciel leur ame qui soupire;
Et rens, par vn vray zéle, au dieu de tes ayeux,
Ce que leur folle erreur adresse à des faux-dieux.
Mais, malgré son deuoir, le prophéte sommeille;
Lors qu'enfin, par ces mots, le pilote l'éueille.
Quoy! Tu dors, et ton ame en songe seulement
Ne void pas que la mer nous ouure vn monument?
Sus donc, pousse des voeux vers le dieu de tes péres,
Engage sa puissance à finir nos miséres;
Car nos dieux, dont nostre ame a cherché le secours;
À nos maux, à nos cris sont aueugles et sourds.
Aman nous racontoit que ses mains secourables,
Ont produit par ta voix tant d'exploits admirables,
S'il ne t'a point flaté d'vne fausse vertu,
Ô dormeur imprudent! Que ne l'inuoques-tu?
Si tu sers vn grand dieu, maître de toutes choses,
Qui du bien et du mal fait les métamorphoses;
Si pour nous garentir au milieu des hazars,
Il a plus de pouuoir que Neptune et que Mars,

P55

Que ce grand Iupiter sous qui l'Olimpe tremble,
Fay que pour nous sauuer ses forces il assemble,
Qu'il soit de ce vaisseau le refuge et l'appuy,
Nostre encens et nos voeux ne seront que pour luy.
À ce pressant discours, le prophéte chancelle,
Et peint sur son visage vne ame criminelle;
Il tremble, et de son crime vn cuisant souuenir,
Plutost que la tempeste a dequoy le punir.
Ce cruël souuenir de sa faute passée,
Agite ses esprits et trouble sa pensée,
Et contre son coeur foible armant mille remors,
Pour vne seule mort luy liure mille morts.
Son oeil jette des pleurs, et sa bouche soûpire;
Mais il ne parle point, mais il ne peut rien dire;
Aussi que peut-il dire, en cette occasion,
Que sa voix ne prononce à sa confusion?
Peut-il faire des voeux, ou chercher quelque excuse,
Quand son dieu le poursuit, quand son crime l'accuse:
Il fuit ce mesme dieu qu'il deuroit inuoquer,
Il sait, il se souuient, qu'il osa le choquer;
De reclamer son nom, auroit-il le courage,
Luy qui vient de luy faire vn si sensible outrage?
Et se pourroit-il bien qu'il eust assez de front,
Pour implorer son ayde, aprés vn tel affront!
Non, non, il n'oseroit; mais ce confus silence
Au prudent Lycidas découurant son offense;
Quelque monstre, dit-il, que l'enfer a vomy,
Que le ciel irrité void d'vn oeil ennemy,
Quelque blasphémateur du dieu de sa patrie,
Qui par quelque insolence a sa gloire flétrie;
Se cachant parmy-nous, qui l'auons trop souffert,
Attire ainsi sur nous le mal-heur qui nous pert;
Et chacun void assez que dans cette auenture,
Vn dieu pour le punir a troublé la nature,
Puis donc qu'il est ainsi, venez, jettons le sort,
Pour voir qui de la troupe a mérité la mort,
Et découurons l'auteur de ce crime exécrable,
Qui fait tomber sur nous vn fleau qui nous accable.
Le prophéte se trouble à ce nouuel assaut,
Qui découure son foible, et trouue son defaut,

P56

Tel qu'on void vn sujet à son prince rebelle,
Craindre du iuge exact la sentence mortelle,
Tel le prophéte craint, quand il void quele sort
Va découurir sa faute et luy donner la mort.
Tandis que son esprit, trop prompt à se confondre,
Cherche, et médite en vain, ce qu'il pourra répondre;
Dieu qui guide le sort, comme il préside aux flots,
Luy fait choisir Ionas entre cent matelots.
Lors ils ne doutent plus que cette mesme teste,
Estant le choix du sort n'ait causé la tempeste;
À cet arrest du sort Aman est estonné,
Non moins, que si du sort il estoit condamné;
Comme Dieu l'a pourueu d'vne ame belle et haute,
Il regrette Ionas, il rougit de sa faute;
Et deuore pourtant la honte et la douleur,
Que luy fait d'vn amy le crime, et le mal-heur.
N'osant donc insulter à l'illustre coupable,
Ni démentir du sort le decret equitable,
Ses regars il éuite, et du ciel irrité
Reconnoist la justice et requiert la bonté.
Mais le pilote, aigry par cet homme funeste,
Que poursuit sur les eaux la vengeance celeste;
C'est donc toy, luy dit-il, dont le crime odieux,
Vient d'armer contre nous et la mer et les cieux?
Ô Ionas, c'est donc toy! (qui iamais l'eust pû croire)
Par qui le tout-puissant a veû flétrir sa gloire,
Et tu ne craignois pas de nous enuelopper,
Dans les coups dont sa main cherchoit à te frapper!
Ingrat! Ignorois-tu que ce dieu redoutable,
Pour punir les forfaits tient vn glaiue équitable?
Toy, qui fus l'instrument de ces fameux exploits,
Où sa dextre vengeoit le mépris de ses loix!
Quelle estoit ta folie, ame trop imprudente!
D'embrasser les moyens d'vne perte éuidente?
Ou quelle est ton audace irritant sa fureur,
D'en voir le coup fatal sans mourir de frayeur?
On pourroit t'excuser, si ta noire malice
N'exposoit que ta teste aux coups de sa justice;
Mais qui ne se plaindroit d'vn destin rigoureux,
Qui pour vn criminel fait tant de mal-heureux?
Alors, Ionas se léue, et rompant le silence,

P57

Il s'accuse, et tout-haut, confessant son offense;
Punissez-moy, dit-il, vous sçauez qui ie suis,
Le dieu qui nous poursuit, est celuy que ie fuis.
Ce n'est pas sans sujet qu'il se montre séuére,
Ma voix a refusé d'annoncer sa colére,
Et sans me souuenir que mille et mille fois,
Il a fait hautement triompher cette voix,
Niniue, où m'enuoyoit sa majesté tres-sainte,
M'a pû faire trembler d'vne trop lâche crainte;
Ie l'adore, pourtant, ce roy de l'vniuers,
Ce dieu qui fit le ciel, l'air, la terre, et les mers;
Ie l'adore, et les dieux que vostre coeur honnore,
N'ont rien de comparable à celuy que i'adore.
Ie béniray son nom, en souffrant son courroux,
Et baiseray sa main, en tombant sous ses coups.
Au nom de ce grand dieu, dont ce trait de vengeance,
Découure la justice ainsi que la puissance,
Des rudes matelots les coeurs effarouchez,
Tremblent, reconnoissant leurs énormes péchez;
Et de ses jugemens vne frayeur secrette,
Les force à s'accuser, ainsi que le prophéte.
Le remors les contraint d'imiter les roseaux,
Que le souffle de l'air agite sur les eaux;
Mais parmy ce remors dont leur ame est atteinte,
Ie ne say quel respect accompagne leur crainte.
Leur courage étonné réuére l'eternel
Dans son ambassadeur, quoy qu'il soit criminel;
Et croyant du seigneur voir en luy quelque image,
Ils n'osent l'adorer pour luy faire vn outrage.
Mais le flot les pressant d'accomplir le projet,
Dont le sort équitable a marqué le sujet,
Ils luy disent, enfin, mais d'vne ame forcée,
Qui montre le regret dont leur ame est pressée;
Hélas! Que ferons-nous? Faut-il suiure le sort
Qui pour nous préseruer te condamne à la mort!
Ionas r'asseure, alors, leurs ames êtonnées,
Veut qu'on suiue le sort qui tranche ses années,
Bien-loin de murmurer de leur mortel dessein,
Il excite leurs bras, leur tend mesme la main;
Et par vne équité, qui n'a point de pareille,

P58

Il haste leur vengeance, et sa mort leur conseille.
C'est ainsi qu'à la guerre vn généreux vaincu,
Dont le plus grand regret est d'auoir trop vescu;
À la pointe des dars présente sa poitrine,
Et préuient du desir, les coups qu'on luy destine.
Ie vois-bien, dit Ionas, que l'arbitre du sort,
Plutost que le sort mesme a résolu ma mort,
Et que ce dieu puissant, qui m'offroit sa conduite,
Veut lauer dans la mer la honte de ma fuite.
Ie le fuis; mais sa main, m'ateignant sur les eaux,
De tous leurs flots pour moy, fait autant de tombeaux;
Et pouuois-je éuiter sur l'onde, ou sur la terre,
La présence du dieu qui me liure la guerre?
Quoy que ie monte au ciel, ou descende aux enfers,
Sa main m'y surprenant me mettra dans les fers,
Il n'est point de rampart que sa force n'abate,
Ni d'azyle si seur où sa foudre n'éclate.
Mais parmy tant de fleaux dont ses puissantes mains,
Ont droit de foudroyer les fautes des humains,
En est-il de plus propre à venger des outrages
Que le courroux des flots artisans des naufrages?
C'est aussi sur les flots que mon sort m'a conduit,
Par vn ordre secret du dieu qui me poursuit,
Il a poussé mon corps sur ce theâtre humide,
Mon corps qui fut toûjours sur l'élément aride;
Au-lieu de préférer le ferme à l'inconstant,
Le calme à l'orageux, le paisible au flotant.
Ma raison est aueugle au choix de mon azyle,
I'entre dans vn nauire, et non dans vne ville,
Ce grand dieu permettant que ie choisisse mal,
Pour me voir en vn goufre, à mon repos fatal;
Et dont, à tous momens, le dangereux caprice,
Me reproche mon crime, et m'ouure vn precipice.
Vous voyez donc en moy la cause des malheurs,
Qui font croître les eaux du tribut de vos pleurs.
Liurez-donc ce rebelle au pouuoir de l'orage,
C'est l'vnique moyen d'éuiter le naufrage;
Si j'éuite les flots, le ciel vous va noyer,
Si vous ne me noyez, il vous va foudroyer.
Mais si du dieu vengeur ie deuiens la victime,

P59

Auec le criminel sera noyé le crime;
Sur vos testes luira son céleste secours,
Dés que l'onde éteindra le flambeau de mes jours,
Ma mort desarmera sa flambante colére;
Mon sang adoucira les flots de l'onde amére;
Et ce vaste océan, d'vn cours moins agité,
Poussera vostre nef dans le port souhaité.
Ce discours généreux qu'vn repentir loüable
Fait sortir d'vne bouche, éloquente, et coupable,
Retient les matelots, et charmant leur fureur,
Pour ce coup inhumain, leur donne de l'horreur;
Son asseuré maintien, et son mâle langage,
Changent tous leurs desseins auéque leur courage;
Cette soif du trépas qu'il vient de témoigner,
En leur liurant son sang, les porte à l'épargner;
Plus il veut satisfaire à leur prémiére enuie,
Plus leur pitié s'obstine à luy sauuer la vie.
Ainsi lors qu'en colére vn roy vient assiéger
Vn rebelle sujet dont il veut se venger,
Les habitans du lieu dont il fait son azyle,
Panchent à le liurer, pour conseruer leur ville;
Mais quand de son forfait le juste repentir,
Précipite sa perte, et l'y fait consentir;
Sa voix les adoucit, sa constance les charme,
Et pour d'autres desseins il les gagne, et les arme.
Tous ayment mieux tenter le secours de leurs mains;
Pour vaincre l'onde émuë, et les flots inhumains,
Que de les appaiser par la perte d'vn homme,
Qu'vne si noble ardeur précipite et consomme.
Mais tandis que chacun pour sauuer le vaisseau,
Oppose son trauail à la fureur de l'eau;
Les flots, plus irritez par cette résistance,
Contre les mariniers redoublent leur puissance;
Et semblent murmurer dans ces âpres combats,
De ce que leur pitié leur refuse Ionas.
Menaçant de noyer, par vn soudain naufrage,
Tout ce qui leur resiste, et s'oppose à leur rage,
Si dans ce mesme instant il ne leur est donné,
Ce Ionas que le sort leur auoit destiné.
Le soleil enfermé dans vn sombre nuâge,

P60

Cache depuis long-temps l'éclat de son visage;
Dans cette obscurité le nauire flotant,
Est le joüet de l'onde, et de l'air inconstant,
Et dans la vaste mer précipitant sa course,
Ignore en ses erreurs la conduite de l'ourse,
Plus viste que le vent contre luy courroucé,
Iusqu'à la mer Egée il a déja passé;
Là par l'ordre fatal de l'essence diuine,
Tous les vens, plus qu'ailleurs, conspirent sa ruine,
Parce que dans ses flancs il ose retenir
Celuy que l'eau demande, et que Dieu veut punir.
L'orage redoublé, qui le frape, et s'en jouë,
Est prest à renuerser et sa poupe et sa prouë,
Et le soufle secret du diuin iugement,
Luy prépare vn cercueüil dans l'humide elément,
La crainte du péril si proche, et si visible,
Qui dépeint aux nochers le naufrage infaillible,
Les fait resoudre, enfin, à chercher dans sa mort,
Le salut que le ciel refuse à leur effort.
Ainsi lors qu'vn grand feu que l'eau ne peut éteindre,
Brûlant vne maison, aux autres le fait craindre,
Cent bras la renuersant, du toit, au fondement,
Préuiennent le péril du proche embrasement.
Mais dans cette occurrence vne prudence sainte,
Vn soin religieux, vne pieuse crainte,
Leur fait chercher en Dieu l'équitable garend,
De ce funeste coup que leur bras entreprend.
Donc, auant que leur main, le jette au sein de l'onde,
Pour calmer la fureur de l'orage qui gronde,
Ils demandent qu'il soit le fidéle témoin,
De leur juste conduite en ce pressant besoin.
Grand dieu! Luy disent-ils, qu ta haute justice,
Ne venge point sur nous son sang, et son supplice,
Si nous l'abandonnons à ton courroux ardent,
Tu conduis tout le cours de ce triste accident,
Nous n'entreprenons rien dans ce danger extrême,
Que ce que tu prescris, et qu'il cherche luy-mesme.
Ils parlent, et l'effet la parole suiuant,
Ils le jettent dans l'onde à la mercy du vent.
Mais que dis-je du vent! Sur les humides plaines,

P61

Tous les vens desormais retiennent leurs haleines;
Et depuis que Ionas boit l'humide elément,
L'agréable zephyre y soufle seulement,
Et par son vol paisible, ennemy de l'orage,
Esloigne la tempeste, et sert pour le voyage.
La foudre n'y fait plus redouter ses effets,
Et ne menace plus d'y venger des forfaits;
Les yeux n'y souffrent plus, par des objets funébres,
Le calme en a chassé le bruit, et les ténébres,
Tout nuage s'enfuit, tout l'air se montre pur,
Et le ciel, desormais, laisse voir son azur.
Et comme vn peu d'eau froide, en son effet puissante,
Arreste les boüillons d'vne eau chaude et mouuante,
Ainsi, lors que Ionas est jetté dans les flots,
Il calme leur furie, et leur rend le repos.
Cét effet si soudain montre que la tempeste,
Ne vouloit accabler que cette seule teste;
Et chacun qui du ciel void le juste decret;
Se sauue, par sa perte, auec moins de regret.
Il n'est rien de plus doux, sur le point du naufrage,
Qu'vn calme inopiné qui succede à l'orage,
L'aise reuient dans l'ame, et les sens r'animez,
Se plongent dans l'extase et sont comme charmez.
L'asseurance reuient, et chasse les alarmes,
Et la joye, à son tours, prend la place des armes.
L'alégresse et les ris, en leurs plus doux transpors,
Remplissant le dedans s'épanchent au dehors.
Les yeux semblent parler, à l'enuy de la bouche,
Des douceurs du présent dont le seul objet touche,
De nouuelles couleurs le visage se peint,
Et le plaisir du coeur se fait voir sur le teint.
Comme on void l'arc-en-ciel ce beau cercle d'opale
Dont l'émail dans les airs pompeusement s'étale,
Aprés que la nuée où brillent ses couleurs,
A versé ses torrens sur l'herbe et sur les fleurs.
Les joyeux matelots affranchis de la peine,
Que leur causoit l'effroy d'vne mort inhumaine,
Bannissent ces regrets, ces pleurs et ces soûpirs;
Et jouïssent du calme auec mille plaisirs,

P62

Ils réputent à-gain, la perte qu'ils ont faite,
Puis-qu'ils viuent encor, leur ame est satisfaite,
Es leur contentement éclate dans leurs yeux,
Comme l'or du soleil luit dans l'azur des cieux.
Mais au milieu de l'aise où leur ame rauie,
Va goûter de nouueau les douceurs de la vie,
Ils pensent au grand dieu, dont l'ordre souuerain
À la fureur des vens, serre, et lâche le frein,
Qui sur l'onde exerçant vn équitable empire,
Iette dans le péril, et du péril retire,
Les garentit des flots, où trébuche Ionas,
Et leur donne la vie, en signant son trépas.
En suite, au roy des rois, leurs paisibles courages,
Rendent le saint honneur, de leurs justes hommages,
Et soûmis à ce dieu, si puissant et si doux,
D'vn soin reconnoissant, le préférent à tous;
Ils benissent la main qui leur est si propice;
Tous, de leur gratitude offrent le sacrifice,
Non aux dieux qu'autrefois ils reclamoient en vain,
Mais au puissant auteur d'vn calme si soudain;
Ils rendent grace à Dieu, non pas à la fortune;
Ils préférent son bras, à celuy de Neptune;
Chacun renonce, alors à ces dieux impuissans,
Consacre à l'eternel son coeur et son encens;
Et purgeant son esprit de mille erreurs friuoles,
Regrete tous les voeux qu'il a faits aux idoles.

_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James

Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE 4 Une_pa12Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE 4 Plumes19Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE 4 James_12Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE 4 Confes12


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