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 Gérard De Nerval (1808-1855) IV. - Un voyage à Cythère

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Inaya
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Inaya


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Gérard De Nerval (1808-1855) IV. - Un voyage à Cythère Empty
MessageSujet: Gérard De Nerval (1808-1855) IV. - Un voyage à Cythère   Gérard De Nerval (1808-1855) IV. - Un voyage à Cythère Icon_minitimeJeu 30 Aoû - 22:29

IV. - Un voyage à Cythère

Quelques années s'étaient écoulées: l'époque où j'avais rencontré Adrienne
devant le château n'était plus déjà qu'un souvenir d'enfance. Je me retrouvai à
Loisy au moment de la fête patronale. J'allai de nouveau me joindre aux
chevaliers de l'arc, prenant place dans la compagnie dont l'avais fait partie
déjà. Des jeunes gens appartenant aux vieilles familles qui possèdent encore là
plusieurs de ces châteaux perdus dans les forêts, qui ont plus souffert lu temps
que des révolutions, avaient organisé la fête. De Chantilly, de Compiègne et de
Senlis accouraient de joyeuses cavalcades qui prenaient place dans le cortège
rustique des compagnies de l'arc. Après la longue promenade à travers les
villages et les bourgs,. après la messe à l'église, les luttes d'adresse et la
distribution des prix, les vainqueurs avaient été conviés à un repas qui se
donnait dans une île ombragée de peupliers et de tilleuls, au milieu de l'un des
étangs alimentés par la Nonette et la Thève. Des barques pavoisées nous
conduisirent à l'île, - dont le choix avait été déterminé par l'existence d'un
temple ovale à colonnes qui devait servir de salle pour le festin. Là, comme à
Ermenonville, le pays est semé de ces édifices légers de la fin du XVIIIe
siècle, où des millionnaires philosophes se sont inspirés dans leurs plans du
goût dominant d'alors. Je crois bien que ce temple avait dû être primitivement
dédié à Uranie. Trois colonnes avaient succombé emportant dans leur chute une
partie de l'architrave; mais on avait déblayé l'intérieur de la salle, suspendu
des guirlandes entre les colonnes, on avait rajeuni cette ruine moderne, - qui
appartenait au paganisme de Boufflers ou de Chaulieu plutôt qu'à celui d'Horace.
La traversée du lac avait été imaginée peut-être pour rappeler le Voyage à
Cythère de Watteau. Nos costumes modernes dérangeaient seuls l'illusion.
L'immense bouquet de la fête, enlevé du char qui le portait, avait été placé sur
une grande barque; le cortège des jeunes filles vêtues de blanc qui
l'accompagnent selon l'usage avait pris place sur les bancs, et cette gracieuse
théorie renouvelée des jours antiques se reflétait dans les eaux calmes de
l'étang qui la séparait du bord de l'île si vermeil aux rayons du soir avec ses
halliers d'épine, sa colonnade et ses clairs feuillages. Toutes les barques
abordèrent en peu de temps. La corbeille portée en cérémonie occupa le centre de
la table, et chacun prit place, les plus favorisés auprès des jeunes filles: il
suffisait pour cela d'être connu de leurs parents . Ce fut la cause qui fit que
je me retrouvai près de Sylvie. Son frère m'avait déjà rejoint dans la fête, il
me fit la guerre de n'avoir pas depuis longtemps rendu visite à sa famille. Je
m'excusai sur mes études, qui me retenaient à Paris, et l'assurai que j'était
venu dans cette intention. "Non, c'est moi qu'il a oublié, dit Sylvie. Nous
sommes des gens de village, et Paris est si au-dessus!" Je voulus l'embrasser
pour lui fermer la bouche; mais elle me boudait encore, et il fallut que son
frère intervînt pour qu'elle m'offrît sa joue d'un air indifférent. Je n'eus
aucune joie de ce baiser dont bien d'autres obtenaient la faveur, car dans ce
pays patriarcal où l'on salue tout homme qui passe, un baiser n'est autre chose
qu'une politesse entre bonnes gens.
Une surprise avait été arrangée par les ordonnateurs de la fête. A la fin du
repas, on vit s'envoler du fond de la vaste corbeille un cygne sauvage, jusque-
là captif sous les fleurs, qui, de ses fortes ailes, soulevant des lacis de
guirlandes ci de couronnes, finit par les disperser de tous côtés. Pendant qu'il
s'élançait joyeux vers les dernières lueurs du soleil, nous rattrapions au
hasard les couronnes dont chacun parait aussitôt le front de sa voisine. J'eus
le bonheur de saisir une des plus belles, et Sylvie souriante se laissa
embrasser cette fois plus tendrement que l'autre. Je compris que j'effaçais
ainsi le souvenir d'un autre temps. Je l'admirai cette fois sans partage, elle
était devenue si belle! Ce n'était plus cette petite fille de village que
j'avais dédaignée pour une plus grande et plus faite aux grâces du monde. Tout
en elle avait gagné: le charme de ses yeux noirs, si séduisants dès son enfance,
était devenu irrésistible; sous l'orbite arquée de ses sourcils, son sourire,
éclairant tout à coup des traits réguliers et placides, avait quelque chose
d'athénien. J'admirais cette physionomie digne de l'art antique au milieu des
minois chiffonnés de ses compagnes. Ses mains délicatement allongées, ses bras
qui avaient blanchi en s'arrondissant, sa taille dégagée, la faisaient tout
autre que je ne l'avais vue. Je ne pus m'empêcher de lui dire combien je la
trouvais différente d'elle-même, espérant couvrir ainsi mon ancienne et rapide
infidélité.
Tout me favorisait d'ailleurs, l'amitié de son frère, l'impression charmante de
cette fête, l'heure du soir et le lieu même où, par une fantaisie pleine de
goût, on avait reproduit une image des galantes solennités d'autrefois. Tant que
nous pouvions, nous échappions à la danse pour causer de nos souvenirs d'enfance
et pour admirer en rêvant à deux les reflets du ciel sur les ombrages et sur les
eaux. Il fallut que le frère de Sylvie nous arrachât à cette contemplation en
disant qu'il était temps de retourner au village assez éloigné qu'habitaient ses
parents.

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