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 Denis Diderot. (1713-1784)CHAPITRE XIV. EXPÉRIENCES D'ORCOTOME.

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Denis Diderot. (1713-1784)CHAPITRE XIV.  EXPÉRIENCES D'ORCOTOME. Empty
MessageSujet: Denis Diderot. (1713-1784)CHAPITRE XIV. EXPÉRIENCES D'ORCOTOME.   Denis Diderot. (1713-1784)CHAPITRE XIV.  EXPÉRIENCES D'ORCOTOME. Icon_minitimeLun 3 Sep - 10:47

CHAPITRE XIV.

EXPÉRIENCES D'ORCOTOME.


C'était le quinze de la lune de... qu'Orcotome avait lu son mémoire à
l'académie et communiqué ses idées sur le caquet des bijoux. Comme il y
annonçait de la manière la plus assurée des expériences infaillibles,
répétées plusieurs fois, et toujours avec succès, le grand nombre en fut
ébloui. Le public conserva quelque temps les impressions favorables
qu'il avait reçues, et Orcotome passa pendant six semaines entières pour
avoir fait d'assez belles découvertes.

Il n'était question, pour achever son triomphe, que de répéter en
présence de l'académie les fameuses expériences qu'il avait tant
prônées. L'assemblée convoquée à ce sujet fut des plus brillantes. Les
ministres s'y rendirent: le sultan même ne dédaigna pas de s'y trouver;
mais il garda l'invisible.

Comme Mangogul était grand faiseur de monologues, et que la futilité des
conversations de son temps l'avait entiché de l'habitude du soliloque:
«Il faut, disait-il en lui-même, qu'Orcotome soit un fieffé charlatan,
ou le génie, mon protecteur, un grand sot. Si l'académicien, qui n'est
assurément pas un sorcier, peut rendre la parole à des bijoux morts, le
génie qui me protége avait grand tort de faire un pacte et de donner son
âme au diable pour la communiquer à des bijoux pleins de vie.»

Mangogul s'embarrassait dans ces réflexions lorsqu'il se trouva dans le
milieu de son académie. Orcotome eut, comme on voit, pour spectateurs,
tout ce qu'il y avait à Banza de gens éclairés sur la matière des
bijoux. Pour être content de son auditoire, il ne lui manqua que de le
contenter: mais le succès de ses expériences fut des plus malheureux.
Orcotome prenait un bijou, y appliquait la bouche, soufflait à perte
d'haleine, le quittait, le reprenait, en essayait un autre, car il en
avait apporté de tout âge, de toute grandeur, de tout état, de toute
couleur; mais il avait beau souffler, on n'entendait que des sons
inarticulés et fort différents de ceux qu'il promettait.

Il se fit alors un murmure qui le déconcerta pour un moment, mais il se
remit et allégua que de pareilles expériences ne se faisaient pas
aisément devant un aussi grand nombre de personnes; et il avait raison.

Mangogul indigné se leva, partit, et reparut en un clin d'oeil chez la
sultane favorite.

«Eh bien! prince, lui dit-elle en l'apercevant, qui l'emporte de vous ou
d'Orcotome? car ses bijoux ont fait merveilles, il n'en faut pas
douter.»

Le sultan fit quelques tours en long et en large, sans lui répondre.

«Mais, reprit la favorite, Votre Hautesse me paraît mécontente.

-Ah! madame, répliqua le sultan, la hardiesse de cet Orcotome est
incomparable. Qu'on ne m'en parle plus... Que direz-vous, races futures,
lorsque vous apprendrez que le grand Mangogul faisait cent mille écus de
pension à de pareilles gens, tandis que de braves officiers qui avaient
arrosé de leur sang les lauriers qui lui ceignaient le front, en étaient
réduits à quatre cents livres de rente?... Ah! ventrebleu, j'enrage!
J'ai pris de l'humeur pour un mois.»

En cet endroit Mangogul se tut, et continua de se promener dans
l'appartement de la favorite. Il avait la tête baissée; il allait,
venait, s'arrêtait et frappait de temps en temps du pied. Il s'assit un
instant, se leva brusquement, prit congé de Mirzoza, oublia de la
baiser, et se retira dans son appartement.

L'auteur africain qui s'est immortalisé par l'histoire des hauts et
merveilleux faits d'Erguebzed et de Mangogul, continue en ces termes:

A la mauvaise humeur de Mangogul, on crut qu'il allait bannir tous les
savants de son royaume. Point du tout. Le lendemain il se leva gai, fit
une course de bague dans la matinée, soupa le soir avec ses favoris et
la Mirzoza sous une magnifique tente dressée dans les jardins du sérail,
et ne parut jamais moins occupé d'affaires d'État.

Les esprits chagrins, les frondeurs du Congo et les nouvellistes de
Banza ne manquèrent pas de reprendre cette conduite. Et que ne
reprennent pas ces gens-là? «Est-ce là, disaient-ils dans les promenades
et les cafés, est-ce là gouverner un État! avoir la lance au poing tout
le jour, et passer les nuits à table!

-Ah! si j'étais sultan,» s'écriait un petit sénateur ruiné par le jeu,
séparé d'avec sa femme, et dont les enfants avaient la plus mauvaise
éducation du monde: «si j'étais sultan, je rendrais le Congo bien
autrement florissant. Je voudrais être la terreur de mes ennemis et
l'amour de mes sujets. En moins de six mois, je remettrais en vigueur la
police, les lois, l'art militaire et la marine. J'aurais cent vaisseaux
de haut bord. Nos landes seraient bientôt défrichées, et nos grands
chemins réparés. J'abolirais ou du moins je diminuerais de moitié les
impôts. Pour les pensions, messieurs les beaux esprits, vous n'en
tâteriez, ma foi, que d'une dent. De bons officiers, Pongo Sabiam! de
bons officiers, de vieux soldats, des magistrats comme nous autres, qui
consacrons nos travaux et nos veilles à rendre aux peuples la justice:
voilà les hommes sur qui je répandrais mes bienfaits.

-Ne vous souvient-il plus, messieurs, ajoutait d'un ton capable un
vieux politique édenté, en cheveux plats, en pourpoint percé par le
coude, et en manchettes déchirées, de notre grand empereur Abdelmalec,
de la dynastie des Abyssins, qui régnait il y a deux mille trois cent
octante et cinq ans? Ne vous souvient-il plus comme quoi il fit empaler
deux astronomes, pour s'être mécomptés de trois minutes dans la
prédiction d'une éclipse, et disséquer tout vif son chirurgien et son
premier médecin, pour lui avoir ordonné de la manne à contre-temps?

-Et puis je vous demande, continuait un autre, à quoi bon tous ces
bramines oisifs, cette vermine qu'on engraisse de notre sang? Les
richesses immenses dont ils regorgent ne conviendraient-elles pas mieux
à d'honnêtes gens comme nous?»

On entendait d'un autre côté: «Connaissait-on, il y a quarante ans, la
nouvelle cuisine et les liqueurs de Lorraine? On s'est précipité dans un
luxe qui annonce la destruction prochaine de l'empire, suite nécessaire
du mépris des Pagodes et de la dissolution des moeurs. Dans le temps
qu'on ne mangeait à la table du grand Kanoglou que des grosses viandes,
et que l'on n'y buvait que du sorbet, quel cas aurait-on fait des
découpures, des vernis de Martin, et de la musique de Rameau? Les filles
d'opéra n'étaient pas plus inhumaines que de nos jours; mais on les
avait à bien meilleur prix. Le prince, voyez-vous, gâte bien des choses.
Ah! si j'étais sultan!

-Si tu étais sultan, répondit vivement un vieux militaire qui était
échappé aux dangers de la bataille de Fontenoi, et qui avait perdu un
bras à côté de son prince à la journée de Lawfelt, tu ferais plus de
sottises encore que tu n'en débites. Eh! mon ami, tu ne peux modérer ta
langue, et tu veux régir un empire! tu n'as pas l'esprit de gouverner ta
famille, et tu te mêles de régler l'État! Tais-toi, malheureux. Respecte
les puissances de la terre, et remercie les dieux de t'avoir donné la
naissance dans l'empire et sous le règne d'un prince dont la prudence
éclaire ses ministres, et dont le soldat admire la valeur; qui s'est
fait redouter de ses ennemis et chérir de ses peuples, et à qui l'on ne
peut reprocher que la modération avec laquelle tes semblables sont
traités sous son gouvernement.»




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