PLUME DE POÉSIES
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 Claude-Joseph Dorat (1734-1780) PARTIE I LETTRE XII.

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James
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James


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Claude-Joseph Dorat (1734-1780) PARTIE I LETTRE XII. Empty
MessageSujet: Claude-Joseph Dorat (1734-1780) PARTIE I LETTRE XII.   Claude-Joseph Dorat (1734-1780) PARTIE I LETTRE XII. Icon_minitimeMer 5 Déc - 23:00

LETTRE XII.
du vicomte de , au duc.
cela vous plaît à dire, mon cher duc: mais
quand on s'ennuie, on n'a la force de rien.
Avec ses indulgences et ses cérémonies éternelles,
Rome est bien le plus maussade séjour que
je connoisse. Mon oncle, qui est très-chaud
politique, est encore amateur plus zélé des rites
religieux; de sorte que je suis obligé, trois ou
quatre fois par semaine, d'être dévot à mon corps
défendant. Je suis philosophe moi; je généralise
mes idées, et j'envisage les choses sous un
certain rapport dont mon oncle ne s'est jamais
douté. Quant aux monumens, vous m'avouerez
que c'est une vue bien froide pour un homme
de mon âge, qui n'est pas fou de toiles
peintes, et qui n'aime pas plus les femmes de
marbre, qu'un c... n'aimeroit des pages de
bronze. Que m'importent les allégories de Paul
Véronese, la transfiguration de Luc, et la chûte
des anges de Raphaël? Je crois que je confonds...
n'importe, il faut toujours citer. Je
voudrois bien, vous qui parlez, vous voir réduit
à admirer la noce Allobrandine, et les statues
de Bernin, ou de Bandinelli.
Je saute à pieds joints sur les ruines et les
tombeaux. Je ne vous entretiendrai pas non plus
des spectacles mesquins de cette auguste ville.
J'aime mieux nos petits intermedes, nos ballets
élégans, et notre opéra, tel qu'il est, que
les longues représentations qu'on nous donne
ici. Je vais un peu vous surprendre; mais, je vous
le dis confidemment, ce que j'y trouve de mieux,
ce sont les filles de joie et les arlequins. Voilà,
mon cher duc, le fruit de mes observations.
Ne croyez pas cependant que j'aie manqué
d'aventures, même dans la bonne compagnie.
Les italiennes sont accommodantes; elles me
goûtent infiniment, et me trouvent sur-tout
très-sensé. On dit que leurs maris sont dangereux,
sur-tout pour les indiscrets. J'ai échappé
jusqu'à présent à leur vigilance. Je n'ai rien eu
à démêler avec eux, et n'ai traité qu'avec leurs
femmes. Elles sont fausses, comme de raison;
mais elles ont la peau douce, l'humeur caressante,
et je leur ai trouvé beaucoup de candeur
dans le physique.
à propos, il faut que je vous conte ce qui
m'est arrivé avec la femme chez qui nous logeons,
et qui, comme vous en jugerez vous-même,
a une façon charmante d'exercer l'hospitalité.
Cette dame, dont l'époux est l'ami de
mon oncle, est d'une famille distinguée dans
Naples: aussi se conduit-elle avec toute la
distinction imaginable. Elle a dans l'extérieur une
nonchalance que je n'ai encore vue qu'à elle:
elle laisse tomber toutes ses paroles, et n'en
prononce pas une. Sa gorge, qui est ravissante,
n'est jamais contenue que par quelques rubans
noués avec négligence, et toujours prêts à se
détacher en cas de besoin. Son oeil est mourant,
et n'a qu'une expression de langueur qui invite
à tout, sans promettre grand'chose. Le moindre
voile semble lui peser; et tout le jour anéantie
sur les carreaux d'un sopha, elle s'y abandonne
aux plus séduisantes attitudes. Cette maniere
d'être commença par allumer en moi de violens
desirs; mais il sembloit qu'elle n'eût ni la
force de s'en appercevoir, ni la volonté de
les satisfaire. Je désespérois de cette conquête,
et ne voyois dans les yeux de l'idole aucun
indice de succès: une circonstance hâta mon
bonheur. Le mari, jaloux comme les italiens
l'étoient autrefois, aime sa femme avec fureur;
mais il aime encore plus les tableaux
que sa femme. On vendoit à côté de lui le cabinet
d'un curieux, et il avoit acheté plusieurs
morceaux du plus grand prix, qu'il vouloit
transporter lui-même. à peine, ce qui lui arrive
rarement, fut-il sorti pour le premier transport,
que j'entendis des mules de femme sur l'escalier
qui conduit à mon appartement. On montoit
avec une légéreté incroyable. Dans ce moment
je ne songeois à rien moins qu'à ma belle
indolente; quelle fut ma surprise quand je la
vis entrer chez moi, dans le déshabillé le plus
commode, le sein découvert, les cheveux flottans
jusqu'à la ceinture, et que, se jetant sur
une espece de canapé, elle me dit, avec une
ingénuité tout-à-fait touchante, eccomi; il mio
marito è fuori di casa!
Vous jugez, mon cher duc, que je mis autant
de célérité dans l'action, qu'elle avoit mis
de naïveté dans le propos. Jamais je n'avois
rencontré une femme plus déliée, plus ardente,
plus vive dans le tête-à-tête. Nous entendîmes
quelque bruit, et j'eus bien de la peine à m'arracher
de ses bras. Ce qui me charma, ce fut
la promptitude avec laquelle elle reprit son air
de langueur et de calme; l'italien le plus intelligent
en eût été la dupe. Vivent les femmes
pour ces changemens de décoration! Elles ont
des visages qui se montent ou se démontent à
volonté, et c'est pour cela sur-tout que je les
respecte. Je me rendois compte de mon bonheur; je me
recueillois dans mon ivresse, et ne pouvois
concevoir ce phénomene. Notre
paisible amateur qui étoit revenu arrangeoit ses
tableaux, cherchoit leurs vrais jours, et les
disposoit à plaisir sous les yeux de ma napolitaine,
qui, dans ce moment, ressembloit à une
vierge du Guide, par son air d'innocence. Il part
pour un second voyage; vîte elle se remet
en course, m'arrive une seconde fois, et l'invitant
eccomi n'est point oublié. Je n'eus garde
de me plaindre de la récidive, et me conduisis
de maniere à en être quitte, au moins pour la
journée. Point du tout, le mari fit un troisieme
voyage, et l'on me fit une troisieme visite.
Je commençai à sortir de mon enchantement.
Je souhaitois de la modération dans mon aimable
maîtresse, et je la priai de me faire grace des
eccomi , dût son mari s'absenter encore. Elle
eut de la peine de comprendre le sens de mon
discours, et tomba dans une rêverie qui ne
m'inquiéta pas autrement. J'étois sûr de n'avoir
manqué à aucun des procédés convenables:
enfin, elle me quitta pour aller faire cent caresses
à son mari, qui se félicita vingt fois devant
moi d'avoir une femme aussi fidelle.
Eh bien, mon cher duc, que dites-vous de
cette bonne fortune? Depuis la chaleur des
premieres apparitions, les eccomi ont été rares,
parce que les absences du mari sont peu fréquentes;
mais de tems en tems ils recommencent,
et je me résigne. à présent je suis fait aux
allures de la femme; ce n'est plus que la confiance
du mari qui m'amuse. Je trouve plus de
plaisir à tromper l'un, qu'à jouir de tous les
charmes de l'autre.
Vous voyez que je n'ai point oublié vos principes,
et que j'étends, autant qu'il est en moi,
la gloire du nom françois. Je suis édifié de
tout ce que vous me dites. La vengeance que
vous exercez contre Madame De Syrcé est d'un
genre neuf et saillant. C'est un trait qui manque
au caractere de lovelace, dont on ne dit
point assez de bien, et qui m'a toujours vivement
intéressé. Quant à l'angloise, je sens
comme vous qu'il est essentiel de l'avoir, à
quelque prix que ce soit. Si l'on n'y mettoit la
main, les fauxbourgs de Paris se peupleroient
de femmes vertueuses, et la contagion gagneroit
bientôt le centre de la ville. Qu'est-ce donc
que le comte De Mirbelle? Il faut bien qu'il
ait quelques dispositions à la scélératesse aimable,
puisque vous le choisissez pour vengeur;
et si j'étois à sa place, il me semble que je
punirois cruellement Madame De Syrcé. D'après
le portrait que vous m'en faites, elle mérite
les traitemens les plus rigoureux. Que je vous
envie! Vous êtes au courant des vrais plaisirs;
pour moi je suis tristement exilé dans la terre
sainte, et au milieu d'une autre Palestine, où
je n'ai pas même la ressource de tuer des sarrazins.
Vous ne vous attendiez pas à ce trait
d'érudition. C'est mon oncle qui m'en avise;
il me parle toujours du voyage d'outremer , du
roi Artus, et des beaux massacres qui se faisoient
alors pour le bonheur du monde. Le
bon homme est toujours le même. Le matin il
se brouille dans ses calculs diplomatiques; il
dîne le plus long-tems qu'il peut; après son
dîner, suivi d'un léger assoupissement, il joue
gravement aux échecs; il perd toujours, et toujours
il soutient que ce n'est pas faute de combinaisons.
Le jeu fini, et la digestion faite, il
songe à son salut, et va visiter les églises.
Malheur à moi, s'il me rencontre lorsqu'il est dans
ces erventes dispositions! L'autre jour il vouloit
que j'assistasse à son sommeil de l'après-dînée.
Il prétend qu'il lui échappe alors des
choses très-utiles au gouvernement, dont il
me conseilloit de faire des notes qu'on pourroit
intituler: rêves politiques d'un gentilhomme
françois. Ce livre seroit d'un grand usage,
dit-il, pour tous les rêveurs qui culbutent
l'administration. Mais voilà que, sans m'en douter,
je radote presqu'aussi bien que mon oncle;
et vous avez autre chose à faire que de lire
mes folies.
Adieu, monsieur le duc... je brûle de me
ranger sous vos drapeaux.




_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James

Claude-Joseph Dorat (1734-1780) PARTIE I LETTRE XII. Une_pa12Claude-Joseph Dorat (1734-1780) PARTIE I LETTRE XII. Plumes19Claude-Joseph Dorat (1734-1780) PARTIE I LETTRE XII. James_12Claude-Joseph Dorat (1734-1780) PARTIE I LETTRE XII. Confes12


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