PLUME DE POÉSIES
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 François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 6

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François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 6 Empty
MessageSujet: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 6   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 6 Icon_minitimeDim 27 Jan - 1:19

DIALOGUE 6

Ulysse et Grillus.
La condition des hommes seroit pire que celle des
bêtes, si la solide philosophie et la vraie
religion ne les soutenoient.

Ulysse.
N' êtes-vous pas bien aise, mon cher Grillus,
de me revoir et d' être en état de reprendre
votre ancienne forme ?

Grillus.
Je suis bien aise de vous voir, favori de
Minerve : mais pour le changement de forme,
vous m' en dispenserez, s' il vous plaît.

Ulysse.
Hélas ! Mon pauvre enfant, savez-vous bien
comment vous êtes fait ? Assurément vous n' avez
point la taille belle ; un gros corps courbé
vers la terre, de longues oreilles pendantes,
de petits yeux à peine entr' ouverts, un groin
horrible, une physionomie très désavantageuse, un
vilain poil grossier et hérissé. Enfin vous êtes
une hideuse personne : je vous l' apprends, si vous
ne le savez pas. Si peu que vous ayez de coeur, vous
vous trouverez trop heureux de redevenir homme.

Grillus.
Vous avez beau dire, je n' en ferai rien : le
métier de cochon est bien plus joli. Il est vrai
que ma figure n' est pas fort élégante ; mais j' en
serai quitte pour ne me regarder jamais au miroir.
Aussi bien, de l' humeur dont je suis depuis
quelque temps, je n' ai guère à craindre de me
mirer dans l' eau, et de m' y reprocher ma laideur :
j' aime mieux un bon bourbier qu' une claire fontaine.

Ulysse.
Cette saleté ne vous fait-elle point horreur ?
Vous ne vivez que d' ordure ; vous vous vautrez
dans des lieux infects : vous êtes toujours
puant à faire bondir le coeur.

Grillus.
Qu' importe ? Tout dépend du goût. Cette odeur est
plus douce pour moi que celle de l' ambre, et cette
ordure est du nectar pour moi.

Ulysse.
J' en rougis pour vous. Est-il possible que vous
ayez sitôt oublié ce que l' humanité a de noble
et d' avantageux ?

Grillus.
Ne me parlez plus de l' humanité : sa noblesse
n' est qu' imaginaire, tous ses maux sont réels, et
les biens ne sont qu' en idée. J' ai un corps sale
et couvert d' un poil hérissé, mais je n' ai plus
besoin d' habits ; et vous seriez plus heureux
dans vos tristes aventures, si vous aviez le corps
aussi velu que moi, pour vous passer de
vêtement. Je trouve par-tout ma nourriture,
jusque dans les lieux les plus dégoûtants. Les
procès et les guerres, et tous les autres embarras
de la vie, ne sont plus rien pour moi. Il ne me
faut ni cuisinier, ni barbier, ni tailleur, ni
architecte. Me voilà libre
et content à peu de frais. Pourquoi me rengager
dans les besoins des hommes ?

Ulysse.
Il est vrai que l' homme a de grands besoins ;
mais les arts qu' il a inventés pour satisfaire à
ces besoins se tournent à sa gloire et font ses
délices.

Grillus.
Il est plus sûr d' être exempt de tous ces
besoins, que d' avoir les moyens les plus
merveilleux d' y remédier. Il vaut mieux jouir
d' une santé parfaite sans aucune science de la
médecine, que d' être toujours malade avec des
remèdes excellents pour se guérir.

Ulysse.
Mais, mon cher Grillus, vous ne comptez donc
plus pour rien l' éloquence, la poésie, la
musique, la science des arts et du monde entier,
celle des figures et des nombres ? Avez-vous
renoncé à notre chère patrie, aux sacrifices,
aux festins, aux jeux, aux danses, aux combats,
aux couronnes qui servent de prix aux vainqueurs ?
Répondez.

Grillus.
Mon tempérament de cochon est si heureux, qu' il me
met au-dessus de toutes ces belles choses. J' aime
mieux grognoner que d' être aussi éloquent que vous.
Ce qui me dégoûte
de l' éloquence, c' est que la vôtre même, qui
égale celle de Minerve, ne me persuade ni
ne me touche. Je ne veux persuader personne ;
je n' ai que faire d' être persuadé. Je suis aussi
peu curieux de vers que de prose ; tout cela est
devenu viande creuse pour moi. Pour les combats
de la lutte et des chariots, je les laisse
volontiers à ceux qui sont passionnés pour
une couronne, comme les enfants pour leurs
jouets : je ne suis plus assez dispos pour
remporter le prix ; et je ne l' envierai point à un
autre moins chargé de lard et de graisse. Pour
la musique, j' en ai perdu le goût, et le goût
décide de tout ; le goût qui vous y attache m' en
a détaché : n' en parlons plus. Retournez à
Ithaque : la patrie d' un cochon se trouve
par-tout où il y a du gland. Allez, régnez, revoyez
Pénélope, punissez ses amants : pour moi, ma
Pénélope est la truie qui est ici près ; je règne
dans mon étable, et rien ne trouble mon empire.
Beaucoup de rois dans des palais dorés ne
peuvent atteindre à mon bonheur ; on les
nomme fainéants et indignes du trône, quand
ils veulent régner comme moi, sans tourmenter
le genre humain.

Ulysse.
Vous ne songez pas qu' un cochon est à la
merci des hommes, et qu' on ne l' engraisse
que pour l' égorger. Avec ce beau raisonnement
vous finirez bientôt votre destinée. Les
hommes, au rang desquels vous ne voulez pas être,
mangeront votre lard, vos boudins, et vos jambons.

Grillus.
Il est vrai que c' est le danger de mon état : mais
le vôtre n' a-t-il pas aussi ses périls ? Je
m' expose à la mort par une vie douce dont la
volupté est réelle : vous vous exposez de même
à une mort prompte par une vie malheureuse
et pour une gloire chimérique. Je conclus
qu' il vaut mieux être cochon que héros. Apollon
lui-même dût-il chanter un jour vos victoires,
son chant ne vous guériroit point de vos peines,
et ne vous garantiroit point de la mort. Le
régime d' un cochon vaut mieux.

Ulysse.
Vous êtes donc assez insensé et assez abruti
pour mépriser la sagesse, qui égale presque les
hommes aux dieux ?

Grillus.
Au contraire, c' est par sagesse que je méprise
les hommes. C' est une impiété de croire qu' ils
ressemblent aux dieux, puisqu' ils sont aveugles
et injustes, trompeurs, malfaisants, malheureux
et dignes de l' être, armés cruellement
les uns contre les autres, et autant ennemis
d' eux-mêmes que de leurs voisins. à quoi aboutit
cette sagesse que l' on vante tant ? Elle ne
redresse point les moeurs des hommes ; elle ne se
tourne qu' à flatter et à contenter leurs passions.
Ne vaudroit-il pas mieux n' avoir point de raison,
que d' en avoir pour autoriser les choses les plus
déraisonnables ? Ah ! Ne me parlez plus de
l' homme : c' est le plus injuste, et par conséquent
le plus déraisonnable de tous les animaux. Sans
flatterie, un cochon est une assez bonne personne ;
il ne fait ni fausse monnoie ni faux contrats ;
il ne se parjure jamais ; il n' a ni avarice ni
ambition ; la gloire ne lui fait point faire de
conquêtes injustes ; il est ingénu et sans
malice ; sa vie se passe à boire, manger et dormir.
Si tout le monde lui ressembloit, tout le
monde dormiroit aussi dans un profond repos, et
vous ne seriez pas ici ; Pâris n' auroit pas
enlevé Hélène ; les grecs n' auroient pas
renversé la superbe ville de Troie après un
siège de dix ans ; vous n' auriez point erré sur
mer et sur terre au gré de la fortune, et vous
n' auriez pas besoin de conquérir votre propre
royaume. Ne me parlez donc plus de raison ;
car les hommes n' ont que de la folie. Ne vaut-il
pas mieux être bête que méchant fou ?

Ulysse.
J' avoue que je ne puis assez m' étonner de votre
stupidité.

Grillus.
Belle merveille, qu' un cochon soit stupide !
Chacun doit garder son caractère ; vous gardez
le vôtre d' homme inquiet, éloquent, impérieux,
plein d' artifice, et perturbateur du repos public.
La nation à laquelle je suis incorporé est
modeste, silencieuse, ennemie de la subtilité et
des beaux discours : elle va sans raisonner tout
droit au plaisir.

Ulysse.
Du moins vous ne sauriez désavouer que
l' immortalité réservée aux hommes n' élève
infiniment leur condition au-dessus des bêtes.
Je suis effrayé de l' aveuglement de Grillus,
quand je songe qu' il compte pour rien les délices
des champs élysées, où les hommes vivent heureux
après leur mort.

Grillus.
Arrêtez, s' il vous plaît. Je ne suis pas encore
tellement cochon que je renonçasse à être homme,
si vous me montriez dans l' homme une immortalité
véritable : mais pour n' être qu' une ombre, et
encore une ombre plaintive, qui regrette jusque
dans les champs élysées avec lâcheté les misérables
peines de
ce monde, j' avoue que cette ombre d' immortalité
ne vaut pas la peine de se contraindre. Achille,
dans les champs élysées, joue au palet sur
l' herbe : mais il donneroit toute sa gloire,
qui n' est qu' un songe, pour être l' infame
Thersite au nombre des vivants. Cet Achille si
désabusé de la gloire n' est plus qu' un fantôme ;
ce n' est plus lui-même : on n' y reconnoît plus
ni son courage ni ses sentiments ; c' est un je
ne sais quoi qui ne reste de lui que pour le
déshonorer. Cette ombre vaine n' est non plus

Achille, que la mienne n' est mon corps. N' espérez
donc pas, éloquent Ulysse, m' éblouir par une
fausse apparence d' immortalité. Je veux quelque
chose de plus réel ; faute de quoi, je persiste à
demeurer dans l' état où je suis. Montrez-moi que
l' homme a en lui quelque chose de plus noble que
son corps, et qui soit exempt de la corruption ;
montrez-moi que ce qui pense en l' homme n' est point
le corps, et subsiste toujours après cette machine
grossière ; enfin faites voir que ce qui reste de
l' homme après cette vie est un être véritablement
heureux ; établissez que les dieux ne sont
point injustes, et qu' il y a au-delà de cette
vie une solide récompense pour la vertu
toujours souffrante ici-bas : aussitôt, divin fils de
Laërte, je cours avec vous au travers des dangers ;
je sors content de l' étable de Circé ; je
ne suis plus cochon ; je redeviens homme, et
homme en garde contre tous les plaisirs. Par
tout autre chemin vous ne me conduirez jamais à
votre but. J' aime mieux n' être que cochon gros et
gras, content de mon ordure, que d' être homme
foible, vain, léger, malin, trompeur et injuste,
qui n' espère d' être après sa mort qu' une ombre
triste, plaintive, et un fantôme mécontent de sa
condition.



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