PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE V

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité




Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE V Empty
MessageSujet: Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE V   Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE V Icon_minitimeDim 3 Fév - 16:01

CHAPITRE V

Qui dit comment la duchesse mena Abeille et Georges à l’Ermitage et la rencontre
qu’ils y firent d’une affreuse vieille.


Ce matin-là, qui était celui du premier dimanche après Pâques, la duchesse
sortit du château sur son grand alezan, ayant à sa gauche Georges de
Blanchelande, qui montait un cheval jayet dont la tête était noire avec une
étoile au front, et, à sa droite, Abeille, qui gouvernait avec des rênes roses
son cheval à la robe isabelle. Ils allaient entendre la messe à l’Ermitage. Des
soldats armés de lances leur faisaient escorte et la foule se pressait sur leur
passage pour les admirer. Et, en vérité, ils étaient bien beaux tous les trois.
Sous son voile aux fleurs d’argent et dans son manteau flottant, la duchesse
avait
un air de majesté charmante ; et les perles dont sa coiffure était brodée
jetaient un éclat plein de douceur qui convenait à la figure et à l’âme de cette
belle personne. Près d’elle, les cheveux flottants et l’oeil vif, Georges avait
tout à fait bonne mine. Abeille, qui chevauchait de l’autre côté, laissait voir
un visage dont les couleurs tendres et pures étaient pour les yeux une
délicieuse caresse ; mais rien n’était plus admirable que sa blonde chevelure,
qui, ceinte d’un bandeau à trois fleurons d’or, se répandait sur ses épaules
comme l’éclatant manteau de sa jeunesse et de sa beauté. Les bonnes gens
disaient en la voyant : « Voilà une gentille demoiselle ! »

Le maître tailleur, le vieux Jean, prit son petit-fils Pierre dans ses bras pour
lui montrer Abeille, et Pierre demanda si elle était vivante ou si elle n’était
pas plutôt une image de cire. Il ne concevait pas qu’on pût être si blanche et
si mignonne en appartenant à l’espèce dont il était lui-même, le petit Pierre,
avec ses bonnes grosses joues hâlées et sa chemisette bise lacée dans le dos
d’une rustique manière.

Tandis que la duchesse recevait les hommages avec bienveillance, les deux
enfants lais
saient voir le contentement de leur orgueil, Georges par sa rougeur, Abeille par
ses sourires. C’est pourquoi la duchesse leur dit :

- Ces braves gens nous saluent de bon coeur. Georges qu’en pensez-vous ? Et
qu’en pensez-vous, Abeille ?

- Qu’ils font bien, répondit Abeille.

- Et que c’est leur devoir, ajouta Georges.

- Et d’où vient que c’est leur devoir ? demanda la duchesse.

Voyant qu’ils ne répondaient pas, elle reprit :

- Je vais vous le dire. De père en fils, depuis plus de trois cents ans, les
ducs des Clarides défendent, la lance au poing, ces pauvres gens, qui leur
doivent de pouvoir moissonner les champs qu’ils ont ensemencés. Depuis plus de
trois cents ans, toutes les duchesses des Clarides filent la laine pour les
pauvres, visitent les malades et tiennent les nouveau-nés sur les fonts du
baptême. Voilà pourquoi l’on vous salue, mes enfants.

Georges songea : « Il faudra protéger les laboureurs. » Et Abeille : « Il faudra
filer de la laine pour les pauvres. »

Et ainsi devisant et songeant, ils cheminaient
entre les prairies étoilées de fleurs. Des montagnes bleues dentelaient
l’horizon. Georges étendit la main vers l’Orient :

- N’est-ce point, demanda-t-il, un grand bouclier d’acier que je vois là-bas ?

- C’est plutôt une agrafe d’argent grande comme la lune, dit Abeille.

- Ce n’est point un bouclier d’acier ni une agrafe d’argent, mes enfants,
répondit la duchesse, mais un lac qui brille au soleil. La surface des eaux, qui
vous semble de loin unie comme un miroir, est agitée d’innombrables lames. Les
bords de ce lac, qui vous apparaissent si nets et comme taillés dans le métal,
sont en réalité couverts de roseaux aux aigrettes légères et d’iris dont la
fleur est comme un regard humain entre des glaives. Chaque matin, une blanche
vapeur revêt le lac, qui, sous le soleil de midi, étincelle comme une armure.
Mais il n’en faut point approcher ; car il est habité par les Ondines, qui
entraînent les passants dans leur manoir de cristal.

À ce moment, ils entendirent la clochette de l’Ermitage.

- Descendons, dit la duchesse, et allons à pied à la chapelle. Ce n’est ni sur
leur éléphant
ni sur leur chameau que les rois mages s’approchèrent de la Crèche.

Ils entendirent la messe de l’ermite. Une vieille, hideuse et couverte de
haillons, s’était agenouillée au côté de la duchesse, qui, en sortant de
l’église, offrit de l’eau bénite à la vieille et dit :

- Prenez, ma mère.

Georges s’étonnait.

- Ne savez-vous point, dit la duchesse, qu’il faut honorer dans les pauvres les
préférés de Jésus-Christ ? Une mendiante semblable à celle-ci vous tint avec le
bon duc des Rochesnoires sur les fonts du baptême ; et votre petite soeur
Abeille eut pareillement un pauvre pour parrain.

La vieille, qui avait deviné les sentiments du jeune garçon, se pencha vers lui
en ricanant et dit :

- Je vous souhaite, beau prince, de conquérir autant de royaumes que j’en ai
perdus. J’ai été reine de l’Île des Perles et des Montagnes d’Or ; j’avais
chaque jour quatorze sortes de poissons à ma table, et un négrillon me portait
ma queue.

- Et par quel malheur avez-vous perdu vos
îles et vos montagnes, bonne femme ? demanda la duchesse.

- J’ai mécontenté les Nains, qui m’ont transportée loin de mes États.

- Les Nains ont-ils tant de pouvoir ? demanda Georges.

- Vivant dans la terre, répondit la vieille, ils connaissent les vertus des
pierres, travaillent les métaux et découvrent les sources.

La duchesse :

- Et que fîtes-vous qui les fâcha, la mère ?

La vieille :

- Un d’eux vint, par une nuit de décembre, me demander la permission de préparer
un grand réveillon dans les cuisines du château, qui, plus vastes qu’une salle
capitulaire, étaient meublées de casseroles, poêles, poêlons, chaudrons,
coquemars, fours de campagne, grils, sauteuses, lèchefrites, cuisinières,
poissonnières, bassines, moules à pâtisserie, cruches de cuivre, hanaps d’or et
d’argent et de madre madré, sans compter le tournebroche de fer artistement
forgé et la marmite ample et noire suspendue à la crémaillère. Il me promit de
ne rien égarer ni endommager. Je lui refusai pourtant ce qu’il me demandait, et
il se retira en
murmurant d’obscures menaces. La troisième nuit, qui était celle de Noël, le
même Nain revint dans la chambre où je dormais ; il était accompagné d’une
infinité d’autres qui, m’arrachant de mon lit, me transportèrent en chemise sur
une terre inconnue.

- Voilà, dirent-ils en me quittant, voilà le châtiment des riches qui ne veulent
point accorder de part dans leurs trésors au peuple laborieux et doux des Nains,
qui travaillent l’or et font jaillir les sources.

Ainsi parla l’édentée vieille femme, et la duchesse, l’ayant réconfortée de
paroles et d’argent, reprit avec les deux enfants le chemin du château.

Revenir en haut Aller en bas
 
Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE V
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XIV
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XV
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XVI
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE II
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE III

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: