PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE III

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité




Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE III Empty
MessageSujet: Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE III   Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE III Icon_minitimeDim 3 Fév - 15:50

CHAPITRE III
Où commencent les amours de Georges de Blanchelande et d’Abeille des Clarides.


Contrairement au sort commun, qui est d’avoir plus de bonté que de beauté, ou
plus de beauté que de bonté, la duchesse des Clarides était aussi bonne que
belle, et elle était si belle que, pour avoir vu seulement son portrait, des
princes la demandaient en mariage. Mais, à toutes les demandes, elle répondait :

- Je n’aurai qu’un mari, parce que je n’ai qu’une âme.

Pourtant, après cinq ans de deuil, elle quitta son long voile et ses vêtements
noirs, afin de ne pas gâter la joie de ceux qui l’entouraient, et pour qu’on pût
sourire et s’égayer librement
en sa présence. Son duché comprenait une grande surface de terres avec des
landes dont la bruyère couvrait l’étendue désolée, des lacs où les pêcheurs
prenaient des poissons dont quelques-uns étaient magiques, et des montagnes qui
s’élevaient dans des solitudes horribles au-dessus des régions souterraines
habitées par les Nains.

Elle gouvernait les Clarides par les conseils d’un vieux moine échappé de
Constantinople, lequel, ayant vu beaucoup de violences et de perfidies, croyait
peu à la sagesse des hommes. Il vivait enfermé dans une tour avec ses oiseaux et
ses livres, et, de là, il remplissait son office de conseiller d’après un petit
nombre de maximes. Ses règles étaient : « Ne jamais remettre en vigueur une loi
tombée en désuétude ; céder aux voeux des populations de peur des émeutes, et y
céder le plus lentement possible parce que, dès qu’une réforme est accordée, le
public en réclame une autre, et qu’on est renversé pour avoir cédé trop vite, de
même que pour avoir résisté trop longtemps. »

La duchesse le laissait faire, n’entendant rien elle-même à la politique. Elle
était compatissante et, ne pouvant estimer tous les
hommes, elle plaignait ceux qui avaient le malheur d’être mauvais. Elle aidait
les malheureux de toutes les manières, visitant les malades, consolant les
veuves et recueillant les pauvres orphelins.

Elle élevait sa fille Abeille avec une sagesse charmante. Ayant formé cette
enfant à n’avoir de plaisir qu’à bien faire, elle ne lui refusait aucun plaisir.

Cette excellente femme tint la promesse qu’elle avait faite à la pauvre comtesse
de Blanchelande. Elle servit de mère à Georges et ne fit point de différence
entre Abeille et lui. Ils grandissaient ensemble et Georges trouvait Abeille à
son goût, bien que trop petite. Un jour, comme ils étaient encore au temps de
leur première enfance, il s’approcha d’elle et lui dit :

- Veux-tu jouer avec moi ?

- Je veux bien, dit Abeille.

- Nous ferons des pâtés avec de la terre, dit Georges.

Et ils en firent. Mais, comme Abeille ne faisait pas bien les siens, Georges lui
frappa les doigts avec sa pelle. Abeille poussa des cris affreux, et l’écuyer
Francoeur, qui se promenait dans le jardin, dit à son jeune maître :

- Battre les demoiselles n’est pas le fait d’un comte de Blanchelande,
monseigneur.

Georges eut d’abord envie de passer sa pelle à travers le corps de l’écuyer.
Mais, l’entreprise présentant des difficultés insurmontables, il se résigna à
accomplir une action plus aisée, qui fut de se mettre le nez contre un gros
arbre et de pleurer abondamment.

Pendant ce temps, Abeille prenait soin d’entretenir ses larmes en s’enfonçant
les poings dans les yeux ; et, dans son désespoir, elle se frottait le nez
contre le tronc d’un arbre voisin. Quand la nuit vint envelopper la terre,
Abeille et Georges pleuraient encore, chacun devant son arbre. Il fallut que la
duchesse des Clarides prît sa fille d’une main et Georges de l’autre pour les
ramener au château. Ils avaient les yeux rouges, le nez rouge, les joues
luisantes ; ils soupiraient et reniflaient à fendre l’âme. Ils soupèrent de bon
appétit ; après quoi on les mit chacun dans son lit. Mais ils en sortirent comme
de petits fantômes dès que la chandelle eut été soufflée, et ils s’embrassèrent
en chemise de nuit, avec de grands éclats de rire.

Ainsi commencèrent les amours d’Abeille des Clarides et de Georges de
Blanchelande.







Revenir en haut Aller en bas
 
Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE III
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XVI
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE II
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XIX
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE IV
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XX

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: