PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XX

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité




Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XX Empty
MessageSujet: Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XX   Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XX Icon_minitimeDim 3 Fév - 16:11

CHAPITRE XX
Qui traite d’un petit soulier de satin.


On ne doutait guère aux Clarides qu’Abeille eût été enlevée par les Nains.
C’était aussi la croyance de la duchesse ; mais ses songes ne l’en instruisaient
pas précisément.

- Nous la retrouverons, disait Georges.

- Nous la retrouverons, répondait Francoeur.

- Et nous la ramènerons à sa mère, disait Georges.

- Et nous l’y ramènerons, répondait Francoeur.

- Et nous l’épouserons, disait Georges.

- Et nous l’épouserons, répondait Francoeur.

Et ils s’enquéraient auprès des habitants des
moeurs des Nains et des circonstances mystérieuses de l’enlèvement d’Abeille.

C’est ainsi qu’ils interrogèrent la nourrice Maurille, qui avait nourri de son
lait la duchesse des Clarides ; mais maintenant Maurille n’avait plus de lait
pour les petits enfants et elle nourrissait les poules dans sa basse-cour.

C’est là que le maître et l’écuyer la trouvèrent. Elle criait : « Psit ! psit !
psit ! petits ! petits ! petits ! psit ! psit ! psit ! » et elle jetait du grain
à ses poussins.

- Psit ! psit ! psit ! petits, petits, petits ! C’est vous, monseigneur ! psit !
psit ! psit ! Est-il possible que vous soyez devenu si grand- psit ! et si beau
? Psit ! psit ! chu ! chu ! chu ! Voyez-vous ce gros-là qui mange toute la
pitance des petits ? Chu ! chu ! fu ! C’est l’image du monde, monseigneur. Tout
le bien va aux riches. Les maigres maigrissent, tandis que les gras engraissent.
Car la justice n’est point de la terre. Qu’y a-t-il pour votre service,
monseigneur ? Vous accepterez bien chacun un verre de cervoise !

- Nous l’accepterons, Maurille, et je vous embrasserai parce que vous avez
nourri de votre lait la mère de celle que j’aime le plus au monde.

- C’est la vérité, monseigneur ; mon nourrisson eut sa première dent à six mois
et quatorze jours. Et à cette occasion la défunte duchesse me fit un présent.
C’est la vérité.

- Eh bien, dites-nous, Maurille, ce que vous savez des Nains qui ont enlevé
Abeille.

- Hélas ! monseigneur, je ne sais rien des Nains qui l’ont enlevée. Et comment
voulez-vous qu’une vieille femme comme moi sache quelque chose ? Il y a beau
temps que j’ai oublié le peu que j’avais appris et je n’ai pas même assez de
mémoire pour me rappeler où j’ai pu fourrer mes lunettes. Il m’arrive de les
chercher quand je les ai sur le nez. Goûtez cette boisson, elle est fraîche.

- À votre santé, Maurille ; mais on conte que votre mari connut quelque chose de
l’enlèvement d’Abeille.

- C’est la vérité, monseigneur. Bien qu’il n’eût pas reçu d’instruction, il
savait beaucoup de choses qu’il apprenait dans les auberges et les cabarets. Il
n’oubliait rien. S’il était encore de ce monde et assis avec nous devant cette
table, il vous conterait des histoires jusqu’à demain. Il m’en a dit tant et
tant de toutes sortes qu’elles ont fait une fricassée dans ma tête
et que je ne saurais plus, à cette heure, distinguer la queue de l’une de la
tête de l’autre. C’est la vérité, monseigneur.

Oui, c’était la vérité, et la tête de la nourrice pouvait se comparer à une
vieille marmite fêlée. Georges et Francoeur eurent toutes les peines du monde à
en tirer quelque chose de bon. Toutefois ils en firent sortir, à force de la
retourner, un récit qui commença de la sorte :

- Il y a sept ans, monseigneur, le jour même où vous fîtes avec Abeille
l’escapade dont vous ne revîntes ni l’un ni l’autre, mon défunt mari alla dans
la montagne vendre un cheval. C’est la vérité. Il donna à la bête un bon picotin
d’avoine mouillée dans du cidre, afin qu’elle eût le jarret ferme et l’oeil
brillant ; il la mena au marché proche la montagne. Il n’eut pas à regretter son
avoine et son cidre, car le cheval en fut vendu plus cher. Il en est des bêtes
comme des hommes : on les estime sur l’apparence. Mon défunt mari se réjouissait
de la bonne affaire qu’il venait de conclure, il offrit à boire à ses amis,
s’engageant à leur faire raison le verre à la main. Or sachez, monseigneur,
qu’il n’y avait pas un seul homme dans toutes les Clarides qui valût mon défunt
mari
pour faire raison aux amis, le verre à la main. Si bien que, ce jour-là, après
avoir fait nombre de politesses, il s’en revint seul à la brune et prit un
mauvais chemin, faute d’avoir reconnu le bon. Se trouvant proche une caverne, il
aperçut aussi distinctement qu’il était possible dans son état et à cette heure,
une troupe de petits hommes portant sur un brancard une fille ou un garçon. Il
s’enfuit de peur de malencontre ; car le vin ne lui ôtait pas la prudence. Mais
à quelque distance de la caverne, ayant laissé choir sa pipe, il se baissa pour
la ramasser et il saisit à la place un petit soulier de satin. Il fit à ce sujet
une remarque qu’il se plaisait à répéter quand il était de bonne humeur : «
C’est la première fois, se dit-il, qu’une pipe se change en soulier. » Or comme
ce soulier était un soulier de petite fille, il pensa que celle qui l’avait
perdu dans la forêt avait été enlevée par les Nains et que c’était son
enlèvement qu’il avait vu. Il allait mettre le soulier dans sa poche, quand des
petits hommes, couverts de capuchons, se jetèrent sur lui et lui donnèrent des
soufflets en si grand nombre qu’il resta tout étourdi sur la place.

- Maurille ! Maurille ! s’écria Georges, c’est le
soulier d’Abeille ! Donnez-le-moi, que j’y mette mille baisers. Il restera tous
les jours sur mon coeur, dans un sachet parfumé, et quand je mourrai, on le
mettra dans mon cercueil.

- À votre gré, monseigneur ; mais où l’irez-vous chercher ? Les Nains l’avaient
repris à mon pauvre mari, et il pensa même qu’il n’avait été si
consciencieusement souffleté que pour l’avoir voulu mettre dans sa poche et
montrer aux magistrats. Il avait coutume de dire à ce sujet, quand il était de
bonne humeur-

- Assez ! assez ! Dites-moi seulement le nom de la caverne.

- Monseigneur, on la nomme la caverne des Nains, et elle est bien nommée. Mon
défunt mari-

- Maurille ! plus un mot ! Mais toi, Francoeur, sais-tu où est cette caverne ?

- Monseigneur, répondit Francoeur en achevant de vider le pot de cervoise, vous
n’en douteriez pas si vous connaissiez mieux mes chansons. J’en ai fait une
douzaine sur cette caverne et je l’ai décrite sans oublier seulement un brin de
mousse. J’ose dire, monseigneur, que sur ces douze chansons, six ont vraiment du
mérite. Mais les six autres ne sont pas non
plus à dédaigner. Je vais vous en chanter une ou deux-

- Francoeur, s’écria Georges, nous nous emparerons de la caverne des Nains et
nous délivrerons Abeille !

- Rien n’est plus certain, répondit Francoeur.

Revenir en haut Aller en bas
 
Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XX
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XI
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XII
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XIV
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XV
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XVI

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: