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 Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XI

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MessageSujet: Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XI   Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XI Icon_minitimeDim 3 Fév - 16:05

CHAPITRE XI
Où les curiosités du royaume des Nains sont parfaitement décrites, ainsi que les
poupées qui furent données à Abeille.


Le royaume des Nains était profond et s’étendait sous une grande partie de la
terre. Bien qu’on n’y vît le ciel que çà et là, à travers quelques fentes du
rocher, les places, les avenues, les palais et les salles de cette région
souterraine n’étaient pas plongés dans d’épaisses ténèbres. Quelques chambres et
plusieurs cavernes restaient seules dans l’obscurité. Le reste était éclairé,
non par des lampes ou des torches, mais par des astres et des météores qui
répandaient une clarté étrange et fantastique, et cette clarté luisait sur
d’étonnantes merveilles. Des édifices immenses avaient été
taillés dans le roc et l’on voyait par endroits des palais découpés dans le
granit à de telles hauteurs que leurs dentelles de pierre se perdaient sous les
voûtes de l’immense caverne dans une brume traversée par la lueur orangée de
petits astres moins lumineux que la lune.

Il y avait dans ces royaumes des forteresses d’une masse écrasante, des
amphithéâtres dont les gradins de pierre formaient un demi-cercle que le regard
ne pouvait embrasser dans son étendue, et de vastes puits aux parois sculptées
dans lesquels on descendait toujours sans jamais trouver le fond. Toutes ces
constructions, peu appropriées en apparence à la taille des habitants,
convenaient parfaitement à leur génie curieux et fantasque.

Les Nains, couverts de capuchons où des feuilles de fougère étaient piquées,
circulaient autour des édifices avec une agilité spirituelle. Il n’était pas
rare d’en voir qui sautaient de la hauteur de deux ou trois étages sur la
chaussée de lave et y rebondissaient comme des balles. Leur visage gardait
pendant ce temps cette gravité auguste que la statuaire donne à la figure des
grands hommes de l’antiquité.

Aucun n’était oisif et tous s’empressaient à
leur travail. Des quartiers entiers retentissaient du bruit des marteaux ; les
voix déchirantes des machines se brisaient contre les voûtes des cavernes, et
c’était un curieux spectacle que de voir la foule des mineurs, forgerons,
batteurs d’or, joailliers, polisseurs de diamants, manier avec la dextérité des
singes le pic, le marteau, la pince, la lime. Mais il était une région plus
tranquille.

Là, des figures grossières et puissantes, des piliers informes sortaient
confusément de la roche brute et semblaient dater d’une antiquité vénérable. Là,
un palais aux portes basses étendait ses formes trapues : c’était le palais du
roi Loc. Tout contre était la maison d’Abeille, maison ou plutôt maisonnette ne
contenant qu’une seule chambre, laquelle était tapissée de mousseline blanche.
Des meubles en sapin sentaient bon dans cette chambre. Une déchirure de la roche
y laissait passer la lumière du ciel et, par les belles nuits, on y voyait des
étoiles.

Abeille n’avait point de serviteurs attitrés, mais tout le peuple des Nains
s’empressait à l’envi de pourvoir à ses besoins et de prévenir tous ses désirs,
hors celui de remonter sur la terre.

Les plus savants Nains, qui possédaient de grands secrets, se plaisaient à
l’instruire, non pas avec des livres, car les Nains n’écrivent pas, mais en lui
montrant toutes les plantes des monts et des plaines, les espèces diverses
d’animaux et les pierres variées qu’on extrait du sein de la terre. Et c’est par
des exemples et des spectacles qu’ils lui enseignaient avec une gaieté innocente
les curiosités de la nature et les procédés des arts.

Ils lui faisaient des jouets tels que les enfants des riches de la terre n’en
eurent jamais ; car ces Nains étaient industrieux et inventaient d’admirables
machines. C’est ainsi qu’ils construisirent pour elle des poupées sachant se
mouvoir avec grâce et s’exprimer selon les règles de la poésie. Quand on les
assemblait sur un petit théâtre dont la scène représentait le rivage des mers,
le ciel bleu, des palais et des temples, elles figuraient les actions les plus
intéressantes. Bien qu’elles ne fussent pas plus hautes que le bras, elles
ressemblaient exactement les unes à des vieillards respectables, les autres à
des hommes dans la force de l’âge ou à de belles jeunes filles vêtues de
blanches tuniques. Il y avait aussi parmi elles des
mères pressant contre leur sein des petits enfants innocents. Et ces poupées
éloquentes s’exprimaient et agissaient sur la scène comme si elles étaient
agitées par la haine, l’amour ou l’ambition. Elles passaient habilement de la
joie à la douleur et elles imitaient si bien la nature qu’elles excitaient le
sourire ou tiraient les larmes des yeux. Abeille battait des mains à ce
spectacle. Les poupées qui aspiraient à la tyrannie lui faisaient horreur. Elle
se sentait, au contraire, des trésors de pitié pour la poupée jadis princesse,
maintenant veuve et captive, la tête ceinte de cyprès, qui n’a d’autre ressource
pour sauver la vie de son enfant que d’épouser, hélas ! le barbare qui la fit
veuve.

Abeille ne se lassait point de ce jeu que les poupées variaient à l’infini. Les
Nains lui donnaient aussi des concerts et lui enseignaient à jouer du luth, de
la viole d’amour, du téorbe, de la lyre et de divers autres instruments. En
sorte qu’elle devenait bonne musicienne et que les actions représentées sur le
théâtre par les poupées lui communiquaient l’expérience des hommes et de la vie.
Le roi Loc assistait aux représentations et aux concerts, mais il ne
voyait et n’entendait qu’Abeille, en qui il mettait peu à peu toute son âme.

Cependant les jours et les mois s’écoulaient, les années accomplissaient leur
tour et Abeille restait parmi les Nains, sans cesse divertie et toujours pleine
du regret de la terre. Elle devenait une belle jeune fille. Son étrange destinée
donnait quelque chose d’étrange à sa physionomie, qui n’en était que plus
agréable.











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