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 Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XIX

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MessageSujet: Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XIX   Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XIX Icon_minitimeDim 3 Fév - 16:10

CHAPITRE XIX
Qui traite de la merveilleuse rencontre que fit Jean, le maître tailleur, et de
la bonne chanson que les oiseaux du bocage chantèrent à la duchesse.



Quand Georges se retrouva sur la terre où il était né, la première personne
qu’il rencontra fut Jean, le vieux maître tailleur, portant sur son bras un
habit rouge au majordome du château. Le bonhomme poussa un grand cri à la vue du
jeune seigneur.

- Saint Jacques ! dit-il, si vous n’êtes pas monseigneur Georges de
Blanchelande, qui s’est noyé dans le lac voilà sept ans, vous êtes son âme ou le
diable en personne !

- Je ne suis ni âme ni diable, mon bon Jean, mais bien ce Georges de
Blanchelande qui se glissait autrefois dans votre échoppe et
vous demandait des petits morceaux de drap pour faire des robes aux poupées de
ma soeur Abeille.

Mais le bonhomme se récriait :

- Vous n’avez donc point été noyé, monseigneur ? J’en suis aise ! Vous avez tout
à fait bonne mine. Mon petit-fils Pierre, qui grimpait dans mes bras pour vous
voir passer le dimanche matin à cheval au côté de la duchesse, est devenu un bon
ouvrier et un beau garçon. Il est, Dieu merci, tel que je vous le dis,
monseigneur. Il sera content de savoir que vous n’êtes pas au fond de l’eau et
que les poissons ne vous ont point mangé comme il le croyait. Il a coutume de
dire à ce sujet les choses les plus plaisantes du monde ; car il est plein
d’esprit, monseigneur. Et c’est un fait qu’on vous regrette dans toutes les
Clarides. Votre enfance était pleine de promesses. Il me souviendra jusqu’à mon
dernier soupir qu’un jour vous me demandâtes mon aiguille à coudre, et, comme je
vous la refusai parce que vous n’étiez pas d’âge à la manier sans danger, vous
me répondîtes que vous iriez au bois cueillir les belles aiguilles vertes des
sapins. Vous dîtes cela, et j’en ris encore. Sur mon âme ! vous
dîtes cela. Notre petit Pierre trouvait aussi d’excellentes reparties. Il est
aujourd’hui tonnelier, à votre service, monseigneur.

- Je n’en veux pas d’autre que lui. Mais donnez-moi, maître Jean, des nouvelles
d’Abeille et de la duchesse.

- Hélas ! d’où venez-vous, monseigneur, si vous ne savez pas que la princesse
Abeille fut enlevée, il y a sept ans, par les Nains de la montagne ? Elle
disparut le jour même où vous fûtes noyé ; et l’on peut dire que ce jour-là les
Clarides perdirent leurs deux plus douces fleurs. La duchesse en mena un grand
deuil. C’est ce qui me fait dire que les puissants de ce monde ont aussi leurs
peines comme les plus humbles artisans et qu’on connaît à ce signe que nous
sommes tous fils d’Adam. En conséquence de quoi un chien peut bien regarder un
évêque, comme on dit. À telles enseignes que la bonne duchesse en vit blanchir
ses cheveux et perdit toute gaieté. Et quand, au printemps, elle se promène en
robe noire sous la charmille où chantent les oiseaux, le plus petit de ces
oiseaux est plus digne d’envie que la souveraine des Clarides. Toutefois sa
peine n’est pas sans un peu d’espoir, monseigneur ; car, si elle n’a point de
nouvelles de vous, elle sait du moins par des songes que sa fille Abeille est
vivante.

Le bonhomme Jean disait ces choses et d’autres encore ; mais Georges ne
l’écoutait plus depuis qu’il savait qu’Abeille était prisonnière des Nains.

Il songeait :

« Les Nains retiennent Abeille sous la terre ; un Nain m’a tiré de ma prison de
cristal ; ces petits hommes n’ont pas tous les mêmes moeurs ; mon libérateur
n’est certainement pas de la race de ceux qui enlevèrent ma soeur. »

Il ne savait que penser, sinon qu’il fallait délivrer Abeille.

Cependant ils traversaient la ville et, sur leur passage, les commères qui se
tenaient sur le seuil de leur porte se demandaient entre elles qui était ce
jeune étranger, et elles convenaient qu’il avait bonne mine. Les plus avisées,
ayant reconnu le seigneur de Blanchelande, crurent voir un revenant et
s’enfuirent en faisant de grands signes de croix.

- Il faudrait, dit une vieille, lui jeter de l’eau bénite, et il s’évanouirait
en répandant une dégoûtante odeur de soufre. Il emmène maître Jean, le tailleur,
et il le plon
gera sans faute tout vif dans les flammes de l’enfer.

- Tout doux ! la vieille, répondit un bourgeois, le jeune seigneur est aussi
vivant et plus vivant que vous et moi. Il est frais comme une rose et il semble
venir de quelque cour galante plutôt que de l’autre monde. On revient de loin,
bonne dame, témoin l’écuyer Francoeur qui nous arriva de Rome à la Saint-Jean
passée.

Et Marguerite la heaumière, ayant admiré Georges, monta dans sa chambre de jeune
fille et là, s’agenouillant devant l’image de la sainte Vierge : « Sainte
Vierge, dit-elle, faites que j’aie un mari tout semblable à ce jeune seigneur !
»

Chacun parlait à sa façon du retour de Georges, tant et si bien que la nouvelle
en vola de bouche en bouche jusqu’aux oreilles de la duchesse, qui se promenait
alors dans le verger. Son coeur battit bien fort et elle entendit tous les
oiseaux de la charmille chanter :


Cui, cui, cui,
Oui, oui, oui,
Georges de Blanchelande.
Cui, cui, cui,
Dont vous avez nourri l’enfance,
Cui, cui, cui,
Est ici, est ici, est ici !


Oui, oui, oui.


Francoeur s’approcha respectueusement d’elle et lui dit :

- Madame la duchesse, Georges de Blanchelande, que vous avez cru mort, est de
retour ; j’en ferai une chanson.

Cependant les oiseaux chantaient :


Cucui, cui, i, cui, cui, cui,
Oui, oui, oui, oui, oui, oui,
Il est ici, ici, ici, ici, ici, ici !

Et, quand elle vit venir l’enfant qu’elle avait élevé comme un fils, elle ouvrit
les bras et tomba pâmée.



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