Le désespoir
Version 8 avril 1906
Eh quoi toujours bercé par les flots du malheur
Mon esquif ira-t-il emportant ma douleur
Vers le même horizon
Et n'aurai-je ici-bas pour consoler mes larmes
Que ma philosophie et de sombres alarmes
Pour guider ma raison
N'aurai-je pour tout bien qu'une lyre plaintive
Pour toujours regretter la gaieté fugitive
Et le plaisir qui passe
Et verrai-je toujours le bonheur s'effacer
Comme tous les mortels ai-je droit de l'aimer
Et de suivre sa trace
N'aurai-je qu'à pleurer mes tendres souvenirs
Et dans mon coeur meurtri, verrai-je les désirs
Trop vite consumés
Jeter leur fiel brutal et leur longue souffrance
Ou bien ai-je encor droit à la douce espérance
Qui plait aux affligés
Eh si j'avais osé braver la loi suprême
Dans les ordres divins concentrer le blasphème
J'eus compris la sentence
Qui frappe sans pitié tous les usurpateurs
D'une loi qui punit de ses foudres vengeurs
La désobéissance
Je n'ai rien demandé aux plaisirs ici bas
Je n'ai rien accepté de la part des combats
Qui revient au guerrier
Je voulais seulement dans mon petit domaine
Loin de la médisance encor plus de la haine
Voir mes jours s'écouler
Je voulais dans le sein d'une épouse chérie
Goûter tout le bonheur que procure la vie
Aux douces hyménées
Je voulais le baiser d'un enfant qu'on ador
Et sur sa tête chère aux épais cheveux d'or
Voir passer les années
Je voulais les frissons du suprême bonheur
Le Destin me donna comme consolateur
La Plainte qui fait mal
Il me faut l'embrasser comme une douce amante
Il me faut retenir sur ma lèvre brûlante
Son murmure fatal
Je ne demandais rien qu'un peu de jouissance
Un peu de cette joie où le rire et l'aisance
Se disputent une place
Mais j'ai reçu les pleurs la tristesse ne retour
C'est peu pour adoucir l'amertume d'un jour
Où la gaieté s'efface
Pourquoi me frappez-vous aussi injustement
Quel crime ai-je commis pour un tel châtiment
Que serait la sentence ?
M'élevant contre vous, si j'osais proclamer
Que vous êtes des dieux faits pour vous amuser
Des lois de l'existence
Mais j'ai peur que la foudre qui gronde dans vos mains
Se répande et entraîne dans ses flots inhumains
Ma dernière chimère
Peut-être mes insultes excitant vos projets
Grossiraient follement la source des regrets
Qu'exhale ma colère
Peut-être que la joie qui passe dans mon coeur
Est un bienfait perdu et qui vient par erreur
Me parler d'espérance
En frappant lentement la douleur la plus vive
Peut-être enfantiez-vous la gaieté fugitive
Pour grandir ma souffrance
Eh ! Pourquoi prodiguer votre rage incertaine
Que frappez-vous en moi une chimère humaine
Un corps qui fut votre oeuvre
Pourquoi cette harmonie et pourquoi de grand art
Pourquoi donc enfanter si quelques ans plus tard
Vous brisez le chef d'oeuvre
Il vous plaisait sans doute, aujourd'hui de construire
D'adorer vos travaux et demain les détruire
Quelle étrange folie
Ah je comprends pourquoi nos plaintes opportunes
Et nos menaces vaines, nos grandes infortunes
Sont les lois de la vie
Je n'irai plus jamais importuner le sort
Dans cette vie infâme l'homme n'a point de port
Il ne fait que passer
Ô mort délivres-moi de ces fers qui m'enchaînent
Laisse moi m'éloigner sur tes flots qui m'entraînent
Où tout doit s'effacer.
Honoré HARMAND