Le désespoir
30 septembre 1905
Eh quoi toujours bercé par les flots du malheur
Mon esquif ira-t-il emportant ma douleur
Vers le même horizon
Et n'aurai-je ici-bas pour consoler mes larmes
Que ma philosophie et de sombres alarmes
Pour guider ma raison
N'aurai-je pour tout bien qu'une lyre plaintive
Pour toujours regretter la gaieté fugitive
Et le plaisir qui passe
Et verrai-je toujours le bonheur disparaître ?
Comme tous les mortels j'ai droit à le connaître
Mais pour moi il d'efface
N'aurai-je qu'à pleurer chaque jour de ma vie
Les rêves disparus et l'extase ravie
A mon coeur abîmé
N'aurai-je qu'un regret pour tous mes souvenirs
Dois-je aux yeux du Destin étaler mes désirs
Si je suis condamné
Ah si j'avais osé braver la loi suprême
N'étant pas supérieur vouloir l'être quand même
J'aurais tout accepté
Mais loin d'aimer la gloire pas plus que les grandeurs
J'ai fui loin du renom et bien loin des honneurs
Je me suis retiré
Je n'ai rien demandé aux plaisirs de la terre
Je n'ai rien accepté de la gloire éphémère
Qu'on adore ici-bas
Je voulais seulement dans mon petit domaine
Loin de la médisance encor plus de la haine
Attendre le trépas
(Texte remplacé
Je voulais dans le sein d'une épouse chérie
Goûter toutes les joies que procure la vie
Aux douces hyménées
Je voulais d'un enfant la suprême caresse
Et la joie qui s'exhale des lèvres que l'on presse
Sur ses lèvres aimées)
Je voulais dans le sein d'une épouse chérie
Goûter tout le bonheur que procure la vie
Aux sources hyménées
Je voulais le baiser de l'enfant qu'on ador
Et sur sa tête chère aux épais cheveux d'or
Voir passer les années
(Texte remplacé
Je voulais une lyre pour chanter mon bonheur
Le Destin me donna comme consolateur
La plaintive élégie
Il me faut l'embrasser comme une douce amante
Il me faut écouter sa plainte vagissante
Sa sauvage harmonie)
Je voulais une lyre pour chanter mon bonheur
Le Destin me donna comme consolateur
La plainte qui fait mal
Il me faut l'embrasser comme une douce amante
Il me faut retenir sur ma lèvre tremblante
Son murmure fatal
(Texte supprimé
Je ne demandais rien que ce qui m'était dû
Ai-je trop demandé pour n'avoir rien reçu
Destins répondez moi
Vous que tous les mortels implorent chaque jour
Vous qu'on ose accuser et prier tour à tour
A l'heure de l'émoi)
Je ne demandais rien qu'un peu de jouissance
Un peu de cette joie où le rire et l'aisance
Se disputent une place
Mais j'ai reçu les pleurs la tristesse ne retour
C'est peu pour adoucir l'amertume d'un jour
Où la gaieté s'efface
Pourquoi me frappez-vous aussi injustement
Quel crime ai-je commis pour un tel châtiment
Que serait la sentence ?
M'élevant contre vous, si j'osais proclamer
Que vous êtes des dieux faits pour vous amuser
Des lois de l'existence
Mais j'ai peur que la foudre qui gronde dans vos mains
Se répande et entraîne dans ses flots inhumains
Ma dernière chimère
Peut-être mes insultes excitant vos projets
Grossiraient follement la source des regrets
Qu'exhale ma colère
Peut-être que la joie qui passe dans mon coeur
Est un bienfait perdu et qui vient par erreur
Me parler d'espérance
En frappant lentement la douleur la plus vive
Peut-être enfantiez-vous la gaieté fugitive
Pour grandir ma souffrance
Eh ! Pourquoi prodiguer votre rage incertaine
Que frappez-vous en moi une chimère humaine
Un corps qui fut votre oeuvre
Pourquoi cette harmonie et pourquoi de grand art
Pourquoi donc enfanter si quelques ans plus tard
Vous brisez le chef d'oeuvre
Il vous plaisait sans doute, aujourd'hui de construire
D'adorer vos travaux et demain les détruire
Quelle étrange folie
Ah je comprends pourquoi nos plaintes opportunes
Et nos menaces vaines, nos grandes infortunes
Sont les lois de la vie
Je n'irai plus jamais importuner le sort
Dans cette vie infâme l'homme n'a point de port
Il ne fait que passer
Ô mort délivres-moi de ces fers qui m'enchaînent
Laisse moi m'éloigner sur tes flots qui m'entraînent
Où tout doit s'effacer.
Honoré HARMAND