Le Printemps de Pierrot
19 mars 1906
Quand des longs hivers surgit le Printemps
Et que le soleil daigne d'apparaître
La folle gaieté des petits enfants
Les Arbres géants tout semble renaître
Mais pour moi qu'importe un brillant soleil
Ou bien le jour sombre ou la nuit suprême
L'amour ne vient plus sur mon front vermeil
Poser le baiser de Celle que j'aime
Vers le cimetière auprès du château
Comme l'an passé seul je m'achemine
Dans l'étroit chemin qui mène au hameau
Dans l'étroit chemin où pousse l'épine
J'aperçois là-bas le temple sacré
Où je suis venu faire la prière
Qu'on dit à genoux près de l'être aimé
Quand nos coeurs émus croient à la Chimère
J'arrive et déjà mes gais compagnons
Les petits moineaux chantent leurs romances
Comme dans la nuit loin dans les vallons
Les hiboux en deuil chantent leurs souffrances
Les fleurs ont poussé dans le grand jardin
Que je confiais aux soins de Pierrette
Je verrai toujours sa petite main
Cueillir la pensée ou la pâquerette
La Maison vieillie a l'aspect plus noir
Qu'au temps où l'amour nous parlait de rêve
Quand pour méditer nous venions le soir
L'heure s'écoulait plus douce et si brève
Elle seule change et dit la douleur
Que j'ai retrouvée au seuil de sa porte
Quand le souvenir a touché mon coeur
Des derniers frissons de la lèvre morte
C'était au Printemps et comme aujourd'hui
Les moineaux moqueurs chantaient leurs romances
Le soleil brillait, sans aucun souci
Nous vivions heureux dans nos espérances
Lorsque vers le soir l'heure du retour
Dans le grand silence eut jeté sa plainte
Et que les échos des bruits d'alentour
Eurent exhalé leur chant plein de crainte
Pierrette revint d'un pas chancelant
Elle était souffrante et sa face blême
Ne souriait plus en me regardant
Comme si Pierrot ne fût plus le même
Quelques jours plus tard le Destin jaloux
De notre douleur se fit une fête
Dans sa cruauté il mit entre nous
La Mort qui ravit ma pauvre Pierrette
Depuis ce temps-là quand le renouveau
D'un baiser fécond embrasse la terre
Je viens pour pleurer sur le froid tombeau
Où repose en paix celle qui m'est chère.
Honoré HARMAND