Le Poète et la Muse
3 avril 1907
A monsieur MILLIOT
Le Poète
Ô Muse à mon secours, de grâce ! Je t'implore
Ma lyre adolescente est-elle à son aurore
Ou bien suis-je un proscrit aux yeux de ta bonté
Je veux chanter les cieux où brille ton étoile
Je veux chanter l'Amour et soulever le voile
Du mystère de l'Ombre où dort la Vérité
La Muse
Je t'aime cher poète et déjà, grand Corneille
Et je serais pour toi une mère qui veille
Sur le berceau tremblant d'un pâle chérubin
Comme elle je suivrais de ta marche incertaine
Les oscillations ; et je serai la chaîne
Reliant ton génie à ceux du genre Humain
Le Poète
Je veux chanter l'amour du vieux temps romantique
Je veux que Rome dise et son nom symbolique
Et son meurtre brutal ses folles voluptés
Je veux ressusciter la grande tragédie
Et remonter le cours du fleuve de la vie
Qui coule son eau trouble en flots précipités
La Muse
Ne crains-tu pas pour toi, la tâche sera lourde
Et Rome à ton appel peut-être sera sourde ?
Quand du sommeil des morts j'irai la retrancher
Qu'importe je suivrai ses foules éternelles
Aux accents de l'amour à ses chansons cruelles
J'accorderai ma lyre et te ferai chanter
Le Poète
Merci ! Puisse le monde écouter le murmure
De ta voix dans mes vers, dont la juste mesure
Semble trop monotone et pleine de lenteurs
Mais pourquoi redouter les âmes insensibles ?
N'ais-je pas ton amour tes lèvres invisibles
Pour tarir dans mes yeux l'amertume des pleurs
La Muse
Le monde fera vivre au sein des destinées
Ton génie. Et ton nom au déclin des années
Vivra comme aujourd'hui dans la grande Cité
Dans l'ombre du cercueil une clarté céleste
Brillera sur ton oeuvre et ton oeuvre l'atteste
Le Génie est le fils de l'Immortalité.
Honoré HARMAND