La source
A l'ami PICHAUX
6 janvier 1910
Que de fois fixant tes regards
Sur le noir tableau de la vie
N'as-tu pas dit dans ta folie :
Les gueux sont de vrais canusards !
N'as-tu pas pesé les misères,
Des gars errant par les chemins
Tandis que les fats muscadins
Roulent couchés en tapissières !
N'as-tu pas senti dans ton coeur
Le fiel couler ? Un dieu de rage
N'a-t-il contracté ton visage
Que pour pleurer sur ton malheur ?
Oui, cher ami : juste colère
Que la tienne et la notre à tous
Nous qui n'avons comme joujous
Que les baisers de notre mère
Comme illusion que l'amour
Comme rêve une tendre épouse
Qu'on aime d'amitié jalouse
Après une innocente cour
C'est notre bonheur mais si j'ose
Parler ainsi c'est que vois-tu
A quoi nous sert notre vertu
Quand notre existence est morose
Quand nous plions sous le travail
Que nos maîtres forts en insultes
Font jaillir de cerveaux meubles
Des phrases en épouvantail
Quand nous retenons sur nos lèvres
La colère qui nous a fait mal
L'Homme vois-tu c'est l'animal
Battu craintif aux grands yeux mièvres
C'est la bête noire ici-bas
Quand l'or dans sa main ne scintille
C'est la misère qui fourmille
Dans la ruelle en contrebas
Aux yeux des riches égoïstes
Point n'existe la pauvreté
Mais c'est de l'Inégalité
Que naquit le socialiste.
Honoré HARMAND