Un saltimbanque
Souvenir d'une soirée au théâtre français avec Berthe ANFRIE
2 novembre 1917
Hier je m'en fus au théâtre
Dont je ne suis pas idolâtre
Mais j'avais promis et je tins.
Combien de sa gaîté diffuse
Le public absorbé s'amuse
A voir s'agiter des pantins.
Et l'on jouait les « Saltimbanques »
Ces gueux grands ennemis des banques
Où le riche porte son or.
Et je les admirais sans rire
Ces artistes qui savent dire
De bons mots, dans un beau décor.
Et sous son étrange grimace
Je devinais le bon « Paillasse »
Faux au théâtre et si réel
Dans le monde où, sans mise en scène
Le vari « Paillasse » se démène
Dans le décor vivant du ciel.
Comme il aime sa cabotine
J'aimais, jadis, une gamine
Aujourd'hui vieille de trente ans.
Comme lui j'avais fait un rêve ;
Mais comme le sien il s'achève
Et nous fait aussi ressemblants.
Lorsqu'il pleurait sur sa misère
On sentait que son front sévère
Etait celui d'un comédien.
Tandis que lui, roi du mensonge,
Vivait son dépit dans un songe,
Eveillé je vivais le mien.
Mais de « Paillasse » le faux rôle
En séparant l'homme du drôle
Demain le rendra naturel.
Tandis que mon coeur en détresse
Battra toujours pour la maîtresse
Au masque perfide et cruel.
Toujours « Paillasse » jusqu'à l'heure
Où vers une scène meilleure
J'irai pour calmer mes douleurs
Sans bravos, sans rires, sans larmes
Redoutant les affreux vacarmes
J'aurai les morts pour spectateurs.
Honoré HARMAND