A Marina, « l'inoubliable »
Poème vécu par mon fils soldat
10 mai 1937
Elle s'appelle « Marina »
Et le hasard nous amena
Auprès d'elle, dans la cohue
Des « hommes » passant dans la rue.
Elle avait de si jolis yeux
Et nos coeurs étaient si joyeux
Qu'un grand désir, irrésistible
Nous désigna, comme une cible
Pour un amour irraisonné.
C'était un soir de Mi-carême
Les yeux, dans sa face si blême
Avaient un reflet enjôleur
Et son regard, d'amour, menteur
Nous parlait de l'amour quand même :
On est aveugle quand on aime.
Elle nous plut et sans rancoeur
Semant sous ses pas du bonheur
Nous fit passer « une heure ensemble ».
Le bonheur au malheur ressemble.
Nous n'avons rien à regretter
Car, quand il fallut la quitter
Tous, grisés d'équivoques charmes
Avons versé de franches larmes.
On a tort de s'apitoyer
Sur celle qui fait son métier
Mais quand apprend qu'elle est mère
Malgré soi notre coeur se serre
Et quand les sens sont apaisés
La source ardente des baisers
Sur la lèvre est vite tarie :
Le bon sens parle à la folie.
Un enfant a tant de valeur
Le mot « Maman » trouble le coeur
Des plus endurcis qui l'entendent ;
Les nerfs des plus forts se détendent.
Nous lui fîmes de la morale
Mais c'est une beauté fatale
Qui sème, sans savoir pourquoi
Un souvenir derrière soi.
Amour, frissons, furtive ivresse
Vous gravez, dans notre jeunesse
Des mots qu'on ne peut oublier.
Mais pour Elle dans le sentier
Où fleurit la rose sauvage
Vous avez caché « l'Esclavage »
Qui, dans le détour du chemin
L'attaquera le jour prochain.
Redoute l'ombrage des branches ?
Nous avons tendu des mains blanches
« Marina » tous en te quittant.
Tu ne pourras en faire autant
A la fin de ta vie amère
Ton rêve affreux sera « Chimère » ;
Mais souviens-toi bien « Marina »
Du hasard qui nous amena
Auprès de toi, dans la cohue
Des « hommes » passant dans la rue
Et si ton fils plus tard a faim
Pour vous deux nous aurons du pain.
Honoré HARMAND