A mon ami le fossoyeur
A M. BALIN, fossoyeur
5 décembre 1939
Si tu savais bon fossoyeur
Tu sembles pour moi le meilleur
Des braves amis qui m'entourent.
Tu dois te demander pourquoi ?
Il faut me croire sur la foi.
Je méprise ceux qui discourent.
Je ne cherche pas les grands mots.
Tu mets un terme à tous nos maux
Quand tu donnes tes coups de pioche.
Que tu prépares un bon lit
Pour qu'en enfer ou paradis
Nous puissions dormir sans reproche.
En passant près du vieux clocher
Un soir je me pris à chercher
A l'ombre un petit coin de terre.
Je pense à ces choses de loin
Et voudrais que ce petit coin
Me soit réservé sans mystère.
J'ai vraiment confiance en toi
Et j'écris ces vers sans émoi :
Je voudrais ma fosse profonde ;
Longue, selon ma grandeur,
Large, comme le fut mon coeur :
Sur mesure, en homme du monde.
Je ne fus jamais très coquet.
Pourvu, qu'au printemps, un bouquet
Fait de modestes violettes
Orne ma tombe en souvenir.
C'est le seul et dernier désir
Qu'exprime mon vivant squelette.
Peu m'importent les coups du sort,
Puisque je suis élève-mort
Mon âme se sent toute fière
De ne pas singer les dévots
Qui traduisent par des sanglots
Leurs regrets de quitter la terre.
Honoré HARMAND