Comme on change
20 novembre 1945
Elle avait vingt-cinq ans lorsque je l'ai connue.
Son charme était typique et de fait, attirant ;
Un masque de poupée, une taille menue
Ne laissaient, au passage, un homme indifférent.
Nous étions familiers ; elle était ma voisine.
Son âme était sensible à certains compliments.
C'est alors qu'il advint ce que l'on imagine ;
Ainsi, depuis toujours, commencent les romans.
En elle il existait deux femmes différentes.
Un jour capricieuse, accessible au désir ;
Jouant le double jeu des fatales amantes,
Lasse le lendemain, se moquant à plaisir.
Un soir de rêverie elle voulut m'entendre,
Assis à ses côtés, lui réciter des vers.
A la fin du poème elle se fit plus tendre
Et je vis quelques pleurs obscurcir ses yeux verts.
Mais elle était épouse et, de plus infidèle ;
La Raison m'éloigna de ce coeur inconstant.
Je quittai sans regret la fausse jouvencelle
Et j'ai ri de la mort d'un amant débutant.
L'autre soir le hasard l'a mise sur ma route.
Sa marche était pesante et son regard lassé.
Quoi ? Sa beauté fatale avait fait banqueroute ;
Il ne restait plus rien de son charme passé.
Je cherchais, mais en vain, la suprême élégance
Laissant tout deviner des lignes de son corps.
Son simple accoutrement, de mode en décadence
Semblait, sur le destin, rejeter tous les torts.
Plus aucune couleur n'embellissait ses lèvres
Et la neige des ans argentait ses cheveux.
Il ne restait plus rien du mensonge des fièvres
Que les traits du remords dans le vert de ses yeux.
Honoré HARMAND