Rêves et réalités
26 octobre 1905
Ah les doux frissons, les belles images
Que le rêve apporte à nos faibles coeurs
Quand de son grand livre effeuillant les pages
On ne lit partout que le mot « bonheur »
Beau est le séjour où notre chimère
Nous conduit bien loin des sombres douleurs
Grand est le destin qui nous rend moins amer
Le baiser brutal de tous nos malheurs
Cette paix du coeur oui je l'ai connue
A l'âge où l'enfant ne sait pas douter
Mais en ce temps là je l'ai trop vécue
Et j'ai trop souffert pour la regretter
Ah qu'il était beau jadis mon sommeil
Les rêves passaient riants et dorés
Et quand ils fuyaient avec mon réveil
Je ne pleurais pas qu'ils soient effacés
Tout me souriait et dans cette vie
Où tout disparaît jusqu'aux souvenirs
J'ignorais pourquoi l'extase ravie
Change notre joie en de grands soupirs
Le jour commençait puis l'affreuse nuit
Jetait son linceul sur toute la terre
Je ne dirais pas du jour qui s'enfuit
S'il était durable ou bien éphémère
Il ne changeait pas, le même flambeau
Eclairait toujours le même horizon
La vie de l'enfant n'a rien de nouveau
Et son jeune coeur n'a qu'une saison
La saison brillante où toutes les fleurs
Figurent l'emblème des jeunes années
Elles sont écloses mais que de douleurs
De ces fleurs humaines font des fleurs fanées
C'était l'âge d'or et de la jeunesse
L'âge qu'on regrette qui trop tôt s'achève
Le rêve était doux comme une caresse
Je l'aimais bien fort, mais c'était un rêve
Le temps a passé et de gros nuages
Dans un ciel d'azur souvent arrêtés
Ont changé la face des belles images
Ce qui était rêves fut réalités
La vie m'apparût sous un jour nouveau
Le monde parla un autre langage
Et tout ce que voit l'enfant au berceau
Est le soleil d'or précédant l'orage
Puis dans mon sommeil je vis tout en rose
Je me crus heureux, pour combien d'instants
Hélas au réveil sur mon front morose
Un pli se creusa fait de mes tourments
La réalité parlant elle-même
Ouvrit sous mes pas ses profonds abîmes
Ah combien le rêve à l'heure suprême
Quand il n'est qu'un rêve fait-il de victimes
Il est la saison où toutes les fleurs
Figurent l'emblème des jeunes années
Mais quand il n'est plus ce sont les douleurs
Qui des fleurs humaines font des fleurs fanées
Honoré HARMAND