PLUME DE POÉSIES
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 Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XXI. Ce que contenaient les pâtés

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MessageSujet: Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XXI. Ce que contenaient les pâtés   Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XXI. Ce que contenaient les pâtés Icon_minitimeDim 7 Avr - 16:04

XXI. Ce que contenaient les pâtés du successeur du père Marteau

Une demi-heure après, La Ramée rentra gai et allègre comme un
homme qui a bien mangé, et qui surtout a bien bu. Il avait trouvé
les pâtés excellents et le vin délicieux.

Le temps était beau et permettait la partie projetée. Le jeu de
paume de Vincennes était un jeu de longue paume, c’est-à-dire en
plein air; rien n’était donc plus facile au duc que de faire ce
que lui avait recommandé Grimaud, c’est-à-dire d’envoyer les
balles dans les fossés.

Cependant, tant que deux heures ne furent pas sonnées, le duc ne
fut pas trop maladroit, car deux heures étaient l’heure dite. Il
n’en perdit pas moins les parties engagées jusque-là, ce qui lui
permit de se mettre en colère et de faire ce qu’on fait en pareil
cas, faute sur faute.

Aussi, à deux heures sonnant, les balles commencèrent-elles à
prendre le chemin des fossés, à la grande joie de La Ramée qui
marquait quinze à chaque dehors que faisait le prince.

Les dehors se multiplièrent tellement que bientôt on manqua de
balles. La Ramée proposa alors d’envoyer quelqu’un pour les
ramasser dans le fossé. Mais le duc fit observer très
judicieusement que c’était du temps perdu, et s’approchant du
rempart qui à cet endroit, comme l’avait dit l’exempt, avait au
moins cinquante pieds de haut, il aperçut un homme qui travaillait
dans un des mille petits jardins que défrichent les paysans sur le
revers du fossé.

- Eh! l’ami? cria le duc.

L’homme leva la tête, et le duc fut prêt à pousser un cri de
surprise. Cet homme, ce paysan, ce jardinier, c’était Rochefort,
que le prince croyait à la Bastille.

- Eh bien, qu’y a-t-il là-haut? demanda l’homme.

- Ayez l’obligeance de nous rejeter nos balles, dit le duc.

Le jardinier fit un signe de la tête, et se mit à jeter les
balles, que ramassèrent La Ramée et les gardes. Une d’elles tomba
aux pieds du duc, et comme celle-là lui était visiblement
destinée, il la mit dans sa poche.

Puis, ayant fait au jardinier un signe de remerciement, il
retourna à sa partie.

Mais décidément le duc était dans son mauvais jour, les balles
continuèrent à battre la campagne: au lieu de se maintenir dans
les limites du jeu, deux ou trois retournèrent dans le fossé; mais
comme le jardinier n’était plus là pour les renvoyer, elles furent
perdues, puis le duc déclara qu’il avait honte de tant de
maladresse et qu’il ne voulait pas continuer.

La Ramée était enchanté d’avoir si complètement battu un prince du
sang.

Le prince rentra chez lui et se coucha; c’était ce qu’il faisait
presque toute la journée depuis qu’on lui avait enlevé ses livres.

La Ramée prit les habits du prince, sous prétexte qu’ils étaient
couverts de poussière, et qu’il allait les faire brosser, mais, en
réalité, pour être sûr que le prince ne bougerait pas. C’était un
homme de précaution que La Ramée.

Heureusement le prince avait eu le temps de cacher la balle sous
son traversin.

Aussitôt que la porte fut refermée, le duc déchira l’enveloppe de
la balle avec ses dents, car on ne lui laissait aucun instrument
tranchant; il mangeait avec des couteaux à lames d’argent
pliantes, et qui ne coupaient pas.

Sous l’enveloppe était une lettre qui contenait les lignes
suivantes:

«Monseigneur, vos amis veillent, et l’heure de votre délivrance
approche: demandez après-demain à manger un pâté fait par le
nouveau pâtissier qui a acheté le fonds de boutique de l’ancien,
et qui n’est autre que Noirmont, votre maître d’hôtel; n’ouvrez le
pâté que lorsque vous serez seul, j’espère que vous serez content
de ce qu’il contiendra.

«Le serviteur toujours dévoué de Votre Altesse, à la Bastille
comme ailleurs,

«Comte de ROCHEFORT.»

«_P.-S_. - Votre Altesse peut se fier à Grimaud en tout point;
c’est un garçon fort intelligent et qui nous est tout à fait
dévoué.»

Le duc de Beaufort, à qui l’on avait rendu son feu depuis qu’il
avait renoncé à la peinture, brûla la lettre, comme il avait fait,
avec plus de regrets, de celle de madame de Montbazon, et il
allait en faire autant de la balle, lorsqu’il pensa qu’elle
pourrait lui être utile pour faire parvenir sa réponse à
Rochefort.

Il était bien gardé, car au mouvement qu’il avait fait, La Ramée
entra.

- Monseigneur a besoin de quelque chose? dit-il.

- J’avais froid, répondit le duc, et j’attisais le feu pour qu’il
donnât plus de chaleur. Vous savez, mon cher, que les chambres du
donjon de Vincennes sont réputées pour leur fraîcheur. On pourrait
y conserver la glace et on y récolte du salpêtre. Celles où sont
morts Puylaurens, le maréchal d’Ornano et le grand prieur, mon
oncle, valaient, sous ce rapport, comme le disait madame de
Rambouillet, leur pesant d’arsenic.

Et le duc se recoucha en fourrant la balle sous son traversin. La
Ramée sourit du bout des lèvres. C’était un brave homme au fond,
qui s’était pris d’une grande affection pour son illustre
prisonnier, et qui eût été désespéré qu’il lui arrivât malheur.
Or, les malheurs successifs arrivés aux trois personnages qu’avait
nommés le duc étaient incontestables.

- Monseigneur, lui dit-il, il ne faut point se livrer à de
pareilles pensées. Ce sont ces pensées-là qui tuent, et non le
salpêtre.

- Eh! mon cher, dit le duc, vous êtes charmant; si je pouvais
comme vous aller manger des pâtés et boire du vin de Bourgogne
chez le successeur du père Marteau, cela me distrairait.

- Le fait est, Monseigneur, dit La Ramée, que ses pâtés sont, de
fameux pâtés, et que son vin est un fier vin.

- En tout cas, reprit le duc, sa cave et sa cuisine n’ont pas de
peine à valoir mieux que celles de M. de Chavigny.

- Eh bien! Monseigneur, dit La Ramée donnant dans le piège, qui
vous empêche d’en tâter? d’ailleurs, je lui ai promis votre
pratique.

- Tu as raison, dit le duc, si je dois rester ici à perpétuité,
comme monsieur Mazarin a eu la bonté de me le faire entendre, il
faut que je me crée une distraction pour mes vieux jours, il faut
que je me fasse gourmand.

- Monseigneur, dit La Ramée, croyez-en un bon conseil, n’attendez
pas que vous soyez vieux pour cela.

- Bon, dit à part le duc de Beaufort, tout homme doit avoir, pour
perdre son coeur et son âme, reçu de la magnificence céleste un
des sept péchés capitaux, quand il n’en a pas reçu deux; il paraît
que celui de maître La Ramée est la gourmandise. Soit, nous en
profiterons.

Puis tout haut:

- Eh bien! mon cher La Ramée, ajouta-t-il, c’est après-demain
fête?

- Oui, Monseigneur, c’est la Pentecôte.

- Voulez-vous me donner une leçon, après-demain?

- De quoi?

- De gourmandise.

- Volontiers, Monseigneur.

- Mais une leçon en tête à tête. Nous enverrons dîner les gardes
à la cantine de M. de Chavigny, et nous ferons ici un souper dont
je vous laisse la direction.

- Hum! fit La Ramée.

L’offre était séduisante; mais La Ramée, quoi qu’en eût pensé de
désavantageux en le voyant M. le cardinal, était un vieux routier
qui connaissait tous les pièges que peut tendre un prisonnier.
M. de Beaufort avait, disait-il, préparé quarante moyens de fuir
de prison. Ce déjeuner ne cachait-il pas quelque ruse?

Il réfléchit un instant; mais le résultat de ses réflexions fut
qu’il commanderait les vivres et le vin, et que par conséquent
aucune poudre ne serait semée sur les vivres, aucune liqueur ne
serait mêlée au vin.

Quant à le griser, le duc ne pouvait avoir une pareille intention,
et il se mit à rire à cette seule pensée; puis une idée lui vint
qui conciliait tout.

Le duc avait suivi le monologue intérieur de La Ramée d’un oeil
assez inquiet à mesure que le trahissait sa physionomie; mais
enfin, le visage de l’exempt s’éclaira.

- Eh bien, demanda le duc, cela va-t-il?

- Oui, Monseigneur, à une condition.

- Laquelle?

- C’est que Grimaud nous servira à table.

Rien ne pouvait mieux aller au prince.

Cependant il eut cette puissance de faire prendre à sa figure une
teinte de mauvaise humeur des plus visibles.

- Au diable votre Grimaud! s’écria-t-il, il me gâtera toute la
fête.

- Je lui ordonnerai de se tenir derrière Votre Altesse, et comme
il ne souffle pas un mot, Votre Altesse ne le verra ni ne
l’entendra, et, avec un peu de bonne volonté, pourra se figurer
qu’il est à cent lieues d’elle.

- Mon cher, dit le duc, savez-vous ce que je vois de plus clair
dans cela? c’est que vous vous défiez de moi.

- Monseigneur, c’est après-demain la Pentecôte.

- Eh bien! que me fait la Pentecôte à moi? Avez-vous peur que le
Saint-Esprit ne descende sous la figure d’une langue de feu pour
m’ouvrir les portes de ma prison?

- Non, Monseigneur; mais je vous ai raconté ce qu’avait prédit ce
magicien damné.

- Et qu’a-t-il prédit?

- Que le jour de la Pentecôte ne se passerait pas sans que Votre
Altesse fût hors de Vincennes.

- Tu crois donc aux magiciens? imbécile!

- Moi, dit La Ramée, je m’en soucie comme de cela, et il fit
claquer ses doigts. Mais c’est monseigneur Giulio qui s’en soucie;
en qualité d’italien, il est superstitieux.

Le duc haussa les épaules.

- Eh bien, soit, dit-il avec une bonhomie parfaitement jouée,
j’accepte Grimaud, car sans cela la chose n’en finirait point;
mais je ne veux personne autre que Grimaud; vous vous chargerez de
tout. Vous commanderez le souper comme vous l’entendrez, le seul
mets que je désigne est un de ces pâtés dont vous m’avez parlé.
Vous le commanderez pour moi, afin que le successeur du père
Marteau se surpasse, et vous lui promettrez ma pratique, non
seulement pour tout le temps que je resterai en prison, mais
encore pour le moment où j’en serai sorti.

- Vous croyez donc toujours que vous en sortirez? dit La Ramée.

- Dame! répliqua le prince, ne fût-ce qu’à la mort de Mazarin:
j’ai quinze ans de moins que lui. Il est vrai, ajouta-t-il en
souriant, qu’à Vincennes on vit plus vite.

- Monseigneur! reprit La Ramée, Monseigneur!

- Ou qu’on meurt plus tôt, ajouta le duc de Beaufort, ce qui
revient au même.

- Monseigneur, dit La Ramée, je vais commander le souper.

- Et vous croyez que vous pourrez faire quelque chose de votre
élève?

- Mais je l’espère, Monseigneur, répondit La Ramée.

- S’il vous en laisse le temps, murmura le duc.

- Que dit Monseigneur? demanda La Ramée.

- Monseigneur dit que vous n’épargniez pas la bourse de M. le
cardinal, qui a bien voulu se charger de notre pension.

La Ramée s’arrêta à la porte.

- Qui Monseigneur veut-il que je lui envoie?

- Qui vous voudrez, excepté Grimaud.

- L’officier des gardes, alors?

- Avec son jeu d’échecs.

- Oui.

Et La Ramée sortit.

Cinq minutes après, l’officier des gardes entrait et le duc de
Beaufort paraissait profondément plongé dans les sublimes
combinaisons de l’échec et mat.

C’est une singulière chose que la pensée, et quelles révolutions
un signe, un mot, une espérance, y opèrent. Le duc était depuis
cinq ans en prison, et un regard jeté en arrière lui faisait
paraître ces cinq années, qui cependant s’étaient écoulées bien
lentement, moins longues que les deux jours, les quarante-huit
heures qui le séparaient encore du moment fixé pour l’évasion.

Puis il y avait une chose surtout qui le préoccupait affreusement:
c’était de quelle manière s’opérerait cette évasion. On lui avait
fait espérer le résultat; mais on lui avait caché les détails que
devait contenir le mystérieux pâté. Quels amis l’attendaient? Il
avait donc encore des amis après cinq ans de prison? En ce cas il
était un prince bien privilégié.

Il oubliait qu’outre ses amis, chose bien plus extraordinaire, une
femme s’était souvenue de lui; il est vrai qu’elle ne lui avait
peut-être pas été bien scrupuleusement fidèle, mais elle ne
l’avait pas oublié, ce qui était beaucoup.

Il y en avait là plus qu’il n’en fallait pour donner des
préoccupations du duc; aussi en fut-il des échecs comme de la
longue paume: M. de Beaufort fit école sur école, et l’officier le
battit à son tour le soir comme l’avait battu le matin La Ramée.

Mais ses défaites successives avaient eu un avantage: c’était de
conduire le prince jusqu’à huit heures du soir; c’était toujours
trois heures gagnées; puis la nuit allait venir, et avec la nuit,
le sommeil.

Le duc le pensait ainsi du moins: mais le sommeil est une divinité
fort capricieuse, et c’est justement lorsqu’on l’invoque qu’elle
se fait attendre. Le duc l’attendit jusqu’à minuit, se tournant et
se retournant sur ses matelas comme saint Laurent sur son gril.
Enfin il s’endormit.

Mais avec le jour il s’éveilla: il avait fait des rêves
fantastiques; il lui était poussé des ailes; il avait alors et
tout naturellement voulu s’envoler, et d’abord ses ailes l’avaient
parfaitement soutenu; mais, parvenu à une certaine hauteur, cet
appui étrange lui avait manqué tout à coup, ses ailes s’étaient
brisées, et il lui avait semblé qu’il roulait dans des abîmes sans
fond; et il s’était réveillé le front couvert de sueur et brisé
comme s’il avait réellement fait une chute aérienne.

Alors il s’était endormi pour errer de nouveau dans un dédale de
songes plus insensés les uns que les autres; à peine ses yeux
étaient-ils fermés, que son esprit, tendu vers un seul but, son
évasion, se reprenait à tenter cette évasion. Alors c’était autre
chose: on avait trouvé un passage souterrain qui devait le
conduire hors de Vincennes, il était engagé dans ce passage, et
Grimaud marchait devant lui une lanterne à la main; mais peu à peu
le passage se rétrécissait, et cependant le duc continuait
toujours son chemin; enfin le souterrain devenait si étroit, que
le fugitif essayait inutilement d’aller plus loin: les parois de
la muraille se resserraient et le pressaient entre elles, il
faisait des efforts inouïs pour avancer, la chose était
impossible; et cependant il voyait au loin Grimaud avec sa
lanterne qui continuait de marcher; il voulait l’appeler pour
qu’il l’aidât à se tirer de ce défilé qui l’étouffait, mais
impossible de prononcer une parole. Alors, à l’autre extrémité, à
celle par laquelle il était venu, il entendait les pas de ceux qui
le poursuivaient, ces pas se rapprochaient incessamment, il était
découvert, il n’avait plus d’espoir de fuir. La muraille semblait
être d’intelligence avec ses ennemis, et le presser d’autant plus
qu’il avait plus besoin de fuir; enfin il entendait la voix de La
Ramée, il l’apercevait. La Ramée étendait la main et lui posait
cette main sur l’épaule en éclatant de rire; il était repris et
conduit dans cette chambre basse et voûtée où étaient morts le
maréchal Ornano, Puylaurens et son oncle; leurs trois tombes
étaient là, bosselant le terrain, et une quatrième fosse était
ouverte, n’attendant plus qu’un cadavre.

Aussi, quand il se réveilla, le duc fit-il autant d’efforts pour
se tenir éveillé qu’il en avait fait pour s’endormir; et lorsque
La Ramée entra, il le trouva si pâle et si fatigué qu’il lui
demanda s’il était malade.

- En effet, dit un des gardes qui avait couché dans la chambre et
qui n’avait pas pu dormir à cause d’un mal de dents que lui avait
donné l’humidité, Monseigneur a eu une nuit agitée et deux ou
trois fois dans ses rêves a appelé au secours.

- Qu’a donc Monseigneur? demanda La Ramée.

- Eh! c’est toi, imbécile, dit le duc, qui avec toutes tes
billevesées d’évasion m’as rompu la tête hier, et qui es cause que
j’ai rêvé que je me sauvais, et qu’en me sauvant je me cassais le
cou.

La Ramée éclata de rire.

- Vous le voyez, Monseigneur, dit La Ramée, C’est un
avertissement du ciel; aussi j’espère que Monseigneur ne commettra
jamais de pareilles imprudences qu’en rêve.

- Et vous avez raison, mon cher La Ramée, dit le duc en essuyant
la sueur qui coulait encore sur son front, tout éveillé qu’il
était, je ne veux plus songer qu’à boire et à manger.

- Chut! dit La Ramée.

Et il éloigna les gardes les uns après les autres sous un prétexte
quelconque.

- Eh bien? demanda le duc quand ils furent seuls.

- Eh bien! dit La Ramée, votre souper est commandé.

- Ah! fit le prince, et de quoi se composera-t-il? Voyons,
monsieur mon majordome.

- Monseigneur a promis de s’en rapporter à moi.

- Et il y aura un pâté?

- Je crois bien! comme une tour.

- Fait par le successeur du père Marteau?

- Il est commandé.

- Et tu lui as dit que c’était pour moi?

- Je le lui ai dit.

- Et il a répondu?

- Qu’il ferait de son mieux pour contenter Votre Altesse.

- À la bonne heure! dit le duc en se frottant les mains.

- Peste! Monseigneur, dit La Ramée, comme vous mordez à la
gourmandise! je ne vous ai pas encore vu, depuis cinq ans, si
joyeux visage qu’en ce moment.

Le duc vit qu’il n’avait point été assez maître de lui; mais en ce
moment, comme s’il eût écouté à la porte et qu’il eût compris
qu’une distraction aux idées de La Ramée était urgente, Grimaud
entra et fit signe à La Ramée qu’il avait quelque chose à lui
dire.

La Ramée s’approcha de Grimaud, qui lui parla tout bas. Le duc se
remit pendant ce temps.

- J’ai déjà défendu à cet homme, dit-il, de se présenter ici sans
ma permission.

- Monseigneur, dit La Ramée, il faut lui pardonner, car c’est moi
qui l’ai mandé.

- Et pourquoi l’avez-vous mandé, puisque vous savez qu’il me
déplaît?

- Monseigneur se rappelle ce qui a été convenu, dit La Ramée, et
qu’il doit nous servir à ce fameux souper. Monseigneur a oublié le
souper.

- Non; mais j’avais oublié M. Grimaud.

- Monseigneur sait qu’il n’y a pas de souper sans lui.

- Allons donc, faites à votre guise.

- Approchez, mon garçon, dit La Ramée, et écoutez ce que je vais
vous dire.

Grimaud s’approcha avec son visage le plus renfrogné.

La Ramée continua:

- Monseigneur me fait l’honneur de m’inviter à souper demain en
tête à tête.

Grimaud fit un signe qui voulait dire qu’il ne voyait pas en quoi
la chose pouvait le regarder.

- Si fait, si fait, dit La Ramée, la chose vous regarde, au
contraire, car vous aurez l’honneur de nous servir, sans compter
que, si bon appétit et si grande soif que nous ayons, il restera
bien quelque chose au fond des plats et au fond des bouteilles, et
que ce quelque chose sera pour vous.

Grimaud s’inclina en signe de remerciement.

- Et maintenant, Monseigneur, dit La Ramée, j’en demande pardon à
Votre Altesse, il paraît que M. de Chavigny s’absente pour
quelques jours, et avant son départ il me prévient qu’il a des
ordres à me donner.

Le duc essaya d’échanger un regard avec Grimaud, mais l’oeil de
Grimaud était sans regard.

- Allez, dit le duc à La Ramée, et revenez le plus tôt possible.

- Monseigneur veut-il donc prendre sa revanche de la partie de
paume d’hier?

Grimaud fit un signe de tête imperceptible de haut en bas.

- Oui, dit le duc; mais prenez garde, mon cher La Ramée, les
jours se suivent et ne se ressemblent pas, de sorte qu’aujourd’hui
je suis décidé à vous battre d’importance.

La Ramée sortit: Grimaud le suivit des yeux, sans que le reste de
son corps déviât d’une ligne; puis, lorsqu’il vit la porte
refermée, il tira vivement de sa poche un crayon et un carré de
papier.

- Écrivez, Monseigneur, lui dit-il.

- Et que faut-il que j’écrive?

Grimaud fit un signe du doigt et dicta:

«Tout est prêt pour demain soir, tenez-vous sur vos gardes de sept
à neuf heures, ayez deux chevaux de main tout prêts, nous
descendrons par la première fenêtre de la galerie.»

- Après? dit le duc.

- Après, Monseigneur? reprit Grimaud étonné. Après, signez.

- Et c’est tout?

- Que voulez-vous de plus, Monseigneur? reprit Grimaud, qui était
pour la plus austère concision.

Le duc signa.

- Maintenant, dit Grimaud, Monseigneur a-t-il perdu la balle?

- Quelle balle?

- Celle qui contenait la lettre.

- Non, j’ai pensé qu’elle pouvait nous être utile. La voici.

Et le duc prit la balle sous son oreiller et la présenta à
Grimaud.

Grimaud sourit le plus agréablement qu’il lui fut possible.

- Eh bien? demanda le duc.

- Eh bien! Monseigneur, dit Grimaud, je recouds le papier dans la
balle, en jouant à la paume vous envoyez la balle dans le fossé.

- Mais peut-être sera-t-elle perdue?

- Soyez tranquille, Monseigneur, il y aura quelqu’un pour la
ramasser.

- Un jardinier? demanda le duc.

Grimaud fit signe que oui.

- Le même qu’hier?

Grimaud répéta son signe.

- Le comte de Rochefort, alors?

Grimaud fit trois fois signe que oui.

- Mais, voyons, dit le duc, donne-moi au moins quelques détails
sur la manière dont nous devons fuir.

- Cela m’est défendu, dit Grimaud, avant le moment même de
l’exécution.

- Quels sont ceux qui m’attendront de l’autre côté du fossé?

- Je n’en sais rien, Monseigneur.

- Mais, au moins, dis-moi ce que contiendra ce fameux pâté, si tu
ne veux pas que je devienne fou.

- Monseigneur, dit Grimaud, il contiendra deux poignards, une
corde à noeud et une poire d’angoisse.

- Bien, je comprends.

- Monseigneur voit qu’il y en aura pour tout le monde.

- Nous prendrons pour nous les poignards et la corde, dit le duc.

- Et nous ferons manger la poire à La Ramée, répondit Grimaud.

- Mon cher Grimaud, dit le duc, tu ne parles pas souvent, mais
quand tu parles, c’est une justice à te rendre, tu parles d’or.
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