PLUME DE POÉSIES
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 Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XXXV. L’absolution

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Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XXXV. L’absolution Empty
MessageSujet: Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XXXV. L’absolution   Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XXXV. L’absolution Icon_minitimeDim 14 Avr - 18:55

XXXV. L’absolution

Voici ce qui s’était passé.

Nous avons vu que ce n’était point par un effet de sa propre
volonté, mais au contraire assez à contrecoeur que le moine
escortait le blessé qui lui avait été recommandé d’une si étrange
manière. Peut-être eût-il cherché à fuir, s’il en avait vu la
possibilité; mais les menaces des deux gentilshommes, leur suite
qui était restée après eux et qui sans doute avait reçu leurs
instructions, et pour tout dire enfin, la réflexion même avait
engagé le moine, sans laisser paraître trop de mauvais vouloir, à
jouer jusqu’au bout son rôle de confesseur, et, une fois entré
dans la chambre, il s’était approché du chevet du blessé.

Le bourreau examina de ce regard rapide, particulier à ceux qui
vont mourir et qui, par conséquent, n’ont pas de temps à perdre,
la figure de celui qui devait être son consolateur; il fit un
mouvement de surprise et dit:

- Vous êtes bien jeune, mon père?

- Les gens qui portent ma robe n’ont point d’âge, répondit
sèchement le moine.

- Hélas! parlez-moi plus doucement, mon père, dit le blessé, j’ai
besoin d’un ami à mes derniers moments.

- Vous souffrez beaucoup? demanda le moine.

- Oui; mais de l’âme bien plus que du corps.

- Nous sauverons votre âme, dit le jeune homme; mais êtes-vous
réellement le bourreau de Béthune, comme le disaient ces gens?

- C’est-à-dire, reprit vivement le blessé, qui craignait sans
doute que ce nom de bourreau n’éloignât de lui les derniers
secours qu’il réclamait, c’est-à-dire que je l’ai été, mais je ne
le suis plus; il y a quinze ans que j’ai cédé ma charge. Je figure
encore aux exécutions, mais je ne frappe plus moi-même, oh non!

- Vous avez donc horreur de votre état?

Le bourreau poussa un profond soupir.

- Tant que je n’ai frappé qu’au nom de la loi et de la justice,
dit-il, mon état m’a laissé dormir tranquille, abrité que j’étais
sous la justice et sous la loi; mais depuis cette nuit terrible où
j’ai servi d’instrument à une vengeance particulière et où j’ai
levé avec haine le glaive sur une créature de Dieu, depuis ce
jour...

Le bourreau s’arrêta en secouant la tête d’un air désespéré.

- Parlez, dit le moine, qui s’était assis au pied du lit du
blessé et qui commençait à prendre intérêt à un récit qui
s’annonçait d’une façon si étrange.

- Ah! s’écria le moribond avec tout l’élan d’une douleur
longtemps comprimée et qui finit enfin par se faire jour, ah! j’ai
pourtant essayé d’étouffer ce remords par vingt ans de bonnes
oeuvres; j’ai dépouillé la férocité naturelle à ceux qui versent
le sang; à toutes les occasions j’ai exposé ma vie pour sauver la
vie de ceux qui étaient en péril, et j’ai conservé à la terre des
existences humaines, en échange de celle que je lui avais enlevée.
Ce n’est pas tout: le bien acquis dans l’exercice de ma
profession, je l’ai distribué aux pauvres, je suis devenu assidu
aux églises, les gens qui me fuyaient se sont habitués à me voir.
Tous m’ont pardonné, quelques-uns même m’ont aimé; mais je crois
que Dieu ne m’a pas pardonné, lui, car le souvenir de cette
exécution me poursuit sans cesse, et il me semble chaque nuit voir
se dresser devant moi le spectre de cette femme.

- Une femme! C’est donc une femme que vous avez assassinée?
s’écria le moine.

- Et vous aussi! s’écria le bourreau, vous vous servez donc de ce
mot qui retentit à mon oreille: assassinée! Je l’ai donc
assassinée et non pas exécutée! je suis donc un assassin et non
pas un justicier!

Et il ferma les yeux en poussant un gémissement.

Le moine craignit sans doute qu’il ne mourût sans en dire
davantage, car il reprit vivement:

- Continuez, je ne sais rien, et quand vous aurez achevé votre
récit, Dieu et moi jugerons.

- Oh! mon père! continua le bourreau sans rouvrir les yeux, comme
s’il craignait, en les rouvrant, de revoir quelque objet
effrayant, c’est surtout lorsqu’il fait nuit et que je traverse
quelque rivière, que cette terreur que je n’ai pu vaincre
redouble: il me semble alors que ma main s’alourdit, comme si mon
coutelas y pesait encore; que l’eau devient couleur de sang, et
que toutes les voix de la nature, le bruissement des arbres, le
murmure du vent, le clapotement du flot, se réunissent pour former
une voix pleurante, désespérée, terrible, qui me crie: «Laissez
passer la justice de Dieu!»

- Délire! murmura le moine en secouant la tête à son tour.

Le bourreau rouvrit les yeux, fit un mouvement pour se retourner
du côté du jeune homme et lui saisit le bras.

- Délire, répéta-t-il, délire, dites-vous? Oh! non pas, car
c’était le soir, car j’ai jeté son corps dans la rivière, car les
paroles que mes remords me répètent, ces paroles, c’est moi qui
dans mon orgueil les ai prononcées: après avoir été l’instrument
de la justice humaine, je croyais être devenu celui de la justice
de Dieu.

- Mais, voyons, comment cela s’est-il fait? parlez, dit le moine.

- C’était un soir, un homme me vint chercher, me montra un ordre,
je le suivis. Quatre autres seigneurs m’attendaient. Ils
m’emmenèrent masqué. Je me réservais toujours de résister si
l’office qu’on réclamait de moi me paraissait injuste. Nous fîmes
cinq ou six lieues, sombres, silencieux et presque sans échanger
une parole; enfin, à travers les fenêtres d’une petite chaumière,
ils me montrèrent une femme accoudée sur une table et me dirent:
«Voici celle qu’il faut exécuter.»

- Horreur! dit le moine. Et vous avez obéi?

- Mon père, cette femme était un monstre: elle avait empoisonné,
disait-on, son second mari, tenté d’assassiner son beau-frère, qui
se trouvait parmi ces hommes; elle venait d’empoisonner une jeune
femme qui était sa rivale, et avant de quitter l’Angleterre elle
avait, disait-on, fait poignarder le favori du roi.

- Buckingham? s’écria le moine.

- Oui, Buckingham, c’est cela.

- Elle était donc Anglaise, cette femme?

- Non, elle était Française, mais elle s’était mariée en
Angleterre.

Le moine pâlit, s’essuya le front et alla fermer la porte au
verrou. Le bourreau crut qu’il l’abandonnait et retomba en
gémissant sur son lit.

- Non, non, me voilà, reprit le moine en revenant vivement près
de lui; continuez: quels étaient ces hommes?

- L’un était étranger, Anglais, je crois. Les quatre autres
étaient Français et portaient le costume de mousquetaires.

- Leurs noms? demanda le moine.

- Je ne les connais pas. Seulement les quatre autres seigneurs
appelaient l’Anglais milord.

- Et cette femme était-elle belle?

- Jeune et belle! Oh! oui, belle surtout. Je la vois encore,
lorsque, à genoux à mes pieds, elle priait, la tête renversée en
arrière. Je n’ai jamais compris depuis, comment j’avais abattu
cette tête si belle et si pâle.

Le moine semblait agité d’une émotion étrange. Tous ses membres
tremblaient; on voyait qu’il voulait faire une question, mais il
n’osait pas.

Enfin, après un violent effort sur lui-même:

- Le nom de cette femme? dit-il.

- Je l’ignore. Comme je vous le dis, elle s’était mariée deux
fois, à ce qu’il paraît: une fois en France, et l’autre en
Angleterre.

- Et elle était jeune, dites-vous?

- Vingt-cinq ans.

- Belle?

- À ravir.

- Blonde?

- Oui.

- De grands cheveux, n’est-ce pas? qui tombaient jusque sur ses
épaules.

- Oui.

- Des yeux d’une expression admirable?

- Quand elle voulait. Oh! oui, c’est bien cela.

- Une voix d’une douceur étrange?

- Comment le savez-vous?

Le bourreau s’accouda sur son lit et fixa son regard épouvanté sur
le moine, qui devint livide.

- Et vous l’avez tuée! dit le moine; vous avez servi d’instrument
à ces lâches, qui n’osaient la tuer eux-mêmes! vous n’avez pas eu
pitié de cette jeunesse, de cette beauté, de cette faiblesse! vous
avez tué cette femme?

- Hélas! reprit le bourreau, je vous l’ai dit, mon père, cette
femme, sous cette enveloppe céleste, cachait un esprit infernal,
et quand je la vis, quand je me rappelai tout le mal qu’elle
m’avait fait à moi-même...

- À vous? et qu’avait-elle pu vous faire à vous? Voyons.

- Elle avait séduit et perdu mon frère, qui était prêtre; elle
s’était sauvée avec lui de son couvent.

- Avec ton frère?

- Oui. Mon frère avait été son premier amant: elle avait été la
cause de la mort de mon frère. Oh! mon père! mon père! ne me
regardez donc pas ainsi. Oh! je suis donc coupable? Oh! vous ne me
pardonnerez donc pas?

Le moine composa son visage.

- Si fait, si fait, dit-il, je vous pardonnerai si vous me dites
tout!

- Oh! s’écria le bourreau, tout! tout! tout!

- Alors, répondez. Si elle a séduit votre frère... vous dites
qu’elle l’a séduit, n’est-ce pas?

- Oui.

- Si elle a causé sa mort... vous avez dit qu’elle avait causé sa
mort?

- Oui, répéta le bourreau.

- Alors, vous devez savoir son nom de jeune fille?

- O mon Dieu! dit le bourreau, mon Dieu! il me semble que je vais
mourir. L’absolution, mon père! l’absolution!

- Dis son nom! s’écria le moine, et je te la donnerai.

- Elle s’appelait... mon Dieu, ayez pitié de moi! murmura le
bourreau.

Et il se laissa aller sur son lit, pâle, frissonnant et pareil à
un homme qui va mourir.

- Son nom! répéta le moine se courbant sur lui comme pour lui
arracher ce nom s’il ne voulait pas le lui dire; son nom!...
parle, ou pas d’absolution!

Le mourant parut rassembler toutes ses forces. Les yeux du moine
étincelaient.

- Anne de Bueil, murmura le blessé.

- Anne de Bueil! s’écria le moine en se redressant et en levant
les deux mains au ciel; Anne de Bueil! tu as bien dit Anne de
Bueil, n’est-ce pas?

- Oui, oui, c’était son nom, et maintenant absolvez-moi, car je
me meurs.

- Moi, t’absoudre! s’écria le prêtre avec un rire qui fit dresser
les cheveux sur la tête du mourant, moi, t’absoudre? je ne suis
pas prêtre!

- Vous n’êtes pas prêtre! s’écria le bourreau, mais qu’êtes-vous
donc alors?

- Je vais te le dire à mon tour, misérable!

- Ah! Seigneur! mon Dieu!

- Je suis John Francis de Winter!

- Je ne vous connais pas! s’écria le bourreau.

- Attends, attends, tu vas me connaître: je suis John Francis de
Winter, répéta-t-il, et cette femme...

- Eh bien! cette femme?

- C’était ma mère!

Le bourreau poussa le premier cri, ce cri si terrible qu’on avait
entendu d’abord.

- Oh! pardonnez-moi, pardonnez-moi, murmura-t-il, sinon au nom de
Dieu, du moins en votre nom; sinon comme prêtre, du moins comme
fils.

- Te pardonner! s’écria le faux moine, te pardonner! Dieu le fera
peut-être, mais moi, jamais!

- Par pitié, dit le bourreau en tendant ses bras vers lui.

- Pas de pitié pour qui n’a pas eu de pitié; meurs impénitent,
meurs désespéré, meurs et sois damné!

Et tirant de sa robe un poignard et le lui enfonçant dans la
poitrine:

- Tiens, dit-il, voilà mon absolution!

Ce fut alors que l’on entendit ce second cri plus faible que le
premier, qui avait été suivi d’un long gémissement.

Le bourreau, qui s’était soulevé, retomba renversé sur son lit.
Quant au moine, sans retirer le poignard de la plaie, il courut à
la fenêtre, l’ouvrit, sauta sur les fleurs d’un petit jardin, se
glissa dans l’écurie, prit sa mule, sortit par une porte de
derrière, courut jusqu’au prochain bouquet de bois, y jeta sa robe
de moine, tira de sa valise un habit complet de cavalier, s’en
revêtit, gagna à pied la première poste, prit un cheval et
continua à franc étrier son chemin vers Paris.

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Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XXXV. L’absolution
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