PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXXIX. Où, après avoir manqué d’être rôti,

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité




Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXXIX. Où, après avoir manqué d’être rôti,  Empty
MessageSujet: Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXXIX. Où, après avoir manqué d’être rôti,    Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXXIX. Où, après avoir manqué d’être rôti,  Icon_minitimeLun 15 Avr - 19:13

LXXIX. Où, après avoir manqué d’être rôti, Mousqueton manqua
d’être mangé

Un profond silence régna longtemps dans le canot après la scène
terrible que nous venons de raconter. La lune, qui s’était montrée
un instant comme si Dieu eût voulu qu’aucun détail de cet
événement ne restât caché aux yeux des spectateurs, disparut
derrière les nuages; tout rentra dans cette obscurité si
effrayante dans tous les déserts et surtout dans ce désert liquide
qu’on appelle l’Océan, et l’on n’entendit plus que le sifflement
du vent d’ouest dans la crête des lames.

Porthos rompit le premier le silence.

- J’ai vu bien des choses, dit-il, mais aucune ne m’a ému comme
celle que je viens de voir. Cependant, tout troublé que je suis,
je vous déclare que je me sens excessivement heureux. J’ai cent
livres de moins sur la poitrine, et je respire enfin librement.

En effet, Porthos respira avec un bruit qui faisait honneur au jeu
puissant de ses poumons.

- Pour moi, dit Aramis, je n’en dirai pas autant que vous,
Porthos; je suis encore épouvanté. C’est au point que je n’en
crois pas mes yeux, que je doute de ce que j’ai vu, que je cherche
tout autour du canot, et que je m’attends à chaque minute à voir
reparaître ce misérable tenant à la main le poignard qu’il avait
dans le coeur.

- Oh! moi, je suis tranquille, reprit Porthos; le coup lui a été
porté vers la sixième côte et enfoncé jusqu’à la garde. Je ne vous
en fais pas un reproche, Athos, au contraire. Quand on frappe,
c’est comme cela qu’il faut frapper. Aussi je vis à présent, je
respire, je suis joyeux.

- Ne vous hâtez pas de chanter victoire, Porthos! dit d’Artagnan.
Jamais nous n’avons couru un danger plus grand qu’à cette heure;
car un homme vient à bout d’un homme, mais non pas d’un élément.
Or, nous sommes en mer la nuit, sans guide, dans une frêle barque;
qu’un coup de vent fasse chavirer le canot, et nous sommes perdus.

Mousqueton poussa un profond soupir.

- Vous êtes ingrat, d’Artagnan, dit Athos; oui, ingrat de douter
de la Providence au moment où elle vient de nous sauver tous d’une
façon si miraculeuse. Croyez-vous qu’elle nous ait fait passer, en
nous guidant par la main, à travers tant de périls, pour nous
abandonner ensuite? Non pas. Nous sommes partis par un vent
d’ouest, ce vent souffle toujours. Athos s’orienta sur l’étoile
polaire. Voici le Chariot, par conséquent là est la France.
Laissons-nous aller au vent, et tant qu’il ne changera point il
nous poussera vers les côtes de Calais ou de Boulogne. Si la
barque chavire, nous sommes assez forts et assez bons nageurs, à
nous cinq du moins, pour la retourner, ou pour nous attacher à
elle si cet effort est au-dessus de nos forces. Or, nous nous
trouvons sur la route de tous les vaisseaux qui vont de Douvres à
Calais et de Portsmouth à Boulogne; si l’eau conservait leurs
traces, leur sillage eût creusé une vallée à l’endroit même où
nous sommes. Il est donc impossible qu’au jour nous ne
rencontrions pas quelque barque de pêcheur qui nous recueillera.

- Mais si nous n’en rencontrions point, par exemple, et que le
vent tournât au nord!

- Alors, dit Athos, c’est autre chose, nous ne retrouverions la
terre que de l’autre côté de l’Atlantique.

- Ce qui veut dire que nous mourrions de faim, reprit Aramis.

- C’est plus que probable, dit le comte de La Fère.

Mousqueton poussa un second soupir plus douloureux encore que le
premier.

- Ah! çà! Mouston, demanda Porthos, qu’avez-vous donc à gémir
toujours ainsi? cela devient fastidieux!

- J’ai que j’ai froid, monsieur, dit Mousqueton.

- C’est impossible, dit Porthos.

- Impossible? dit Mousqueton étonné.

- Certainement. Vous avez le corps couvert d’une couche de
graisse qui le rend impénétrable à l’air. Il y a autre chose,
parlez franchement.

- Eh bien, oui, monsieur, et c’est même cette couche de graisse,
dont vous me glorifiez, qui m’épouvante, moi!

- Et pourquoi cela, Mouston? parlez hardiment, ces messieurs vous
le permettent.

- Parce que, monsieur, je me rappelais que dans la bibliothèque
du château de Bracieux il y a une foule de livres de voyages, et
parmi ces livres de voyages ceux de Jean Mocquet, le fameux
voyageur du roi Henri IV.

- Après?

- Eh bien! monsieur, dit Mousqueton, dans ces livres il est fort
parlé d’aventures maritimes et d’événements semblables à celui qui
nous menace en ce moment!

- Continuez, Mouston, dit Porthos, cette analogie est pleine
d’intérêt.

- Eh bien, monsieur, en pareil cas, les voyageurs affamés, dit
Jean Mocquet, ont l’habitude affreuse de se manger les uns les
autres et de commencer par...

- Par le plus gras! s’écria d’Artagnan ne pouvant s’empêcher de
rire, malgré la gravité de la situation.

- Oui, monsieur, répondit Mousqueton, un peu abasourdi de cette
hilarité, et permettez-moi de vous dire que je ne vois pas ce
qu’il peut y avoir de risible là-dedans.

- C’est le dévouement personnifié que ce brave Mousqueton! reprit
Porthos. Gageons que tu te voyais déjà dépecé et mangé par ton
maître?

- Oui, monsieur, quoique cette joie que vous devinez en moi ne
soit pas, je vous l’avoue, sans quelque mélange de tristesse.
Cependant je ne me regretterais pas trop, monsieur, si en mourant
j’avais la certitude de vous être utile encore.

- Mouston, dit Porthos attendri, si nous revoyons jamais mon
château de Pierrefonds, vous aurez, en toute propriété, pour vous
et vos descendants, le clos de vignes qui surmonte la ferme.

Et vous le nommerez la vigne du Dévouement, Mouston, dit Aramis,
pour transmettre aux derniers âges le souvenir de votre sacrifice.

- Chevalier, dit d’Artagnan en riant à son tour, vous eussiez
mangé du Mouston sans trop de répugnance, n’est-ce pas, surtout
après deux ou trois jours de diète?

- Oh! ma foi, non, reprit Aramis, j’eusse mieux aimé Blaisois: il
y a moins longtemps que nous le connaissons.

On conçoit que pendant cet échange de plaisanteries, qui avaient
pour but surtout d’écarter de l’esprit d’Athos la scène qui venait
de se passer, à l’exception de Grimaud, qui savait qu’en tout cas
le danger, quel qu’il fût, passerait au-dessus de sa tête, les
valets ne fussent point tranquilles.

Aussi Grimaud, sans prendre aucune part à la conversation, et
muet, selon son habitude, s’escrimait-il de son mieux, un aviron
de chaque main.

- Tu rames donc, toi? dit Athos.

Grimaud fit signe que oui.

- Pourquoi rames-tu?

- Pour avoir chaud.

En effet, tandis que les autres naufragés grelottaient de froid,
le silencieux Grimaud suait à grosses gouttes.

Tout à coup Mousqueton poussa un cri de joie en élevant au-dessus
de sa tête sa main armée d’une bouteille.

- Oh! dit-il en passant la bouteille à Porthos, oh! monsieur,
nous sommes sauvés! la barque est garnie de vivres.

Et fouillant vivement sous le banc d’où il avait déjà tiré le
précieux spécimen, il amena successivement une douzaine de
bouteilles pareilles, du pain et un morceau de boeuf salé.

Il est inutile de dire que cette trouvaille rendit la gaieté à
tous, excepté à Athos.

- Mordieu! dit Porthos, qui, on se le rappelle, avait déjà faim
en mettant le pied sur la felouque, c’est étonnant comme les
émotions creusent l’estomac!

Et il avala une bouteille d’un coup et mangea à lui seul un bon
tiers du pain et du boeuf salé.

- Maintenant, dit Athos, dormez ou tâchez de dormir, messieurs;
moi, je veillerai.

Pour d’autres hommes que pour nos hardis aventuriers une pareille
proposition eût été dérisoire. En effet, ils étaient mouillés
jusqu’aux os, il faisait un vent glacial, et les émotions qu’ils
venaient d’éprouver semblaient leur défendre de fermer l’oeil;
mais pour ces natures d’élite, pour ces tempéraments de fer, pour
ces corps brisés à toutes les fatigues, le sommeil, dans toutes
les circonstances, arrivait à son heure sans jamais manquer à
l’appel.

Aussi au bout d’un instant chacun, plein de confiance dans le
pilote, se fut-il accoudé à sa façon, et eut-il essayé de profiter
du conseil donné par Athos, qui, assis au gouvernail et les yeux
fixés sur le ciel, où sans doute il cherchait non seulement le
chemin de la France, mais encore le visage de Dieu, demeura seul,
comme il l’avait promis, pensif et éveillé, dirigeant la petite
barque dans la voie qu’elle devait suivre.

Après quelques heures de sommeil, les voyageurs furent réveillés
par Athos.

Les premières lueurs du jour venaient de blanchir la mer bleuâtre,
et à dix portées de mousquet à peu près vers l’avant on apercevait
une masse noire au-dessus de laquelle se déployait une voile
triangulaire fine et allongée comme l’aile d’une hirondelle.

- Une barque! dirent d’une même voix les quatre amis, tandis que
les laquais, de leur côté, exprimaient aussi leur joie sur des
tons différents.

C’était en effet une flûte dunkerquoise qui faisait voile vers
Boulogne.

Les quatre maîtres, Blaisois et Mousqueton unirent leurs voix en
un seul cri qui vibra sur la surface élastique des flots, tandis
que Grimaud, sans rien dire, mettait son chapeau au bout de sa
rame pour attirer les regards de ceux qu’allait frapper le son de
la voix.

Un quart d’heure après, le canot de cette flûte les remorquait;
ils mettaient le pied sur le pont du petit bâtiment. Grimaud
offrait vingt guinées au patron de la part de son maître, et à
neuf heures du matin, par un bon vent, nos Français mettaient le
pied sur le sol de la patrie.

- Mordieu! qu’on est fort là-dessus! dit Porthos en enfonçant ses
larges pieds dans le sable. Qu’on vienne me chercher noise
maintenant, me regarder de travers ou me chatouiller, et l’on
verra à qui l’on a affaire! Morbleu! je défierais tout un royaume!

- Et moi, dit d’Artagnan, je vous engage à ne pas faire sonner ce
défi trop haut, Porthos; car il me semble qu’on nous regarde
beaucoup par ici.

- Pardieu! dit Porthos, on nous admire.

- Eh bien, moi, répondit d’Artagnan, je n’y mets point d’amour-
propre, je vous jure, Porthos! Seulement j’aperçois des hommes en
robe noire, et dans notre situation les hommes en robe noire
m’épouvantent, je l’avoue.

- Ce sont les greffiers des marchandises du port, dit Aramis.

- Sous l’autre cardinal, sous le grand, dit Athos, on eût plus
fait attention à nous qu’aux marchandises. Mais sous celui-ci,
tranquillisez-vous, amis, on fera plus attention aux marchandises
qu’à nous.

- Je ne m’y fie pas, dit d’Artagnan, et je gagne les dunes.

- Pourquoi pas la ville? dit Porthos. J’aimerais mieux une bonne
auberge que ces affreux déserts de sable que Dieu a créés pour les
lapins seulement. D’ailleurs j’ai faim, moi.

- Faites comme vous voudrez, Porthos! dit d’Artagnan; mais, quant
à moi, je suis convaincu que ce qu’il y a de plus sûr pour des
hommes dans notre situation, c’est la rase campagne.

Et d’Artagnan, certain de réunir la majorité, s’enfonça dans les
dunes sans attendre la réponse de Porthos.

La petite troupe le suivit et disparut bientôt avec lui derrière
les monticules de sable, sans avoir attiré sur elle l’attention
publique.

- Maintenant, dit Aramis quand on eut fait un quart de lieue à
peu près, causons.

- Non pas, dit d’Artagnan, fuyons. Nous avons échappé à Cromwell,
à Mordaunt, à la mer, trois abîmes qui voulaient nous dévorer;
nous n’échapperons pas au sieur Mazarin.

- Vous avez raison, d’Artagnan, dit Aramis, et mon avis est que,
pour plus de sécurité même, nous nous séparions.

- Oui, oui, Aramis, dit d’Artagnan, séparons-nous.

Porthos voulut parler pour s’opposer à cette résolution, mais
d’Artagnan lui fit comprendre, en lui serrant la main, qu’il
devait se taire. Porthos était fort obéissant à ces signes de son
compagnon, dont avec sa bonhomie ordinaire il reconnaissait la
supériorité intellectuelle. Il renfonça donc les paroles qui
allaient sortir de sa bouche.

- Mais pourquoi nous séparer? dit Athos.

- Parce que, dit d’Artagnan, nous avons été envoyés à Cromwell
par M. de Mazarin, Porthos et moi, et qu’au lieu de servir
Cromwell nous avons servi le roi Charles Ier, ce qui n’est pas du
tout la même chose. En revenant avec messieurs de La Fère et
d’Herblay, notre crime est avéré; en revenant seuls, notre crime
demeure à l’état de doute, et avec le doute on mène les hommes
très loin. Or, je veux faire voir du pays à M. de Mazarin, moi.

- Tiens, dit Porthos, c’est vrai!

- Vous oubliez, dit Athos, que nous sommes vos prisonniers, que
nous ne nous regardons pas du tout comme dégagés de notre parole
envers vous, et qu’en nous ramenant prisonniers à Paris...

- En vérité, Athos, interrompit d’Artagnan, je suis fâché qu’un
homme d’esprit comme vous dise toujours des pauvretés dont
rougiraient des écoliers de troisième. Chevalier, continua
d’Artagnan en s’adressant à Aramis, qui, campé fièrement sur son
épée, semblait, quoiqu’il eût d’abord émis une opinion contraire,
s’être au premier mot rallié à celle de son compagnon, chevalier,
comprenez donc qu’ici comme toujours mon caractère défiant
exagère. Porthos et moi ne risquons rien, au bout du compte. Mais
si par hasard cependant on essayait de nous arrêter devant vous,
eh bien! on n’arrêterait pas sept hommes comme on en arrête trois;
les épées verraient le soleil, et l’affaire, mauvaise pour tout le
monde, deviendrait une énormité qui nous perdrait tous quatre.
D’ailleurs, si malheur arrive à deux de nous, ne vaut-il pas mieux
que les deux autres soient en liberté pour tirer ceux-là
d’affaire, pour ramper, miner, saper, les délivrer enfin? Et puis,
qui sait si nous n’obtiendrons pas séparément, vous de la reine,
nous de Mazarin, un pardon qu’on nous refuserait réunis? Allons,
Athos et Aramis, tirez à droite; vous, Porthos, venez à gauche
avec moi; laissez ces messieurs filer sur la Normandie, et nous,
par la route la plus courte, gagnons Paris.

- Mais si l’on nous enlève en route, comment nous prévenir
mutuellement de cette catastrophe? demanda Aramis.

- Rien de plus facile, répondit d’Artagnan; convenons d’un
itinéraire dont nous ne nous écarterons pas. Gagnez Saint-Valery,
puis Dieppe, puis suivez la route droite de Dieppe à Paris; nous,
nous allons prendre par Abbeville, Amiens, Péronne, Compiègne et
Senlis, et dans chaque auberge, dans chaque maison où nous nous
arrêterons, nous écrirons sur la muraille avec la pointe du
couteau, ou sur la vitre avec le tranchant d’un diamant, un
renseignement qui puisse guider les recherches de ceux qui
seraient libres.

- Ah! mon ami, dit Athos, comme j’admirerais les ressources de
votre tête, si je ne m’arrêtais pas, pour les adorer, à celles de
votre coeur.

Et il tendit la main à d’Artagnan.

- Est-ce que le renard a du génie, Athos? dit le Gascon avec un
mouvement d’épaules. Non, il sait croquer les poules, dépister les
chasseurs et retrouver son chemin le jour comme la nuit, voilà
tout. Eh bien, est-ce dit?

- C’est dit.

- Alors, partageons l’argent, reprit d’Artagnan, il doit rester
environ deux cents pistoles. Combien reste-t-il, Grimaud?

- Cent quatre-vingts demi-louis, monsieur.

- C’est cela. Ah! vivat! voilà le soleil! Bonjour, ami soleil!
Quoique tu ne sois pas le même que celui de la Gascogne, je te
reconnais ou je fais semblant de te reconnaître. Bonjour. Il y
avait bien longtemps que je ne t’avais vu.

- Allons, allons, d’Artagnan, dit Athos, ne faites pas l’esprit
fort, vous avez les larmes aux yeux. Soyons toujours francs entre
nous, cette franchise dût-elle laisser voir nos bonnes qualités.

- Eh mais, dit d’Artagnan, est-ce que vous croyez, Athos, qu’on
quitte de sang-froid et dans un moment qui n’est pas sans danger
deux amis comme vous et Aramis?

- Non, dit Athos; aussi venez dans mes bras, mon fils!

- Mordieu! dit Porthos en sanglotant, je crois que je pleure;
comme c’est bête!

Et les quatre amis se jetèrent en un seul groupe dans les bras les
uns des autres. Ces quatre hommes, réunis par l’étreinte
fraternelle, n’eurent certes qu’une âme en ce moment.

Blaisois et Grimaud devaient suivre Athos et Aramis.

Mousqueton suffisait à Porthos et à d’Artagnan.

On partagea, comme on avait toujours fait, l’argent avec une
fraternelle régularité; puis après s’être individuellement serré
la main et s’être mutuellement réitéré l’assurance d’une amitié
éternelle, les quatre gentilshommes se séparèrent pour prendre
chacun la route convenue, non sans se retourner, non sans se
renvoyer encore d’affectueuses paroles que répétaient les échos de
la dune.

Enfin ils se perdirent de vue.

- Sacrebleu! d’Artagnan, dit Porthos, il faut que je vous dise
cela tout de suite, car je ne saurais jamais garder sur le coeur
quelque chose contre vous, je ne vous ai pas reconnu dans cette
circonstance!

- Pourquoi? demanda d’Artagnan avec son fin sourire.

- Parce que si, comme vous le dites, Athos et Aramis courent un
véritable danger, ce n’est pas le moment de les abandonner. Moi,
je vous avoue que j’étais tout prêt à les suivre et que je le suis
encore à les rejoindre malgré tous les Mazarins de la terre.

- Vous auriez raison, Porthos, s’il en était ainsi, dit
d’Artagnan; mais apprenez une toute petite chose, qui cependant,
toute petite qu’elle est, va changer le cours de vos idées: c’est
que ce ne sont pas ces messieurs qui courent le plus grave danger,
c’est nous; c’est que ce n’est point pour les abandonner que nous
les quittons, mais pour ne pas les compromettre.

- Vrai? dit Porthos en ouvrant de grands yeux étonnés.

- Eh! sans doute: qu’ils soient arrêtés, il y va pour eux de la
Bastille tout simplement; que nous le soyons, nous, il y va de la
place de Grève.

- Oh! oh! dit Porthos, il y a loin de là à cette couronne de
baron que vous me promettiez, d’Artagnan!

- Bah! pas si loin que vous le croyez, peut-être, Porthos, vous
connaissez le proverbe: «Tout chemin mène à Rome.»

- Mais pourquoi courons-nous des dangers plus grands que ceux que
courent Athos et Aramis? demanda Porthos.

- Parce qu’ils n’ont fait, eux, que de suivre la mission qu’ils
avaient reçue de la reine Henriette, et que nous avons trahi,
nous, celle que nous avons reçue de Mazarin; parce que, partis
comme messagers à Cromwell, nous sommes devenus partisans du roi
Charles; parce que, au lieu de concourir à faire tomber sa tête
royale condamnée par ces cuistres qu’on appelle MM. Mazarin,
Cromwell, Joyce, Pride, Fairfax, etc., nous avons failli le
sauver.

- C’est, ma foi, vrai, dit Porthos; mais comment voulez-vous, mon
cher ami, qu’au milieu de ces grandes préoccupations le général
Cromwell ait eu le temps de penser...

- Cromwell pense à tout, Cromwell a du temps pour tout; et,
croyez-moi, cher ami, ne perdons pas le nôtre, il est précieux.
Nous ne serons en sûreté qu’après avoir vu Mazarin, et encore...

- Diable! dit Porthos, et que lui dirons-nous à Mazarin?

- Laissez-moi faire, j’ai mon plan; rira bien qui rira le
dernier. M. Cromwell est bien fort; M. Mazarin est bien rusé, mais
j’aime encore mieux faire de la diplomatie contre eux que contre
feu M. Mordaunt.

- Tiens! dit Porthos, c’est agréable de dire _feu monsieur
Mordaunt._

- Ma foi, oui! dit d’Artagnan; mais en route!

Et tous deux, sans perdre un instant, se dirigèrent à vue de pays
vers la route de Paris, suivis de Mousqueton, qui, après avoir eu
trop froid toute la nuit, avait déjà trop chaud au bout d’un quart
d’heure.
Revenir en haut Aller en bas
 
Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXXIX. Où, après avoir manqué d’être rôti,
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXX. Les ouvriers
» Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXXXVI. La
» Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LIX. Le vengeur
» Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXI. Les gentilshommes
» Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) Conclusion.

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: