PLUME DE POÉSIES
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 Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXXXIII. Le combat de Charenton

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Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXXXIII. Le combat de Charenton Empty
MessageSujet: Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXXXIII. Le combat de Charenton   Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXXXIII. Le combat de Charenton Icon_minitimeLun 15 Avr - 19:25

LXXXIII. Le combat de Charenton

À mesure qu’Athos et Aramis avançaient, et qu’en avançant ils
dépassaient les différents corps échelonnés sur la route, ils
voyaient les cuirasses fourbies et éclatantes succéder aux armes
rouillées, et les mousquets étincelants aux pertuisanes bigarrées.

- Je crois que c’est ici le vrai champ de bataille, dit Aramis;
voyez-vous ce corps de cavalerie qui se tient en avant du pont, le
pistolet au poing? Eh! prenez garde, voici du canon qui arrive.

- Ah ça! mon cher, dit Athos, où nous avez-vous menés? Il me
semble que je vois tout autour de nous des figures appartenant à
des officiers de l’armée royale. N’est-ce pas M. de Châtillon lui-
même qui s’avance avec ces deux brigadiers?

Et Athos mit l’épée à la main, tandis qu’Aramis, croyant qu’en
effet il avait dépassé les limites du camp parisien, portait la
main à ses fontes.

- Bonjour, messieurs, dit le duc en s’approchant, je vois que
vous ne comprenez rien à ce qui se passe, mais un mot vous
expliquera tout. Nous sommes pour le moment en trêve; il y a
conférence: M. le Prince, M. de Retz, M. de Beaufort et
M. de Bouillon causent en ce moment politique. Or, de deux choses
l’une: ou les affaires ne s’arrangeront pas, et nous nous
retrouverons, chevalier; ou elles s’arrangeront, et, comme je
serai débarrassé de mon commandement, nous nous retrouverons
encore.

- Monsieur, dit Aramis, vous parlez à merveille. Permettez-moi
donc de vous adresser une question.

- Faites, monsieur.

- Où sont les plénipotentiaires?

- À Charenton même, dans la seconde maison à droite en entrant du
côté de Paris.

- Et cette conférence n’était pas prévue!

- Non, messieurs. Elle est, à ce qu’il paraît, le résultat de
nouvelles propositions que M. de Mazarin a fait faire hier soir
aux Parisiens.

Athos et Aramis se regardèrent en riant; ils savaient mieux que
personne quelles étaient ces propositions, à qui elles avaient été
faites et qui les avait faites.

- Et cette maison où sont les plénipotentiaires, demanda Athos,
appartient...?

- À M. de Chanleu, qui commande vos troupes à Charenton. Je dis
vos troupes, parce que je présume que ces messieurs sont
frondeurs.

- Mais... à peu près, dit Aramis.

- Comment à peu près?

- Eh! sans doute, monsieur; vous le savez mieux que personne,
dans ce temps-ci on ne peut pas dire bien précisément ce qu’on
est.

- Nous sommes pour le roi et MM. les princes, dit Athos.

- Il faut cependant nous entendre, dit Châtillon: le roi est avec
nous, et il a pour généralissimes MM. d’Orléans et de Condé.

- Oui, dit Athos, mais sa place est dans nos rangs avec
MM. de Conti, de Beaufort, d’Elbeuf et de Bouillon.

- Cela peut être, dit Châtillon, et l’on sait que pour mon compte
j’ai assez peu de sympathie pour M. de Mazarin; mes intérêts mêmes
sont à Paris: j’ai là un grand procès d’où dépend toute ma
fortune, et, tel que vous me voyez, je viens de consulter mon
avocat...

- À Paris?

- Non pas, à Charenton... M. Viole, que vous connaissez de nom,
un excellent homme, un peu têtu; mais il n’est pas du parlement
pour rien. Je comptais le voir hier soir, mais notre rencontre m’a
empêché de m’occuper de mes affaires. Or, comme il faut que les
affaires se fassent, j’ai profité de la trêve, et voilà comment je
me trouve au milieu de vous.

- M. Viole donne donc ses consultations en plein vent? demanda
Aramis en riant.

- Oui, monsieur, et à cheval même. Il commande cinq cents
pistoliers pour aujourd’hui, et je lui ai rendu visite accompagné,
pour lui faire honneur, de ces deux petites pièces de canon, en
tête desquelles vous avez paru si étonnés de me voir. Je ne le
reconnaissais pas d’abord, je dois l’avouer; il a une longue épée
sur sa robe et des pistolets à sa ceinture, ce qui lui donne un
air formidable qui vous ferait plaisir, si vous aviez le bonheur
de le rencontrer.

- S’il est si curieux à voir, on peut se donner la peine de le
chercher tout exprès, dit Aramis.

- Il faudrait vous hâter, monsieur, car les conférences ne
peuvent durer longtemps encore.

- Et si elles sont rompues sans amener de résultat, dit Athos,
vous allez tenter d’enlever Charenton?

- C’est mon ordre; je commande les troupes d’attaque, et je ferai
de mon mieux pour réussir.

- Monsieur, dit Athos, puisque vous commandez la cavalerie...

- Pardon! je commande en chef.

- Mieux encore!... Vous devez connaître tous vos officiers,
j’entends tous ceux qui sont de distinction.

- Mais oui, à peu près.

- Soyez assez bon pour me dire alors si vous n’avez pas sous vos
ordres M. le chevalier d’Artagnan, lieutenant aux mousquetaires.

- Non, monsieur, il n’est pas avec nous; depuis plus de six
semaines il a quitté Paris, et il est, dit-on, en mission en
Angleterre.

- Je savais cela, mais je le croyais de retour.

- Non, monsieur, et je ne sache point que personne l’ait revu. Je
puis d’autant mieux vous répondre à ce sujet que les mousquetaires
sont des nôtres, et que c’est M. de Cambon qui, par intérim, tient
la place de M. d’Artagnan.

Les deux amis se regardèrent.

- Vous voyez, dit Athos.

- C’est étrange, dit Aramis.

- Il faut absolument qu’il leur soit arrivé malheur en route.

- Nous sommes aujourd’hui le huit, c’est ce soir qu’expire le
délai fixé. Si ce soir nous n’avons point de nouvelles, demain
matin nous partirons.

Athos fit de la tête un signe affirmatif, puis se retournant:

- Et M. de Bragelonne, un jeune homme de quinze ans, attaché à
M. le Prince, demanda Athos presque embarrassé de laisser percer
ainsi devant le sceptique Aramis ses préoccupations paternelles,
a-t-il l’honneur d’être connu de vous, monsieur le duc?

- Oui, certainement, répondit Châtillon, il nous est arrivé ce
matin avec M. le Prince. Un charmant jeune homme! il est de vos
amis, monsieur le comte?

- Oui, monsieur, répliqua Athos doucement ému; à telle enseigne,
que j’aurais même le désir de le voir. Est-ce possible?

- Très possible, monsieur. Veuillez m’accompagner et je vous
conduirai au quartier général.

- Holà! dit Aramis en se retournant, voilà bien du bruit derrière
nous, ce me semble.

- En effet, un gros de cavaliers vient à nous! fit Châtillon.

- Je reconnais M. le coadjuteur à son chapeau de la fronde.

- Et moi, M. de Beaufort à ses plumes blanches.

- Ils viennent au galop. M. le Prince est avec eux. Ah! voilà
qu’il les quitte.

- On bat le rappel, s’écria Châtillon. Entendez-vous? Il faut
nous informer.

En effet, on voyait les soldats courir à leurs armes, les
cavaliers qui étaient à pied se remettre en selle, les trompettes
sonnaient, les tambours battaient; M. de Beaufort tira l’épée.

De son côté, M. le Prince fit un signe de rappel, et tous les
officiers de l’armée royale, mêlés momentanément aux troupes
parisiennes, coururent à lui.

- Messieurs, dit Châtillon, la trêve est rompue, c’est évident;
on va se battre. Rentrez donc dans Charenton, car j’attaquerai
sous peu. Voilà le signal que M. le Prince me donne.

En effet, une cornette élevait par trois fois en l’air le guidon
de M. le Prince.

- Au revoir, monsieur le chevalier! cria Châtillon.

Et il partit au galop pour rejoindre son escorte.

Athos et Aramis tournèrent bride de leur côté et vinrent saluer le
coadjuteur et M. de Beaufort. Quant à M. de Bouillon, il avait eu
vers la fin de la conférence un si terrible accès de goutte, qu’on
avait été obligé de le reconduire à Paris en litière.

En échange, M. le duc d’Elbeuf, entouré de ses quatre fils comme
d’un état-major, parcourait les rangs de l’armée parisienne.

Pendant ce temps, entre Charenton et l’armée royale se formait un
long espace blanc qui semblait se préparer pour servir de dernière
couche aux cadavres.

- Ce Mazarin est véritablement une honte pour la France, dit le
coadjuteur en resserrant le ceinturon de son épée qu’il portait, à
la mode des anciens prélats militaires, sur sa simarre
archiépiscopale. C’est un cuistre qui voudrait gouverner la France
comme une métairie. Aussi la France ne peut-elle espérer de
bonheur et de tranquillité que lorsqu’il en sera sorti.

- Il paraît que l’on ne s’est pas entendu sur la couleur du
chapeau, dit Aramis.

Au même instant, M. de Beaufort leva son épée.

- Messieurs, dit-il, nous avons fait de la diplomatie inutile;
nous voulions nous débarrasser de ce pleutre de Mazarini; mais la
reine, qui en est embéguinée, le veut absolument garder pour
ministre, de sorte qu’il ne nous reste plus qu’une ressource,
c’est de le battre congrûment.

- Bon! dit le coadjuteur, voilà l’éloquence accoutumée de
M. de Beaufort.

- Heureusement, dit Aramis, qu’il corrige ses fautes de français
avec la pointe de son épée.

- Peuh! fit le coadjuteur avec mépris, je vous jure que dans
toute cette guerre il est bien pâle.

Et il tira son épée à son tour.

- Messieurs, dit-il, voilà l’ennemi qui vient à nous; nous lui
épargnerons bien, je l’espère, la moitié du chemin.

Et sans s’inquiéter s’il était suivi ou non, il partit. Son
régiment, qui portait le nom de régiment de Corinthe, du nom de
son archevêché, s’ébranla derrière lui et commença la mêlée.

De son côté, M. de Beaufort lançait sa cavalerie, sous la conduite
de M. de Noirmoutiers, vers Étampes, où elle devait rencontrer un
convoi de vivres impatiemment attendu par les Parisiens.
M. de Beaufort s’apprêtait à le soutenir.

M. de Clanleu, qui commandait la place, se tenait, avec le plus
fort de ses troupes, prêt à résister à l’assaut, et même, au cas
où l’ennemi serait repoussé, à tenter une sortie.

Au bout d’une demi-heure le combat était engagé sur tous les
points. Le coadjuteur, que la réputation de courage de
M. de Beaufort exaspérait, s’était jeté en avant et faisait
personnellement des merveilles de courage. Sa vocation, on le
sait, était l’épée, et il était heureux chaque fois qu’il la
pouvait tirer du fourreau, n’importe pour qui ou pour quoi. Mais
dans cette circonstance, s’il avait bien fait son métier de
soldat, il avait mal fait celui de colonel. Avec sept ou huit
cents hommes il était allé heurter trois mille hommes, lesquels, à
leur tour, s’étaient ébranlés tout d’une masse et ramenaient
tambour battant les soldats du coadjuteur, qui arrivèrent en
désordre aux remparts. Mais le feu de l’artillerie de Clanleu
arrêta court l’armée royale, qui parut un instant ébranlée.
Cependant cela dura peu, et elle alla se reformer derrière un
groupe de maisons et un petit bois.

Clanleu crut que le moment était venu; il s’élança à la tête de
deux régiments pour poursuivre l’armée royale; mais, comme nous
l’avons dit, elle s’était reformée et revenait à la charge, guidée
par M. de Châtillon en personne. La charge fut si rude et si
habilement conduite, que Clanleu et ses hommes se trouvèrent
presque entourés. Clanleu ordonna la retraite, qui commença de
s’exécuter pied à pied, pas à pas. Malheureusement, au bout d’un
instant, Clanleu tomba mortellement frappé.

M. de Châtillon le vit tomber et annonça tout haut cette mort, qui
redoubla le courage de l’armée royale et démoralisa complètement
les deux régiments avec lesquels Clanleu avait fait sa sortie. En
conséquence, chacun songea à son salut et ne s’occupa plus que de
regagner les retranchements, au pied desquels le coadjuteur
essayait de reformer son régiment écharpé.

Tout à coup un escadron de cavalerie vint à la rencontre des
vainqueurs, qui entraient pêle-mêle avec les fugitifs dans les
retranchements. Athos et Aramis chargeaient en tête, Aramis l’épée
et le pistolet à la main, Athos l’épée au fourreau, le pistolet
aux fontes. Athos était calme et froid comme dans une parade,
seulement son beau et noble regard s’attristait en voyant
s’entr’égorger tant d’hommes que sacrifiaient d’un côté
l’entêtement royal, et de l’autre côté la rancune des princes.
Aramis, au contraire, tuait et s’enivrait peu à peu, selon son
habitude. Ses yeux vifs devenaient ardents; sa bouche, si finement
découpée, souriait d’un sourire lugubre; ses narines ouvertes
aspiraient l’odeur du sang; chacun de ses coups d’épée frappait
juste, et le pommeau de son pistolet achevait, assommait le blessé
qui essayait de se relever.

Du côté opposé, et dans les rangs de l’armée royale, deux
cavaliers, l’un couvert d’une cuirasse dorée, l’autre d’un simple
buffle duquel sortaient les manches d’un justaucorps de velours
bleu, chargeaient au premier rang. Le cavalier à la cuirasse dorée
vint heurter Aramis et lui porta un coup d’épée qu’Aramis para
avec son habileté ordinaire.

- Ah! c’est vous, monsieur de Châtillon! s’écria le chevalier;
soyez le bienvenu, je vous attendais!

- J’espère ne vous avoir pas trop fait attendre, monsieur, dit le
duc; en tout cas, me voici.

- Monsieur de Châtillon, dit Aramis en tirant de ses fontes un
second pistolet qu’il avait réservé pour cette occasion, je crois
que si votre pistolet est déchargé vous êtes un homme mort.

- Dieu merci, dit Châtillon, il ne l’est pas!

Et le duc, levant son pistolet sur Aramis, l’ajusta et fit feu.
Mais Aramis courba la tête au moment où il vit le duc appuyer le
doigt sur la gâchette, et la balle passa, sans l’atteindre, au-
dessus de lui.

- Oh! vous m’avez manqué, dit Aramis. Mais moi, j’en jure Dieu,
je ne vous manquerai pas.

- Si je vous en laisse le temps! s’écria M. de Châtillon en
piquant son cheval et en bondissant sur lui l’épée haute.

Aramis l’attendit avec ce sourire terrible qui lui était propre en
pareille occasion; et Athos, qui voyait M. de Châtillon s’avancer
sur Aramis avec la rapidité de l’éclair, ouvrait la bouche pour
crier: «Tirez! mais tirez donc!» quand le coup partit.
M. de Châtillon ouvrit les bras et se renversa sur la croupe de
son cheval.

La balle lui était entrée dans la poitrine par l’échancrure de la
cuirasse.

- Je suis mort! murmura le duc.

Et il glissa de son cheval à terre.

- Je vous l’avais dit, monsieur, et je suis fâché maintenant
d’avoir si bien tenu ma parole. Puis-je vous être bon à quelque
chose?

Châtillon fit un signe de la main; et Aramis s’apprêtait à
descendre, quand tout à coup il reçut un choc violent dans le
côté: c’était un coup d’épée, mais la cuirasse para le coup.

Il se tourna vivement, saisit ce nouvel antagoniste par le
poignet, quand deux cris partirent en même temps, l’un poussé par
lui, l’autre par Athos:

- Raoul!

Le jeune homme reconnut à la fois la figure du chevalier d’Herblay
et la voix de son père, et laissa tomber son épée. Plusieurs
cavaliers de l’armée parisienne s’élancèrent en ce moment sur
Raoul, mais Aramis le couvrit de son épée.

- Prisonnier à moi! Passez donc au large! cria-t-il.

Athos, pendant ce temps, prenait le cheval de son fils par la
bride et l’entraînait hors de la mêlée.

En ce moment M. le Prince, qui soutenait M. de Châtillon en
seconde ligne, apparut au milieu de la mêlée; on vit briller son
oeil d’aigle et on le reconnut à ses coups.

À sa vue, le régiment de l’archevêque de Corinthe, que le
coadjuteur, malgré tous ses efforts, n’avait pu réorganiser, se
jeta au milieu des troupes parisiennes, renversa tout et rentra en
fuyant dans Charenton, qu’il traversa sans s’arrêter. Le
coadjuteur, entraîné par lui, repassa près du groupe formé par
Athos, par Aramis et Raoul.

- Ah! ah! dit Aramis, qui ne pouvait, dans sa jalousie, ne pas se
réjouir de l’échec arrivé au coadjuteur, en votre qualité
d’archevêque, Monseigneur, vous devez connaître les Écritures.

- Et qu’ont de commun les Écritures avec ce qui m’arrive? demanda
le coadjuteur.

- Que M. le Prince vous traite aujourd’hui comme saint Paul, la
première aux Corinthiens.

- Allons! allons! dit Athos, le mot est joli, mais il ne faut pas
attendre ici les compliments. En avant, en avant, ou plutôt en
arrière, car la bataille m’a bien l’air d’être perdue pour les
frondeurs.

- Cela m’est bien égal! dit Aramis, je ne venais ici que pour
rencontrer M. de Châtillon. Je l’ai rencontré, je suis content; un
duel avec un Châtillon, c’est flatteur!

- Et de plus un prisonnier, dit Athos en montrant Raoul.

Les trois cavaliers continuèrent la route au galop.

Le jeune homme avait ressenti un frisson de joie en retrouvant son
père. Ils galopaient l’un à côté de l’autre, la main gauche du
jeune homme dans la main droite d’Athos.

Quand ils furent loin du champ de bataille:

- Qu’alliez-vous donc faire si avant dans la mêlée, mon ami?
demanda Athos au jeune homme; ce n’était point là votre place, ce
me semble, n’étant pas mieux armé pour le combat.

- Aussi ne devais-je point me battre aujourd’hui, monsieur.
J’étais chargé d’une mission pour le cardinal, et je partais pour
Rueil, quand, voyant charger M. de Châtillon, l’envie me prit de
charger à ses côtés. C’est alors qu’il me dit que deux cavaliers
de l’armée parisienne me cherchaient, et qu’il me nomma le comte
de La Fère.

- Comment! vous saviez que nous étions là, et vous avez voulu
tuer votre ami le chevalier?

- Je n’avais point reconnu M. le chevalier sous son armure, dit
en rougissant Raoul, mais j’aurais dû le reconnaître à son adresse
et à son sang-froid.

- Merci du compliment, mon jeune ami, dit Aramis, et l’on voit
qui vous a donné des leçons de courtoisie. Mais vous allez à
Rueil, dites-vous?

- Oui.

- Chez le cardinal?

- Sans doute. J’ai une dépêche de M. le Prince pour Son Éminence.

- Il faut la porter, dit Athos.

- Oh! pour cela, un instant, pas de fausse générosité, comte. Que
diable! notre sort, et, ce qui est plus important, le sort de nos
amis, est peut-être dans cette dépêche.

- Mais il ne faut pas que ce jeune homme manque à son devoir, dit
Athos.

- D’abord, comte, ce jeune homme est prisonnier, vous l’oubliez.
Ce que nous faisons là est de bonne guerre. D’ailleurs, des
vaincus ne doivent pas être difficiles sur le choix des moyens.
Donnez cette dépêche, Raoul.

Raoul hésita, regardant Athos comme pour chercher une règle de
conduite dans ses yeux.

- Donnez la dépêche, Raoul, dit Athos, vous êtes le prisonnier du
chevalier d’Herblay.

Raoul céda avec répugnance, mais Aramis, moins scrupuleux que le
comte de La Fère, saisit la dépêche avec empressement, la
parcourut, et la rendant à Athos:

- Vous, dit-il, qui êtes croyant, lisez et voyez, en y
réfléchissant, dans cette lettre, quelque chose que la Providence
juge important que nous sachions.

Athos prit la lettre tout en fronçant son beau sourcil, mais
l’idée qu’il était question, dans la lettre, de d’Artagnan l’aida
à vaincre le dégoût qu’il éprouvait à la lire.

Voici ce qu’il y avait dans la lettre:

«Monseigneur, j’enverrai ce soir à Votre Éminence, pour renforcer
la troupe de M. de Comminges, les dix hommes que vous demandez. Ce
sont de bons soldats, propres à maintenir les deux rudes
adversaires dont Votre Éminence craint l’adresse et la
résolution.»

- Oh! oh! dit Athos.

- Eh bien! demanda Aramis, que vous semble de deux adversaires
qu’il faut, outre la troupe de Comminges, dix bons soldats pour
garder? cela ne ressemble-t-il pas comme deux gouttes d’eau à
d’Artagnan et à Porthos?

- Nous allons battre Paris toute la journée, dit Athos, et si
nous n’avons pas de nouvelles ce soir, nous reprendrons le chemin
de la Picardie, et je réponds, grâce à l’imagination de
d’Artagnan, que nous ne tarderons pas à trouver quelque indication
qui nous enlèvera tous nos doutes.

- Battons donc Paris, et informons-nous, à Planchet surtout, s’il
n’aura point entendu parler de son ancien maître.

- Ce pauvre Planchet! vous en parlez bien à votre aise, Aramis,
il est massacré sans doute. Tous ces belliqueux bourgeois seront
sortis, et l’on aura fait un massacre.

Comme c’était assez probable, ce fut avec un sentiment
d’inquiétude que les deux amis rentrèrent à Paris par la porte du
Temple, et qu’ils se dirigèrent vers la place Royale où ils
comptaient avoir des nouvelles de ces pauvres bourgeois. Mais
l’étonnement des deux amis fut grand lorsqu’ils les trouvèrent
buvant et goguenardant, eux et leur capitaine, toujours campés
place Royale et pleurés sans doute par leurs familles qui
entendaient le bruit du canon de Charenton et les croyaient au
feu.

Athos et Aramis s’informèrent de nouveau à Planchet; mais il
n’avait rien su de d’Artagnan., Ils voulurent l’emmener, il leur
déclara qu’il ne pouvait quitter son poste sans ordre supérieur.

À cinq heures seulement ils rentrèrent chez eux en disant qu’ils
revenaient de la bataille; ils n’avaient pas perdu de vue le
cheval de bronze de Louis XIII.

- Mille tonnerres! dit Planchet en rentrant dans sa boutique de
la rue des Lombards, nous avons été battus à plate couture. Je ne
m’en consolerai jamais!
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